Yann Sohier : figure originale du mouvement breton d’entre-deux-guerres

L’entre-deux-guerres voit émerger une nouvelle génération de militants bretons. Nés au tournant des XIXe et XXe siècles, ils remettent en cause le régionalisme d’avant-guerre porté par des figures comme le marquis de l’Estourbeillon et le barde Théodore Botrel. Ils considèrent qu’il est nécessaire de rompre avec un régionalisme folklorisant – souvent qualifié de binouseries –, afin de développer une emsav (mouvement breton) plus politique. Emergent alors différents mouvements: politiques comme Breiz Atao (Bretagne toujours), autour notamment de Morvan Marchal, le créateur du gwenn ha du, ou bien artistiques comme les Seiz Breur, dont l’une des figures de proue est Jeanne Malivel. Parmi ces militants se trouve Yann, à l'état-civil Jean, Sohier, instituteur laïc et défenseur de la langue bretonne.

Carte postale. Collection particulière.

Jean Sohier naît le 10 septembre 1901 à Loudéac, en pays gallo. Son père, Jean-Marie, est gendarme à cheval et sa mère Louise est sans profession déclarée1. La famille vit au gré des différentes affectations – en Bretagne – du père, en tant que gendarme, puis percepteur. C’est lors de ses études pour devenir instituteur, à l’Ecole normale de Saint-Brieuc (1918-1921), que Yann apprend le breton. Il adhère alors à l’Unvaniez Yaouankiz Vreiz (Union de la jeunesse de Bretagne), fondée par Morvan Marchal, le père du Gwen Ha Du, et y côtoie notamment Olier Mordrel et Francez Debeauvais2. Entre 1921 et 1923, il effectue son service militaire au 48e régiment d’infanterie de Guingamp. Là, il se lie d’amitié avec François Uguen, un proche de l’abbé Jean-Marie Perrot et de sa revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne).

Yann Sohier participe, en septembre 1927 à Rosporden, au congrès du Parti autonomiste breton (PAB). François Debauvais en prend la tête et Olier Mordrel, Morvan Marchal ou encore Maurice Duhamel font partie des dirigeants. Le parti, qui se réclame du fédéralisme, se dit alors « ni séparatiste, ni rétrograde, ni antifrançais ». En 1929, Yann Sohier devient le secrétaire de la section du Trégor du PAB. Lors de l’éclatement de ce parti en 1931 entre nationalistes (Olier Mordrel, François Debauvais) et fédéralistes (Maurice Duhamel), Sohier suit les premiers dans la création du Parti national breton (PNB). Mais dans les années suivantes, face à la dérive du PNB vers la droite la plus extrême, Sohier s’en éloigne. En effet, immergé dans le Trégor rouge, à Plouguiel (1923), puis à Plourivo (1929), Yann Sohier est également proche de l’enfant du pays, le directeur de L’Humanité, Marcel Cachin.

Yann Sohier est aussi un instituteur engagé pour l’enseignement de la langue bretonne. Le 31 janvier 1929, il se marie avec Anne Le Den, une institutrice originaire de Lannilis et militante linguistique elle-aussi. L’union est consacrée dans la cathédrale de Tréguier, en présence de nombreux militants du mouvement breton. Deux ans plus tard, le couple donne naissance à Mona, leur fille unique, qu’ils élèvent en breton3. En janvier 1933, Yann Sohier fonde Ar Falz (la faucille), le « Bulletin mensuel des instituteurs laïcs partisans de l’enseignement du breton ». Alors que la Troisième République a fait de la langue française un ciment de la Nation, dont les instituteurs en sont les Hussards noirs ; Ar Falz prend pour modèle l’URSS qui permet à ses « minorités nationales » de pratiquer leurs langues. L’alliance entre le communisme et le militantisme de la langue bretonne est alors loin d’être une incongruité. Marcel Cachin lui-même est un fervent défenseur du breton. L’Internationale se chante à l'époque couramment en breton. Yann Sohier, l’instituteur, travaille également à la rédaction d’un manuel d’apprentissage du breton Me a lenno (Je lirai). Toutefois, malgré une activité militante intense, Ar Falz demeure assez confidentielle, ne comptant guère plus qu’une centaine d’adhérents.

Lors des obsèques de Yann Sohier. Cliché pubié dans Ar Falz. Collection particulière.

Le 21 mars 1935, âgé de seulement 33 ans, Yann Sohier est terrassé par une bronchopneumonie. A ses obsèques, en l’église de Plourivo, ses différents compagnons de route sont présents : Morvan Marchal prend la parole. Olier Mordrel, l’abbé Perrot, les frères Caouissin sont là du côté des nationalistes bretons. Marcel Cachin est également présent. Demeure la question récurrente, face à cette mort prématurée, de l’attitude qu’aurait adopté Yann Sohier lors de la Seconde Guerre mondiale. Il faut dire qu’une partie non négligeable de ses anciens camarades du mouvement breton se sont corrompus dans la collaboration. On pense notamment à Olier Mordel, François Debeauvais, mais aussi Jean Delalande (dit Yann Kerlann), son successeur à la tête d’Ar Falz. Pour autant le mouvement n'est pas unanime et certains refusent de croire que le combat pour la langue bretonne passe par la collaboration. Armand Keravel, par exemple, un autre instituteur proche de Cachin et millitant d’Ar Falz, s’engage dans la Résistance aux côtés du Finistérien François-Tanguy Prigent. Le reste demeure conjecture et ne peut relever, au mieux, que de l’histoire contrefactuelle : « Que se serait-il passé si... ? » Au final, Yann Sohier, militant autonomiste voire nationaliste, instituteur engagé pour l’enseignement du breton, proche des communistes, demeure une figure originale de l’emsav de l’entre-deux-guerres.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 Arch. dép. CdA : acte de naissance de SOHIER, Jean, Lucien, Léon, Marie. 11 septembre 1901, n°106, en ligne.

2 SEMPE Mathilde, « La revue bretonne Ar Falz : « l’art social » en conjoncture de crise politique et littéraire (1945-1946) », COnTEXTES, 16 | 2015, mis en ligne le 01 décembre 2015.

3 Mona Sohier devient par la suite une professeure de philosophie et historienne de l’éducation et de la Révolution française, connue sous le nom de Mona Ozouf, après son mariage avec l’historien Jacques Ozouf.