L’enfance de l’art en Bretagne

L’exposition « L’Enfant dans la peinture bretonne (XIXe et XXe siècle) » que propose jusqu’au 7 octobre 2018 le musée du Faouet est de celles qui, sorte de persistance rétinienne, hantent pendant de longue journées l’esprit du visiteur. L’institution morbihannaise, née de la volonté du parlementaire et artiste Victor Robic, puise dans ses collections et sollicite de nombreuses institutions partenaires et collections particulières pour constituer cette rétrospective qui entend, en quelques chapitres, proposer un panorama de l’enfance en Bretagne à travers la peinture : l’enfance au travail, l’enfance et la foi, le jeu, l’école ou encore la mort1.

Jeux d'enfants. Alberto Pinto. Collection privée.

Ce dernier thème est, avouons-le, celui qui, en premier, nous a interpellé en visitant l’exposition. L’intérêt de plus en plus affirmé, au cours du XIXe siècle et de ce que l’on nomme, de manière assez impropre du reste, la Belle époque, de ces artistes pour l’enfance n’est pas neutre. Ces compositions témoignent, à n’en pas douter, d’une sensibilité accrue à cette période de la vie. Si cette réalité est indissociable de la seconde phase du mouvement de transition démographique, elle semble aussi, par ricochet, annoncer le poids du deuil de la Grande Guerre. Or le problème est que l’exposition fait fi de ces questionnements. Pourtant, la maternité peinte en 1864 par Eugène Le Roux n’a assurément pas le même sens que celle de Maurice Asselin, composée au début des années 1920. Sous le Second Empire la toile est empreinte de folklore, d’une vision sur cette campagne bretonne perçue comme « authentique », mais après l’hécatombe des tranchées, la composition est débarrassée de cette prétention faussement ethnologisante pour se concentrer sur l’essentiel: la vie. En 1919, Jean Frelaut, tout juste démobilisé, peint ses enfants sur la plage jouant avec un voilier de bassin et s’adonnant aux joies du pâté de sable. Comment ne pas déceler dans cette scène presque naïve tant elle est emplie d’une joie simple ce père contemplant sa progéniture, soulagé d’être sorti vivant de la tragédie de la guerre? Certes, le cotre arbore fièrement le pavillon national, comme un témoignage du discours patriotique dominant d’alors, mais ne faut-il pas voir dans cette toile, comme par ricochet, une évocation du « Plus jamais cela » par l’intermédiaire de la figure de l’enfant, être par définition innocent?

En réalité, c’est toute la partie de l’exposition consacrée à « l’enfant face à la maladie et à la mort » qui pose problème. Il paraît en effet très difficile de mettre sur le même plan « La petite malade » de Flavien Louis-Pelan et « Les réfugiés de Lorient en 1943 », évocation puissante et tourmentée, qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer les célèbres eaux fortes d’Otto Dix, et que l’on doit à Henry Joubioux. La mort de guerre a en effet ses spécificités et il est d’autant plus regrettable de passer outre que le musée du Faouet est placé à quelques dizaines de mètres seulement du mémorial en l’honneur de Jean-Corentin Carré, figure par excellence de l’enfance combattante.

Les réfugiés de Lorient en 1943. Henry Joubioux. Collection picturale de la ville de Lorient.

Le fait est que l’exposition n’interroge pas son sujet et, à aucun moment, ne se demande ce qu’est l’enfance, plus encore sous les pinceaux de ces artistes qui exercent en Bretagne. Or c’est là une étape qui nous semble essentielle puisqu’il s’agit non pas tant d’une réalité biologique que d’une notion culturelle, et donc éminemment relative. De la même manière, le propos ne questionne nullement l’éventuelle spécificité – ou non – de l’enfance bretonne. Dans le catalogue, J.-M. Michaud indique à propos du « Premier bonhomme » d’Alfred Beau que celui-ci « n’est en rien caractérisé comme breton » mais, en dehors du costume traditionnel, on aurait aimé avoir une analyse plus en profondeur de cette particularité régionale. Néanmoins, à en juger par le nombre de comparaisons relevant d’une histoire transnationale de l’art, que l’on ne peut du reste que saluer, il semble bien que c’est par la négative qu’il faille répondre à une telle question. Tout est affaire de subjectivité et, à l’instar de Paul Gauguin, c’est « le sauvage » et le « primitif » que viennent peindre en Bretagne les artistes de la fin du XIXe siècle.

De tels propos rappellent que  la peinture, fut-elle naturaliste, est une représentation et qu’il importe donc de s’interroger sur cette dimension sous peine de passer à côté du sujet. Nombreuses sont en effet les toiles de l’exposition qui interpellent : ainsi cette composition de la prière du soir par Herman Van Den Anker, geste du quotidien mais effectué ici en costume des jours de fête. On a aussi l’exemple des calfateurs à Concarneau peints par Alfred Guillou qui sont d’une étonnante propreté, alors que ce travail, pratiqué sur la grève, suppose un environnement où se mêlent vase, étoupe et goudron. Cette représentation de l’enfance au travail atteste par ailleurs une division sexuelle clairement établie: les jeunes filles d’Yvonne Jean-Haffen récoltent les fraises à Plougastel tandis que les garçons d’Achille Granchi-Taylor sont embarqués comme mousses. Or, malheureusement, l’exposition n’offre aucune réflexion sur la question du genre. Les propos de J.-M. Michaud sur la prétendue propension des femmes à traiter ce sujet en peinture l’attestent du reste judicieusement... mais malheureusement sans aller plus loin dans l’analyse.

Sortie de communiantes à Plougastel-Daoulas. Virgilio Costantini. Musée de Morlaix.

Malgré ces – réelles – réserves on ne peut qu’inviter les lecteurs d’En Envor à prendre la route du Faouet et à visiter cette rétrospective. Certes, le propos n’est pas assez problématisé et certaines options de l’accrochage nous laissent songeur. Pour autant, il reste l’essentiel : la force des œuvres. Et c’est bien cela qui doit primer. La puissance du « Baptême » de Jean-Georges Cornélius, la candeur de « L’Ecole » de Jean Geoffroy ou les couleurs chatoyantes du portrait de fillette réalisé par Robert Micheau-Vernez emportent en quelques secondes le visiteur et, l’envoutant pour longtemps, l’incitent à prendre à son compte cette réflexion sur ce qu’est l’enfance dans la peinture bretonne des XIXe et XXe siècles.

Erwan LE GALL

 

 

1 Ces thèmes constituent la trame du catalogue de l’exposition : MICHAUD, Jean-Marc, BELLEC, Christian et LE ROUX-LE PIMPEC, Anne, L’Enfant dans la peinture bretonne (XIXIe-XXe siècle), Le Faouet, Liv’ Editions, 2018.