Les enjeux d’une reconstruction

La reconstruction des villes sinistrées lors de la Seconde Guerre mondiale rythme indéniablement l’histoire des « Trente Glorieuses » en Bretagne. Période faste pour les uns, elle l’est beaucoup moins pour les centaines de familles relogées dans des logements temporaires. Cette histoire, souvent négligée, est parfaitement retranscrite dans l’ouvrage Hennebont et sa reconstruction de Martine Rouellé, publié chez Liv’ Editions .

Hennebont avant la Seconde Guerre mondiale. Carte postale. Collection particulière.

En 1945, Hennebont n’est plus que l’ombre d’elle-même. Petite ville ouvrière de la région lorientaise, elle est ravagée par le conflit et ses multiples bombardements. Martine Rouellé dresse à cet égard un bilan édifiant : « le nombre de logements en 1938 était de 2 532, on compte à la fin de la guerre 250 bâtiments entièrement sinistrés et 300 partiellement, 463 logements détruits, se décomposant en 400 totalement et 63 partiellement » (p. 17). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas lors des bombardements aériens de l’hiver 1943 que la ville est détruite mais bien en août 1944 à l’occasion des combats de la Libération. Martine Rouellé rappelle à juste titre que « la ville, qui n’a subi que peu de dommages en 1943, lors de la destruction de Lorient, a été fortement éprouvée par les bombardements d’artillerie du début d’Août 1944, au moment de l’offensive américaine » (p. 17) . Face à l’ampleur des dégâts, il faut alors « des mois à des centaines d’ouvriers pour raser les ruines avant de songer à édifier le moindre abri » (p. 17).

La reconstruction impose à l’administration de faire des choix. Les bâtiments susceptibles de relancer l’économie locale sont désignés comme prioritaires par le Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme. C’est notamment le cas des bâtiments patrimoniaux (p. 24 et 28) et des hôtels dont la réhabilitation doit permettre d’attirer rapidement les touristes . L’enjeu est d’autant plus important que « la plupart des antiques logis de la ville close ont flambé comme des torches dans l’immense incendie de 1944 » (p. 63).

De tels choix sont fatalement défavorables aux bâtiments non-rentables tels que les écoles (p. 48-59) et les logements des particuliers. Le relogement des familles dans des habitations préfabriquées – appelées baraques ou baraquements – s’avère plus long que prévu . Martine Rouellé mentionne à ce propos un article de La Liberté du Morbihan qui, en 1949, évoque – déjà – la trop lente reconstruction de la ville (p. 47). En effet, en 1952, pas moins de 450 familles, soit près de 1 800 habitants, sont encore logées dans des baraques qui ne cessent de se dégrader (p. 19), parfois au péril de leurs locataires. Les commerçants ne sont pas non plus épargnés par les relogements sommaires. Le 26 juin 1952, la propriétaire d’une boucherie-charcuterie indique au Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme avoir repris son activité « depuis 1946 […] dans un hangar-garage, qu’au point de vue hygiène ce n’est pas à recommander, mais c’est le seul local trouvé lors de mon installation » (p. 188).

Après la reconstruction. Carte postale. Collection particulière.

Tout au long des 219 pages, Martine Rouellé se livre à un minutieux et exhaustif dépouillement des dossiers produits par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Si le discours souffre parfois d’un effet catalogue lié à la description de l’intégralité des dossiers, rue par rue, il n’en demeure pas moins un remarquable travail permettant de saisir les difficultés de la reconstruction à l’échelle d’une commune.

Yves-Marie EVANNO

ROUELLE, Martine, Hennebont et sa reconstruction. 1940-1960, Le Faouët, Liv’ Editions, 2017.

 

 

 

 

 

 

1 ROUELLE, Martine, Hennebont et sa reconstruction. 1940-1960, Le Faouët, Liv’ Editions, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Voir le récit détaillé de cette journée dans LEROUX, Roger, Le Morbihan en Guerre, Mayenne, ERO, 1977, p. 545-546.

3 Sur ce point, on se permettra de renvoyer à EVANNO, Yves-Marie, « La guerre, aubaine pour le développement hôtelier dans le Morbihan (1940 -1945) ? », in ANDRIEUX, Jean-Yves et HARISMENDY, Patrick (dir.), Pension complète. Tourisme et hôtellerie (XVIIIe-XXe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, p. 164-165.

4 Sur le sujet, voir PELAEZ, Caroline, Le temps des baraques à Lorient, 1945-1987, Rennes 2, mémoire de Maîtrise sous la direction de Sainclivier, Jacqueline, 1995.