Une brume fatale. Le terrifiant naufrage du SS Egypt
De par l’importance de sa façade maritime, la Bretagne est régulièrement témoin de terribles naufrages. Certains d’entre eux ont marqué l’histoire contemporaine de la région à l’image de celui de L’Evangeline, du Sirdar, le Hilda ou encore du Saint-Philibert… En dépit de cette sinistre récurrence, chaque tragédie rappelle aux Bretons à quel point la mer est dangereuse. Ainsi, lorsque le SS Egypt entraine dans sa perte, au large du Finistère, une centaine de passagers, un sentiment d’effroi se répand immédiatement dans la presse bretonne.
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Carte postale. Collection particulière. |
Le 19 mai 1922, le SS Egypt quitte le port de Tilbury, en Angleterre, afin de rejoindre Bombay, en Inde. Le paquebot, qui a l’habitude d’effectuer cette liaison, connaît une première journée de voyage relativement calme. Mais, le 20 mai, alors qu’il longe les côtes finistériennes, il se retrouve soudainement au milieu d’une très forte brume. A ce stade, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Le capitaine réduit la vitesse du navire et, vers 19 heures, les passagers se mettent calmement à table. Pourtant, un danger invisible les guette. Alors qu’il se trouve à une quinzaine de milles du phare d'Ar Men, le navire britannique fait la rencontre inopportune de La Seine, un cargo de la Compagnie France-Baltique qui fait route vers Le Havre. La collision est inévitable et violente. Le navire français perfore la coque du paquebot en son milieu.
Le récit publié dans la presse bretonne est terrifiant. Si le navire coule en l’espace de quarante minutes, la première fut certainement la pire pour les passagers pris de panique. « Ce fut une minute d’affolement indicible » décrit un témoin dans L’Ouest-Eclair, précisant plus loin que la majorité des victimes ne s’est pas noyée mais a été tuée lors du choc, « la tête fracassée contre les parois des salles tellement fut formidable et brusque la collision »1. La Dépêche de Brest offre également de nombreux détails de ces « scènes affreuses de désespoir » comme lorsqu’un canot est venu « écraser la tête de ceux […] qu’il devait sauver »2.
La violence de ces scènes marque durablement la mémoire des Finistériens. Sept ans plus tard, lorsque L’Ouest-Eclair revient sur le déroulement du naufrage, il insiste une nouvelle fois sur les épisodes déchirants qui rythmèrent le naufrage. Le quotidien évoque, par exemple, cette « femme [qui] se laissa couler avec ses deux enfants, ne voulant pas s'en séparer », ou cette passagère
« qui avait son enfant dans les bras, le passa a son mari, mais celui-ci ne put trouver d'embarcation et demeura sur le pont supérieur. L'eau monta brusquement et un paquet de lames lui enleva l'enfant. Pendant ce temps, sa femme […] tomba à la mer et se noya. Le mari, seul rescapé de la famille, devint fou. » 3
Si le bilan humain est lourd, très lourd, la présence sur les lieux de La Seine qui, de son côté n’a pas sombré, permet certainement d’éviter la noyade à de nombreux passagers. Les récits que l’on peut trouver dans les différents journaux de la péninsule armoricaine ne doivent d’ailleurs pas tromper : la recherche du sensationnalisme est une évidence et il n’est pas rare de voir certains traits exagérés pour attirer l’œil du lecteur potentiel, et donc de l’acheteur de journaux.
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La poupe du SS Egypt. Crédits: Histomar. |
Un autre détail ne manque pas de frapper. Pour la presse bretonne, le soutien des marins français est d’autant plus inespéré que l’équipage indien aurait été indigne de son rang durant le naufrage. L’Ouest-Eclair condamne ainsi « la conduite de l'équipage hindou » qui, d’après les rumeurs, « s'empara des embarcations du bord, repoussant les passagers »4. Faut-il vraiment voir dans ces propos une retranscription fidèle de ce qui s’est passé ou la volonté de flatter l’orgueil national du lectorat du grand quotidien catholique ? La documentation ne nous permet pas de répondre à cette question. L’article ne répond pas à cette question. Et qu’importe du reste, l’essentiel n’est plus là. Désormais, c’est l’or des soutes du SS Egypt qui attise les plus folles convoitises…
Yves-Marie EVANNO
1 « Le récit d’un rescapé », L’Ouest-Eclair, 22 mai 1922, p. 2.
2 « La catastrophe de l’Egypt », La Dépêche de Brest, 22 mai 1922, p. 3.
3 « Les millions de l'Egypt », L’Ouest-Eclair, 23 mai 1929, p. 4.
4 Ibid. Rappelons, à ce propos, que les lecteurs bretons découvrent le combat de Gandhi à peine deux mois avant le drame. |