L’information tombée du ciel
Outil de propagande, la presse est, sous l’Occupation, une source dont l’emploi reste complexe. Entre orientation du discours et silences convenus, les journaux n’offrent en effet qu’une vision partielle – et partiale – du conflit. Les descriptions qui sont données des Alliés sont, à ce titre, particulièrement représentatives. A la suite des bombardements qui ravagent plusieurs villes françaises, ils sont présentés comme cupides, hypocrites et inhumains. Afin de contourner ce monopole sur l’information, les Alliés ripostent efficacement en diffusant des messages radiophoniques par l’intermédiaire de la BBC, et en larguant sur la France des brochures imprimées. En Bretagne, cette stratégie de communication est d’autant plus nécessaire qu’elle doit tenter de justifier les souffrances infligées par les bombardement ayant rasé Brest, Lorient ou encore Saint-Nazaire.
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Numéro du 16 mars 1944 du Courrier de l'air. Archives départementales d'Eure-et-Loir: fonds André Thoby. |
L’utilisation de l’aviation à des fins de propagande n’est pas totalement nouvelle puisque l’ensemble des belligérants largue déjà des tracts sur les régions proches du front lors de la Première Guerre mondiale. Vingt ans plus tard, la RAF réactive une pratique parfaitement éprouvée en lançant près de 676 millions de brochures sur la France entre juillet 1940 et septembre 19441. Pour parvenir à leurs fins, ils mettent au point de grands cylindres en carton qui, en s’ouvrant à une centaine de mètres du sol, libèrent jusqu’à plusieurs milliers de documents2. Version modernisée du journal éponyme distribué lors de la Grande Guerre, Le Courrier de l’Air est la brochure la plus diffusée du côté britannique. En parallèle, à partir 1942, l’US Air Force largue sur l’Europe des exemplaires de L’Amérique en guerre.
Quel que soit le titre, les Alliés poursuivent une ligne éditoriale similaire, à ceci près que les Britanniques, souhaitant montrer un semblant d’objectivité, n’hésitent pas à évoquer leurs propres défaites3. Ne comportant que quatre pages, ces journaux doivent pourtant se limiter à l’essentiel en publiant, chaque mois, des « reportages généraux sur l’évolution de la guerre ». Parfois, ils tentent de justifier les opérations en cours. C’est le cas en septembre 1943, après les terribles bombardements de Nantes où près de 1 500 civils périssent. Le Courrier de L’Air explique ainsi que l’aviation alliée n’a « pas d’autre choix que de bombarder » les usines françaises travaillant pour le compte du Reich tant ces dernières contribuent puissamment à « [l’]effort de guerre » de l’ennemi4.
Évidemment, l’audience de ces publications est difficile à mesurer. Perdues ou saisies par les autorités françaises, un grand nombre de brochures ne parvient jamais entre dans les mains du lectorat ciblé. Mais il y a pire. Le 3 janvier 1944, le commissaire de police de Pontivy rapporte ainsi avoir découvert, dans un champ, douze exemplaires de L’Amérique en guerre, dont huit étaient de toute façon illisibles puisqu’entièrement mouillés5. Autrement dit, la stratégie de diffusion des Alliés comporte de nombreuses pertes : pour un exemplaire lu par la population, combien pourrissent dans des champs, atterrissent dans des lacs et des rivières, ou sont saisis par les forces de police ?
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Exemplaire de L’Amérique en guerre trouvé près de Pontivy le 3 janvier 1944. Ce dernier conserve les stigmates de l’humidité. Arch. dép. Morbihan, 937 W 367. |
De 1940 à 1944, ce sont 78 numéros du Courrier de l’Air qui sont diffusés, par la voie aérienne, en France. Il est néanmoins bien difficile de savoir s’ils sont effectivement distribués dans le Léon, dans le Trégor, dans le Perche ou encore en Corse. Mais c’est là que la délation et la répression des autorités de Vichy intervient. A posteriori, la traque qu’elles mènent s’avère être une aubaine pour les chercheurs puisque les exemplaires découverts sont adressés, à titre informatif, à la préfecture et sont, dès lors, conservés aux archives départementales. En faire la recherche par le biais des archives du cabinet du préfet prendra certes un peu de temps mais, inutile de la dire, le jeu en vaut la chandelle. Toutefois, on prendra bien garde de ne pas se méprendre : il s’agit là de la voix des alliés, pas nécessairement de l'opinion des populations civiles.
Yves-Marie EVANNO
1 KNAPP, Andrew, Les Français sous les bombes alliées (1940-1945), Paris, Taillandier, 2014 (réed. 2017), p. 288. Pour une synthèse complète, voir dans ce même ouvrage le chapitre 10 « La guerre de propagande », p. 267-301.
2 QUELLIEN, Jean, La Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paris, Taillandier, 2015.
3 KNAPP, Andrew, Les Français sous les bombes alliées…, op. cit, p. 291.
4 Cité dans KNAPP, Andrew, Les Français sous les bombes alliées…, op. cit, p. 295.
5 Archives départementales du Morbihan, 937 W 367, le commissaire de police de Pontivy au préfet du Morbihan, 3 janvier 1944. |