Le Fouet, le journal qui claque les Kollabos

La Libération de la Bretagne, lors de l’été 1944, ouvre une nouvelle période de tensions sur fond d’épuration et de reconstruction. Si cette dernière est nécessairement matérielle en raison des violents bombardements qui ont touché la région, elle s’impose également à la société. En effet, après quatre années d’Occupation allemande, le corps social est profondément divisé entre ceux qui ont résisté et ceux qui sont accusés d’avoir collaboré avec l’ennemi durant quatre longues années.

Le premier numéro du Fouet le 31 décembre 1944. Arch. dép. Morbihan, JO 116.

Le journal Le Fouet témoigne parfaitement des tensions qui dominent en Bretagne à cette période, et plus particulièrement dans le Morbihan. Le 31 décembre 1944, dans son premier numéro, cette publication affirme vouloir s’attaquer à ceux qui « ont fait le jeu du boche d’une manière quelconque ou scandaleusement sympathisé avec lui »1. Mais ce n’est pas tout, il compte également dénoncer « ceux qui veulent encore profiter des circonstances tragiques dans lesquelles nous nous débattons pour réaliser des fortunes par des moyens illégaux et malhonnêtes ». Sans détour, Le Fouet annonce qu’il sera l’hebdomadaire qui « claque et cingle tous les samedis ».

Le rédacteur en chef du journal n’est autre que Louis Simon, ancien capitaine FFI de la région de Plumelec2. Profondément gaulliste, la rédaction prend une tournure résolument partisane. Elle sert notamment de tribune à celles et ceux qui, à l’image de l’abbé Laudrin, souhaitent contester la légitimité des FTP de Roger Le Hyaric dans le Morbihan3. Mais, de manière générale, l’hebdomadaire publie surtout des articles d’auteurs anonymes qui dénoncent publiquement les prétendus « kollabos ». Les femmes qui ont eu des relations amoureuses avec des soldats ennemis sont particulièrement ciblées par ces attaques. Le 11 août 1945, le journal publie ainsi la photographie d’une jeune femme entourée de deux soldats allemands4. Les visages ne sont évidemment pas floutés…

L’hebdomadaire s’attaque également à l’administration. Il assure mener la chasse aux fonctionnaires maintenus en fonction à la Libération, et dont le zèle sous l’Occupation a favorisé l’arrestation de « patriotes ». Il conteste également la légitimité du Comité départemental de Libération, cet « organisme constitué on ne sait pas comment et on ne sait par qui »5. Cette dénonciation sans limite tourne souvent à la calomnie. Lors de l’été 1945, Victor Jaffré, ancien capitaine FFI de la région d’Etel, demande un droit de réponse au journal. Dans une précédente édition, un anonyme l’accuse de ne pas « épurer » suffisamment sa commune. Il répond :

« Il est déplorable de constater, à une époque où notre pauvre pays a le plus besoin de paix et d’union, que des anciens, au lieu d’inspirer le respect et susciter le calme par leur attitude digne, entrent eux-mêmes en scène et tentent de salir par rancune ou toute autre raison d’ordre personnel, des gens qui ont fait leur devoir et même davantage. »

« Un bon tuyau pour les sinistrés », caricature publiée le 16 mars 1946. Arch. dép. Morbihan, JO 116.

La rédaction du Fouet tient compte des reproches qui lui sont adressées. Dès le mois d’octobre 1945, chaque intervenant signe désormais de son nom. En mai 1946, le journal fait amende honorable en reconnaissant avoir frappé « souvent à tort, à travers, sans savoir si toujours la personne attaquée était ou n’était pas vulnérable ». Finalement, alors qu’il ambitionnait de s’étendre à l’ensemble de la Bretagne, Le Fouet cesse de paraître quelques semaines plus tard, en juillet. La Bretagne perd alors un véritable tribunal populaire qui, à défaut d’être objectif, constitue une précieuse source pour l’historien souhaitant étudier le contexte délicat de la sortie de guerre.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Sauf mention contraire, les références citées sont tirées de « Le Fouet. Dénonciations à tout-va », Bretons, hors-série n°10, janvier 2012, p. 66-67.

2 JEGO, Joseph, Rage Action Tourmente au pays de Lanvaux, Plumelec, chez l’auteur, 1991, p. 327.

3 « Réponse aux anciens FTPF », Le Fouet, 16 mars 1946, p. 1.

4 « Vacances à Port-Navalo ? », Le Fouet, 11 août 1945, p. 1.

5 CAPDEVILA, Luc, Les Bretons au lendemain de l'Occupation. Imaginaire et comportement d'une sortie de guerre (1944-1945), Rennes, PUR, 1999.