Un chantier de numérisation méconnu : les archives et travaux du CICR
Depuis sa création en 1863 dans la ville suisse de Genève, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a été le témoin, et parfois même l’acteur, des conflits contemporains qui ont façonné l’ordre international tel que nous le connaissons. Dès sa fondation, la Croix Rouge se donne pour objectif de demeurer une « organisation impartiale, neutre et indépendante » et de ne se vouer qu’à sa « mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des victimes de conflits armés et d'autres situations de violence, et de leur porter assistance. » C’est cette activité humanitaire que nous donnent à voir les archives du CICR, dont un important volume a fait l’objet d’une mise en ligne aussi impressionnante que soignée. Cette numérisation est axée en particulier sur les conflits du XXe siècle : Première Guerre mondiale, Guerre d’Espagne, Seconde Guerre mondiale, conflits liés à la décolonisation, etc. ainsi que de nombreuses archives audiovisuelles liées à des événements plus récents.
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Carte postale. Collection particulière. |
Ces archives en ligne fournissent au chercheur, tout autant qu’à l’amateur, des fragments de l’histoire des populations civiles ou des soldats captifs et internés, ceux qu’Annette Becker a qualifié, dans un ouvrage qui a fait date, d’oubliés de la guerre1. Par exemple, pour La Grande Guerre, nous avons accès aux fiches des prisonniers détenus dans différents camps des belligérants. Ces fiches, certes inégalement renseignées, donnent le plus souvent des détails sur l’origine du prisonnier, son grade, sur les circonstances de sa capture, son état de santé ou les raisons de son décès lorsque celui-ci n’a pas survécu à la captivité. En effet, malgré l’aide humanitaire qui a pu être apportée à certains prisonniers, les conditions de vie restent éprouvantes et la faim et la maladie ravagent les rangs. À titre d’exemple, le site internet met en avant les fiches de combattants allemands, roumains, serbes, français, parmi lesquelles la fiche d’un certain capitaine de Gaulle…2
Une documentation riche et dense relative aux camps d’internement et de prisonniers permet également de prendre connaissance des conditions de détention des soldats et civils pendant la Grande Guerre. On peut ainsi, à loisir, consulter les rapports d’inspection des camps par le CICR, que ce soient des camps bulgares en Macédoine, russes en Asie centrale ou français à l’Ile Longue. Tous écrits en français – langue de travail incontestée de l’organisation jusque dans les années 50 – ces rapports pointent la rudesse de la détention, tout autant qu’ils passent parfois à côté de situations sanitaires critiques soigneusement dissimulées aux yeux des inspecteurs du CICR. Mais ils n’en donnent pas moins une idée de l’ampleur du phénomène de l’internement et de la détention durant la Première Guerre mondiale et montrent comment ces camps ont été des mondes en soi, des villes de détenus à la complexité encore à explorer dans toutes ses nuances. L’ampleur de ce continent longtemps négligé, celui de la détention pendant la Grande Guerre, est d’ailleurs mis en valeur de manière frappante par une carte interactive des différents camps à travers le monde. Outre les rapports, des cartes postales et des témoignages permettent au visiteur du site internet du CICR de mettre des clichés sur des mots et descriptions des inspecteurs.
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Carte postale. Collection particulière. |
Par ailleurs, hormis ces archives numérisées et mises en ligne, le CICR met également à notre disposition des ouvrages et instruments de recherche pour des investigations relatives à l’action du comité pendant la Grande Guerre, au devenir des prisonniers de la guerre d’Espagne ou de la Seconde Guerre mondiale. Mais d’autres conflits sont également mis en avant à travers toute une série d’ebooks et de documents pdf librement téléchargeables et parfois disponibles dans plusieurs langues. Ainsi, le site du CICR met-il à notre disposition tout un volume sur l’action et la transformation de l’institution de 1966 à 1975, années durant lesquelles le comité fut actif au Vietnam, durant la guerre des Six Jours et du Kippour au Moyen-Orient, ou à l’occasion des coups d’État militaires en Grèce et au Chili, et durant la phase de décolonisation portugaise en Afrique australe. Un survol des ressources de ce site permet ainsi de multiplier les échelles d’observation des transformations du monde contemporain, offrant ainsi un regard sur le destin des prisonniers de la Grande Guerre, des civils auxquels la Croix Rouge tente de venir en aide de l’autre côté du Rideau de fer, tout en nous offrant de précieux instruments de compréhension de moments clés de transformation des relations internationales allant de Yalta à la ratification des conventions de Genève.
Gwendal PIEGAIS
1 BECKER, Annette, Oubliés de la Grande Guerre. Humanitaire et culture de guerre, Paris, Hachette, 1998.
2 A ce propos, on n’hésitera pas à se plonger pour de plus amples développements dans NEAU-DUFOUR, Frédérique, La Première Guerre mondiale de Charles de Gaulle 1914-1918, Paris, Texto, 2015. |