Frank Henry, un champion fauché par la Grande Guerre

Lorsque l’on évoque le panthéon des cyclistes bretons, les noms de Bernard Hinault, Louison Bobet, Jean Robic, Lucien Petit-Breton ou encore de Cyrille Guimard viennent naturellement à l’esprit. Tous ont le point commun d’avoir mené une longue carrière qui, en dépit de quelques blessures, leur a permis d’exprimer pleinement leurs capacités. Frank Henry aurait certainement pu appartenir à cette catégorie de coureurs si la Grande Guerre ne lui avait pas été fatale. A 22 ans, il était considéré par de nombreux observateurs comme « l’un de ceux sur lequel se fondaient toutes les espérances » du cyclisme hexagonal .

Frank Henry, à droite, lors de son duel au véoldrome Buffalo contre Octave Lapize. Gallica / Bibliothèque nationale de France: EST EI-13 (309).

François Henry naît le 5 octobre 1892 à Landerneau, dans le Finistère, d’un père français et d’une mère anglaise qui l’appelle affectueusement Frank, diminutif avec lequel il se fera connaître du grand public . Après avoir été embauché comme mécanicien dans sa ville natale, le jeune homme décide de rejoindre la région parisienne. Il y intègre le prestigieux Vélo-Club de Levallois où sont passés avant lui les Bretons Jean-Marie Corre et Lucien Petit-Breton. Paul Ruinart, qui le dirige sur ses premières courses, remarque très vite les dispositions physiques exceptionnelles du jeune homme. Il le qualifie alors de « routier absolument merveilleux, rouleur formidable, excellent grimpeur et sprinter redoutable » .

En 1913, sa première saison dans la catégorie des indépendants, antichambre des professionnels, est couronnée de succès. Il remporte, dans sa catégorie, les plus prestigieuses épreuves parmi lesquelles on retrouve Paris-Tours, Paris-Roubaix ainsi que le championnat de France. Cette victoire lui permet d’affronter, en clôture de la saison, le champion de France professionnel Octave Lapize sur le vélodrome de Buffalo, à Neuilly-sur-Seine, le 12 octobre 1913. Il s’incline finalement après avoir rivalisé, durant de nombreux tours, avec l’ancien vainqueur du Tour de France .

Bénéficiant d’un sursis d’incorporation en septembre 1913, il peut de nouveau se consacrer à la pratique intensive du cyclisme en 1914 . Il décide de rester dans la catégorie des indépendants de façon à s’aguerrir. De nouveau, il rafle presque toutes les courses sur lesquelles il s’aligne, à l’image de Paris-Roubaix qu’il remporte pour la seconde fois à une vitesse équivalente de celle réalisée, un mois plus tôt, par Charles Crupelandt, vainqueur de la course réservée aux professionnels . Quelques semaines après, Frank Henry se montre de nouveau « invincible » sur le Criterium du Midi, s’affirmant « comme le meilleur indépendant de France » et suscitant, chez de nombreux observateurs, le désir de « le voir aux prises avec les professionnels » . Fin spécialiste de la discipline, le journaliste Alphonse Steinès avoue, de son côté, ne pas se souvenir d’un cycliste, de la catégorie des « indépendants ou amateurs », qui « en si peu de temps ait pu se constituer semblable palmarès » . Ses résultats attirent également l’attention de nombreux coureurs professionnels qui assurent que le breton sera « [leur] maître de demain ! » .

Frank Henry à l’issue des championnats de France 1913 en compagnie de Paul Ruinart. Le Miroir des Sports, 2 février 1937, p. 2.

Malheureusement, le destin en décide autrement. A la fin de l’été 1914, Frank Henry est affecté comme motocycliste au Grand Quartier Général avec pour mission de « transporter des plis urgents mais aussi des courriers et des colis au plus près de front » . Le 9 novembre 1914, il est mortellement touché à Courcelles, trois ans avant son ainé Lucien Petit-Breton . Un de ses camarades, témoin de la scène, écrit à Paul Ruinart que « le brillant champion, reçu trois éclats, l’un à la tête, l’autre à la poitrine et le troisième au ventre » . Contrairement à Robert Asse, autre cycliste breton grièvement blessé quelques mois plus tard, les blessures lui sont fatales. L’ensemble du monde cycliste est en deuil. En prophétisant, au moment de la mort du champion, que « son nom ne sera oublié d’aucun de ceux qui l’ont connu », Alphonse Steinès ne se trompait pas . En effet, durant de nombreuses années, la presse sportive regrette ne pas avoir pu voir Frank Henry exprimer son talent au plus haut niveau . Mais lorsque les dernières personnes qui l’ont côtoyé se sont éteintes, c’est aussi le souvenir de Frank Henry qui s’est malheureusement dissipé.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 « Frank Henry n’est plus », L’Auto, 16 novembre 1914, p. 2.

2 En fonction des médias, Frank est parfois orthographié dans sa variante francophone Franck. « Quarante ans de courses et de conseils par Paul Ruinart », Le Miroir des Sports, 2 février 1937, p. 2.

3 Ibid.

4 « Une belle clôture », L’Auto, 13 octobre 1913, p. 3.

5 Archives de Paris, D4R1 1691, matricule n°4024. Il est en effet classé « soutient indispensable de famille » le 2 septembre 1913.

6 « Dans la poussière ensoleillée de Paris-Roubaix indépendants », La Vie sportive du Nord et du Pas de Calais, 24 mai 1914, p. 3. Le fabriquant des « bicyclettes Griffon », qui équipe Frank Henry, précise qu’il a mis 3 minutes de moins. La précision mérite cependant d’être nuancée car la moyenne horaire dépend non seulement des conditions météorologiques mais aussi de l’attitude, plus ou moins offensive, des coureurs.

7 « Cyclisme », Le XIXe siècle, 16 juillet 1914, p. 3.

8 « Frank Henry n’est plus », L’Auto, 16 novembre 1914, p. 2.

9 « Le maillot est rempli », L’Auto, 18 août 1921, p. 2.

10 CHOAIN, Caroline, « Un champion d’une classe exceptionnelle », La lettre du Chemin des Dames, n°23, automne 2011, p. 20-21.

11 SHD / MDH, François dit Frank Henry.

12 « Frank Henry n’est plus », L’Auto, 16 novembre 1914, p. 2.

13 Ibid.

14 Voir, par exemple, « Le maillot est rempli », L’Auto, 18 août 1921, p. 2 ; « Un dimanche cycliste bien rempli », La Liberté, 7 avril 1929, p. 5 ; ou encore, BENAC, Gaston, « Ils étaient cinq de province qui vinrent à Paris parce qu’on n’allait pas vers eux », L’Auto, 17 août 1944, p. 1.