Fred Moore où l’art d’y voir clair

Il est des individus qui semblent avoir le don de distinguer la route à suivre alors que celle-ci, comme obstruée par les soubresauts d’une histoire des plus touffues et des plus incompréhensibles, paraît indécelable. Tel est le cas de Fred Moore, onzième Compagnon de la Libération survivant et décédé le 17 septembre 2017 à l’âge respectable de 97 ans. En effet, tant en 1940 qu’en 1958, il parvient à trouver la voie empruntée par le général de Gaulle.

Fred Moore, jeune homme sportif en 1937. Cliché: blog-picard.fr

Fils d’un officier de la Royal Navy, Fred Moore naît à Brest, au n°91 de la célèbre rue de Siam, le 8 avril 1920. Sa mère, aux ascendances fougeraises et brestoises, rencontre celui qui deviendra son mari en 1913 à l’occasion d’une escale. Le couple se marie en 1916, quelques jours après le début de la bataille de la Somme. C’est pourtant loin de la péninsule armoricaine que Fred Moore grandit puisque son père, retrouvant la vie civile, ouvre un commerce à Amiens, en Picardie. A part ces origines anglaises, rien ne parait prédestiner le jeune homme à une vie des plus extraordinaires, digne des plus incroyables romans d’aventures. Il souhaite devenir opticien et, à dire vrai, tout semble le préparer à mener l’existence morne et conformiste d’un notable de province.

C’est toutefois sans compter un patriotisme chevillé au corps et une faculté à répondre à l’appel de la Nation en armes. En 1940 tout d’abord, et ce par deux fois. Trop jeune pour être mobilisé, il s’engage néanmoins en mai 1940 au 117e bataillon de l’Air stationné à Chartres, en Eure-et-Loir, département dont le préfet est un certain Jean Moulin. Cette expérience est pour autant très brève, trauma de 1940 oblige. Mais elle ne marque nullement la fin de la vie militaire de Fred Moore qui, comme bien d’autres, aurait pu choisir de revenir dans ses foyers et de retourner à la vie civile. De Brest, sa ville natale, il quitte la France avec son frère le 19 juin 1940 à bord d’un modeste voilier et finit par rallier l’Angleterre.

C’est là qu’il s’engage, le 1er juillet 1940, au sein des nouvellement créées Forces françaises libres d’un général alors quasi-inconnu, Charles de Gaulle. Une seconde fois en l’espace de quelques semaines, Fred Moore répond donc à l’appel de son patriotisme. C’est le début d’un parcours remarquable qui, par bien des égards, est une histoire en réduction de la France libre : participation à l’expédition de Dakar en septembre 1940, affectation au sein des troupes du Levant en 1941, campagne d’Egypte puis de Lybie l’année suivante, combats en Tunisie en 1943… Promu lieutenant, il débarque en Normandie en août 1944 et participe à la Libération de Paris au sein de la fameuse 2e DB du général Leclerc. Viennent ensuite les durs combats des Vosges et d’Alsace avant de revenir dans l’Ouest en 1945, afin de participer à la réduction de la poche de La Rochelle.

En 2015, dans la cour d'honneur des Invalides, Fred Moore est alors chancelier de l'Ordre de la Libération. Cliché: Armée de l'Air.

Démobilisé en 1946, Fred Moore s’installe à Amiens, dans la Somme, et ouvre une boutique d’optique, reprenant ainsi le fil d’une vie interrompue par la Seconde Guerre mondiale. Fait Compagnon de la Libération, une distinction créée par le général de Gaulle et attribuée à seulement 1036 personnes, il aurait pu s’installer dans cette confortable vie de notable de province à laquelle tout semblait le destiner. C’était sans compter la guerre d’Algérie. Rappelé au service en mai 1956, il commande pendant quelques mois un escadron de spahis marocains puis revient, définitivement cette fois-ci, à la vie civile. Pour autant, Fred Moore n’en a pas fini avec l’engagement au service de son pays puisque c’est en tant que candidat aux élections législatives, sous la bannière gaulliste, qu’il entend désormais agir. Elu député de la Somme en 1958, il est néanmoins battu en 1962 par le communiste René Lamps. Conseiller technique au cabinet du Ministre de l'Industrie jusqu’en 1964, il est ensuite membre du Conseil économique et social mais sa carrière politique est déjà derrière lui. Revenu définitivement à la vie civile, il retourne à son métier d’opticien en s’engageant notamment au sein d’organisations professionnelles, tant au niveau national qu’européen. Homme discret, ce n’est finalement qu’en 2011 qu’il accède à une certaine lumière médiatique en devenant chancelier de l’Ordre de la Libération. Il en incarne d’ailleurs un tournant majeur puisqu’il en est le dernier patron à, justement, être titulaire de cette décoration. S’estimant trop âgé, il démissionne en effet de ses fonctions en janvier 1917 et passe le témoin au général Baptiste, directeur du Musée de l’Armée. Une manière de transmettre la flamme de la Résistance et de rappeler qu’à l’heure des choix, Fred Moore voit toujours clair.

Erwan LE GALL