Thomas Mac Cormak, Chariot et la propagande nazie

L’opération Chariot est assurément l’un des plus incroyables raids mené au cours de la Seconde Guerre mondiale : dans la nuit du 27 au 28 mars 1942, 345 marins et 264 commandos neutralisent la forme Joubert, dans le port de Saint-Nazaire, privant ainsi la kriegsmarine d’un précieux refuge sur la côte Atlantique. Mais, si les Britanniques n’hésitent pas à largement médiatiser l’exploit, de manière à soutenir le moral d’une population confrontée aux bombardements aériens, la gêne est autrement plus sensible du côté de Vichy. Ce faisant, ce sont bien les limites de la propagande qu’illustrent également ce raid devenu aujourd’hui légendaire.

Le Campbeltown encastré dans la forme Jouvert, le 28 mars 1942, peu avant son explosion. Bundesarchiv.

A Rennes, L’Ouest-Eclair est définitivement à la solde de l’occupant et relaye au lendemain du raid les messages de la Révolution nationale : les paysans sont au cœur de la ligne éditoriale du grand quotidien catholique breton et il s’agit d’ailleurs de leur faire « confiance », eux qui rendent hommage « au Maréchal, chef de l’Etat ». Mais de Chariot, pas une ligne… Idem à Nantes, où l’édition de L’Ouest-Eclair est muette. A Brest, la Dépêche est toute aussi silencieuse. Toutefois, certains des titres de l’édition datée des 28 et 29 mars 1942 sont éminemment instructifs : « 20 bombardiers anglais abattus au-dessus de l’Allemagne et des côtes françaises » ou encore « 151 navires de commerce anglo-saxons coulés en 58 jours dans les eaux américaines ». En matière d’armes de communication, la meilleure défense semble bien être l’attaque… A Lorient, le Nouvelliste du Morbihan rend également compte du conflit en Asie et à Malte, pour mieux glorifier les victoires de l’Axe, et s’en prend en première page « aux bobards de la BBC » sur les ouvriers français travaillant en Allemagne au titre de la Relève.

Toutefois, le déni ne peut pas être éternel et si les éditions du dernier weekend de mars 1942 peuvent arguer de délais de bouclage pour taire l’information, ceci n’est plus possible le lundi suivant. Le Nouvelliste du Morbihan, qui paraît le dimanche, donne le ton dès le 29 mars et annonce en une le « grave échec d’une tentative anglaise de débarquement dans la baie de Saint-Nazaire ». A en croire ce journal, «  de nombreuses unités navales britanniques ont été coulées et les troupes qui avaient réussi à débarquer ont été capturées ou décimées ». Le quotidien fondé par Alexandre Cathrine publie de surcroît un communiqué du « Haut-Commandement de l’armée allemande » qui dit bien la stratégie de l’occupant : ne pas nier l’existence du raid mais en diminuer la portée et, surtout, taire les dommages irréversibles infligés à la forme Joubert, et donc à la kriegsmarine, pour insister sur les pertes britanniques :

« Dans la nuit du 27 au 28 mars, des forces navales anglaises ont tenté un débarquement dans la baie de Saint-Nazaire. Les unités assaillantes ont été prises sous le feu de l’artillerie de marine et de la DCA et ont subi de lourdes pertes. Les forces que l’adversaire avait réussi à débarquer ont été encerclées, grâce à l’action rapide des troupes appartenant à toutes les armes de la Wehrmacht.
Un très grand nombre de prisonniers est resté entre nos mains.
De nombreuses unités navales de l’adversaire ont été coulées, le reste a pris la fuite. »

Sans surprise, à Brest, La Dépêche adopte dans son édition du 30 mars 1942 une ligne parfaitement similaire. Il n’est question que d’un « échec complet » et le journal finistérien prend même les devants en indiquant que « cette opération va maintenant fournir de la matière aux speakers de la propagande de Churchill », message à peine voilé adressé aux auditeurs de la BBC. Assez proche en apparence, l’édition du lundi 30 mars 1942 de L’Ouest-Eclair témoigne en réalité d’un degré supplémentaire de compromission puisqu’il n’hésite pas à affirmer, en rendant compte du « détail des combats » et notamment du Campbeltown transformé en bombe flottante, que « le brûlot manque son but ». Pour le quotidien rennais, Chariot est d’ailleurs une tentative de débarquement, et non une opération visant à la destruction de la forme Joubert. Aussi n’a-t-il au final aucune précision à fournir à son lectorat sur ce point. Publié le 31 mars 1942 en première page, « le récit d’un correspondant de guerre allemand » est tout aussi discret en ce qui concerne les dégâts causés aux infrastructures portuaires nazairiennes, ce qui reste la meilleure manière de les nier.

Le Campbeltown encastré dans la forme Jouvert, le 28 mars 1942, peu avant son explosion. Bundesarchiv.

Au contraire, la presse bretonne aux mains de Vichy, et donc de l’occupant, insiste sur le nombre de prisonniers britanniques capturés par les Allemands à la suite de ce raid. Là n’est pas un hasard mais une manière, bien peu originale au demeurant, de glorifier l’occupant et de dénigrer les Britanniques. Mais le diable se cache dans les détails. Parmi ces captifs se trouve un certain Thomas Mac Cormack. Grièvement blessé à la tête par des éclats de grenade lors de l’opération, il est transféré à Rennes, au siège du Sicherheitsdienst, où il expire finalement le 11 avril 1942, à l’âge de 25 ans. Détail intéressant, L’Ouest-Eclair, annonce son décès dans la rubrique état-civil de son édition du 14 avril 1942. Son convoi mortuaire est même annoncé dans l’édition du lendemain. Mais ce que ne dit pas en revanche le quotidien breton, c’est que l’inhumation a lieu devant une foule importante. Certes, on ne sait si les personnes qui se déplacent à cette occasion savent vraiment ce qui s’est passé à Saint-Nazaire lors de l’opération Chariot. Toutefois, leur présence en dit long sur la sympathie que suscitent les Alliés. Et sur les difficultés qu’éprouvent Vichy et les Allemands à faire en sorte que ces enterrements de soldats alliés ne se transforment pas en manifestation de défiance à leur endroit.

Erwan LE GALL