Voyage au pays des ruines : la nouvelle guerre pèlerins-touristes (1919-1923)

 

Stigmates parmi  les plus visibles de la guerre, les ruines attirent autant qu’elles fascinent.  Dès 1919, les décombres des villes situées sur les fronts de la Grande Guerre attirent des villégiateurs avides d’émotions. Or, entre souvenir et voyeurisme, il n’y a bien souvent qu’un pas prompt à attiser les tensions avec les habitats de ces décombres.

Par Emmanuelle DANCHIN

 

 

La zone de combats est perçue précocement par les acteurs du développement touristique et les membres du gouvernement français comme un espace sacré, vers lequel devront s’organiser la paix revenue, des pèlerinages en provenance de tous les coins de France, d’Europe, mais aussi d’Amérique et d’Océanie. Des mesures sont donc prises dans ce sens dès 1915 afin de « sauvegarder des témoignages  nécessaires à l’histoire, évoquer devant les générations futures trop promptes à l’oubli la tragique leçon des faits, organiser, pour un prochain avenir, le pèlerinage universel aux champs de la guerre mondiale1 ». Ceux-ci sont présentés dans la presse comme les hauts lieux dramatiques qui témoignent par leurs cicatrices – les paysages lunaires, les ruines, les arbres coupés – des ravages de la guerre et comme le symbole du sacrifice du combattant qui a versé son sang et qui, parfois, y a laissé la vie.

Ces espaces sacralisés sont parcourus à partir de 1919 par des soldats récemment démobilisés, des familles – dont un père, un fiancé, un frère, un fils a combattu ou est mort –, des scolaires qui doivent se souvenir ou de simples curieux. Ces premiers déplacements, limités dans l’espace et dans le temps, soulèvent de vifs débats qui révèlent non seulement des enjeux liés à la reconstruction et à la commercialisation des lieux de guerre, mais aussi des tensions entre ces visiteurs. Ces différents aspects seront successivement traités ici.

Les photographies amateurs relatives à ces premiers voyages dans les régions dévastées étant rares – rares car exceptionnellement déposées aux archives et encore actuellement entre les mains des descendants2 – cette étude s’appuiera principalement sur le récit d’un soldat démobilisé qui entreprend de revenir sur les lieux où il a combattu et sur la presse écrite.

Carte postale. Collection particulière.

La présentation du témoignage d’Albéric Cahuet et les guides touristiques illustrés3 permettront dans un premier temps d’aborder différentes facettes d’un « tourisme de champ de bataille » alors en pleine expansion. Les caricatures et les lettres publiées dans la presseéclaireront, dans un second temps, le débat qui se fait jour entre ces visiteurs et qui s’apparente à une guerre opposant les pèlerins aux touristes.

 

Présentation du témoignage et du parcours d’Albéric Cahuet

En juin 1920 paraît dans L’Illustration le récit d’Albéric Cahuet, ancien soldat, qui a déjà mis sa plume au service de l’hebdomadaire, relatant son voyage de quatre jours sur l’ancien front occidental4. L’article rédigé à partir de ses notes personnelles est pour lui le prétexte à soulever la question de l’utilité d’un tel périple. Il est pour nous, un des rares témoignages en langue française publié pendant ces premières années de mise en place d’un tourisme de champ de bataille5.

Un voyage qui s’inscrit dans une tradition plus ancienne

L’appellation « tourisme de champ de bataille » n’entre pas facilement dans la définition classique que l’on donne généralement de cette activité. Le tourisme en effet, dont le nom vient de l’anglais « Tour » qui signifie excursion, voyage de plaisance ou d’affaires, désigne depuis 1878 « [l’]ensemble des déplacements de loisir même si ils ne sont pas toujours de plaisir » et inclut aussi bien les visites familiales que les voyages d’agrément vers des lieux de cure, de sport ou de pèlerinage6. Le « tourisme de champ de bataille » se situe donc à la croisée de toutes ces formes de tourisme, sans être cependant clairement rattaché à l’une des branches de ce secteur.

Cette forme particulière de tourisme ne naît cependant pas avec la Première Guerre mondiale. Déjà au xixe siècle, des conflits ont suscité des déplacements sur les lieux de combats comme Waterloo7 dès 1815, les champs de batailles de la guerre de Sécession pour lesquels l’agence Cook propose très vite des visites organisées, ou encore Paris, qui voit affluer après la guerre de 1870 des provinciaux, des Britanniques et des Américains, désireux de contempler les ruines des bombardements prussiens, versaillais et communards8.

La démarche d’Albéric Cahuet

Souhaitant revoir les fronts de Champagne, d’Argonne et de Verdun où il a « vécu la guerre », Albéric Cahuet s’est adressé à une agence parisienne de voyages9. Elles sont peu nombreuses à cette époque dans la capitale et visent plutôt une clientèle, pour les unes française, pour les autres anglo-saxonne. Il existe bien, à l’adresse des visiteurs individuels qui se seraient risqués à prendre leur voiture ou les trains de pèlerinages10, des offices de tourisme dans les villes étapes – comme à Arras place de la gare, ou plus rarement comme aux abords de Reims sur les champs de bataille mêmes11 – afin de fournir plaquettes12 et autres éléments d’information13, mais ces initiatives sont encore rares et peu structurées14.

« Deux caravanes de touristes au fort de Vaux », photo. Royer, L’Illustration, n° 4033, 19 juin 1920, p. 1.

La Société « Les auto-mails »15 lui fait une proposition de voyage de groupe, qu’il accepte, incluant : les visites guidées, les repas, les nuitées d’hôtels, le transport en voiture de quinze places et les services d’un chauffeur et d’un guide16, tous deux anciens combattants comme c’était souvent le cas après la guerre. Les participants sont des ressortissants français et de pays neutres mus par des motivations spécifiques ; parmi eux : une famille parisienne (le mari, sa femme et sa fillette de douze ans) curieuse de voir les lieux dont la presse a rendu compte tout au long de la guerre, deux Espagnols (un gendre et son beau-frère), quatre Français expatriés de longue date au Mexique et soucieux de visiter les départements ravagés, une ancienne infirmière de la Croix-Rouge souhaitant connaître les fronts où elle n’est pas allée et une commerçante française établie à Barcelone, férue d’ascension et tentée par les sommets de guerre.

Les étapes, l’hébergement et les repas sont prévus à l’avance car les infrastructures d’accueil sont encore rares. L’itinéraire au départ de Paris prévoit de relier : Paris à Reims le premier jour, en passant par Soissons ; Verdun le lendemain, avec au passage la visite de la cathédrale, du fort de la Pompelle et un arrêt sur le chemin des Dames et à Berry-au-Bac ; un bref tour de ville le troisième matin, suivi de la visite du fort de Vaux, de l’ossuaire, de la tranchée des fusils, de la cagna du Kronprinz  avant de gagner Châlons ; et, le dernier jour, une promenade et un déjeuner à Château-Thierry avant de regagner Paris.

Tracé approximatif du voyage d’Albéric Cahuet, réalisée à partir d’une carte empruntée au journal L’Illustration.

La nécessaire visite des champs de bataille ?

Ce récit, publié sur deux semaines17, est l’occasion pour Albéric Cahuet de relater certes son expérience, mais avant tout de soulever deux questions : celle du relèvement des anciennes régions du front par le tourisme et celle des visées pédagogiques des tournées organisées sur les champs de bataille.

Le tourisme comme instrument de relèvement

Albéric Cahuet va dans le sens des professionnels du tourisme en défendant l’idée que la création de lieux d’accueil pour les visiteurs (principalement des chambres chez l’habitant, et des hôtels) permettra, si elle se double d’avance de fonds aux propriétaires, la relance du secteur de la construction et donc « la résurrection des cités mortes18».

La question de la relance de l’économie par le tourisme est soulevée en réalité dès 191419. En effet, l’hôtellerie étant une des industries les plus touchées par les premiers mois de combats, les acteurs de cette branche pensent déjà à favoriser ce secteur créateur d’emplois après la guerre20. L’idée de reprise revient par la suite périodiquement, mais s’attache davantage au problème de la réfection des routes, de l’ouverture de nouvelles voies, qu’à celui du développement d’un tourisme de champ de bataille. Pour autant, la discussion sur la préservation des vestiges de guerre est lancée en 1915 et l’organisation des telles visites en prévision de l’après-guerre commence à être pensée21.

Certains voient dans un tourisme futur bien organisé une manne pour les régions dévastées22. Concernant les capacités d’accueil, l’article 67 de la loi du 18 avril 1919 sur la réparation des dommages de guerre permet concrètement aux habitants de ces régions, s’ils disposent dans leurs habitations personnelles de locaux répondant aux normes d’hygiène prescrites par la Commission départementale, de les louer ou les sous-louer aux visiteurs de passage, après approbation par l’Office nationale du tourisme (ONT)23. La liste des hébergements proposée par les premiers guides illustrés reste malgré tout limitée : deux hôtels par ville étape en moyenne24 ; à peine plus longue pour Reims25 et Verdun26, avec respectivement sept et quatre lieux d’hébergement. Les possibilités de restauration manquent aussi, au point que les mêmes guides recommandent généralement de prendre un repas avec soi pour les excursions d’une journée27.

« Les vestiges de Berméricourt », Guide illustrés Michelin des champs de batailles : Reims et les batailles pour Reims, 1919, p. 152.

75 % des visites en  France en 1919 concernent les champs de bataille28. La captation de ces déplacements, notamment étrangers, est le moyen le plus propice à ramener rapidement, pense-t-on, quelque prospérité. On espère ainsi beaucoup de la venue de ces visiteurs et particulièrement des Américains29. Or face à l’afflux des touristes à venir(1,5 millions d’Américains, nous dit le rapporteur), il reste beaucoup à faire et notamment prendre des mesures pour l’accueil des personnes, l’organisation des pèlerinages dans la zone des armées, l’établissement d’une taxe de séjour, le classement des souvenirs de guerre comme monuments historiques30. Par ailleurs, l’enlèvement des projectiles et le nivellement des trous d’obus sont loin d’être achevés et la plus grande prudence est recommandée pour tous déplacements sur les sites et quant à la manipulation d’objets trouvés. Le guide des chemins de fer du Nord met à ce titre en garde les visiteurs :

« En raison du danger auquel ils s’exposeraient et qu’ils feraient courir à leurs voisins, MM. Les voyageurs sont instamment priés de ne pas toucher aux divers engins ou débris de toutes sortes, fusées, grenades, obus non éclatés, cartouches, qu’ils apercevront en grand nombre, en bordure du chemin de fer et des chemins qu’ils parcourront à pied. Des accidents graves sont déjà survenus à des personnes qui n’ont pas observé ces règles de prudence élémentaire. »31

Il faut également veiller aux voies de circulation : le réseau routier est en piteux état32 et les chemins, quand ils ne sont pas défoncés, manquent de panneaux de signalisation. Des zones restent toujours inaccessibles, et même le train ne s’arrête pas encore partout. Enfin, il est fréquent que l’ampleur des destructions rende difficile l’accès aux sites, ou tout du moins impossible la lecture d’un paysage totalement ravagé. Pour les voyageurs individuels, les guides illustrés sont des instruments essentiels qui présentent un résumé général des opérations, la description des parcours, avec des cartes, des plans et la signalisation de toutes les localités jugées intéressantes. Les descriptions des parcours sont extrêmement précises, mentionnant les numéros des routes, les directions à emprunter, les repères au-delà desquels il faut changer de direction ; les ruines servent souvent de point de repère pour ceux qui cherchent leur chemin. Les champs de bataille au sortir de la guerre sont principalement des champs de ruine et aller sur le front, c’est aussi venir rendre hommage à ces ruines33.

« Les ruines de Brimont », Guide illustrés Michelin des champs de batailles : Reims et les batailles pour Reims, 1919, p. 152.

Des propositions ont parfois été faites, la plupart du temps sous le coup de l’émotion, par les visiteurs eux-mêmes pour aider à la reconstruction. À Verdun, pour permettre le relèvement des ruines, des touristes ont par exemple suggéré le financement des travaux par l’activité touristique elle-même : ce financement pouvant prendre la forme soit d’un droit de passage ou de séjour, soit de l’acquisition d’une maison rachetée ultérieurement par la ville, soit encore d’aides fournies par les cités françaises les moins touchées par la guerre.

Les visées pédagogiques des tournées organisées sur les champs de bataille

« Comment se réfléchiront sur ces visages les angoisses, survivantes en nos ruines, du martyre glorieux que nous avons vécu ? […] Que leur dit-on ? Que leur montre-t-on, et comment ?», se demande à un moment de son périple Albéric Cahuet34. Conscient des limites propres aux anciens soldats devenus guides locaux qui, sans être des professeurs militaires, sont tout de même capables d’apporter des jalons, Albéric Cahuet pense néanmoins que seuls les soldats démobilisés sont à même de témoigner sur place de la guerre : ceux-ci, du fait de leur présence ou de leur participation aux événements, restituent des faits en s’appuyant sur leur mémoire, leur ressenti, et rendent l’événement plus vivant et plus proche. Il se place en cela dans le camp de ceux qui croient qu’un poilu mutilé qui s’est battu pendant des mois dans les tranchées que l’on visite ensuite, ou qu’un civil originaire du pays ruiné, peuvent, par leurs récits, faire vibrer chez les visiteurs ce qu’il appelle « l’émotion du passé, les angoisses douloureuses du présent »35 . De même, il est convaincu que ces passants distraits deviendront de véritables pèlerins si on leur enseigne la beauté latente que recèlent les ruines inertes36. Susciter l’émotion, voire la pitié, par la visite des ruines et le récit du témoin direct, est, selon lui, une des clefs de la réussite des visites qui se mettent en place.

« Au chemin des Dames : des Annamites transportent au nouveau cimetière les restes recueillis sur l’ancienne ligne de feu », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 5.

La guerre est encore bien visible au lendemain de l’armistice, ne serait-ce que par la présence de soldats, démobilisés ou non – affectés à la surveillance des sites, au déminage, au ramassage des corps –, de prisonniers allemands – chargés de travaux de déblaiement, de reconstruction ou de la réfection des routes – que les touristes peuvent croiser en chemin. Elle se manifeste surtout par des paysages bouleversés et par l’ampleur des destructions matérielles. Le déjeuner du premier jour se passe par exemple dans un hôtel à moitié reconstruit de Soissons. En chemin, le groupe a pu constater de visu le difficile retour à la vie des civils logés soit en villages provisoires, soit, quand ceux-ci sont insuffisants, dans les anciens abris militaires. En haut du plateau de Craonne, il croise par ailleurs des travailleurs annamites et chinois, surnommés « les enfouisseurs », des fourgons d’ossements, et sont surpris par le bruit du canon, en réalité produit par les obus déterrés que le génie fait exploser ici et là.

La guerre est présente jusque dans les commentaires des guides qui, comme le fit la propagande durant quatre ans et demi, n’hésitent pas à dénoncer le « crime moderne allemand » commis à l’encontre du patrimoine architectural et de la civilisation en général. À propos de Saint-Jean-des-Vignes, en partie démolie avant la guerre37, ils parlent ainsi d’« effroyables blessures tendues vers le ciel »38 et du supplice des églisesqui « dit tout du caractère sauvage et bestial de la guerre »39.

Ce qui frappe avant tout les membres du groupe ce sont les ruines, le silence des lieux et la désolation. La visite de Soissons est couplée à celles d’autres groupes, et Albéric Cahuet de noter : « les bavardages se taisent devant le grand malheur de l’admirable blessée. On s’arrête longuement. On contemple. On prend des clichés.[…]40». Les terres retournées, marquées par les impacts d’obus étonnent, les amoncellements de gravats, souvent spectaculaires, fascinent, le champ de bataille n’est pas encore un musée.

« Caravane de touristes descendant de la crête de Vauquois », photo. Royer, L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 5.

La nouvelle guerre pèlerins-touristes

Les soldats démobilisés, les familles ayant eu un parent sous les drapeaux et les curieux forment la grande masse de ceux que l’on appelle tantôt « pèlerins» ou « touristes », selon les intentions qu’on leur prête, tantôt « excursionnistes » ou « visiteurs », selon la durée de leur séjour. À ces distinctions, s’ajoutent d’autres qualificatifs fort peu sympathiques – « foules de désœuvrés », « snobs », « pillards malfaisants », « voyeurs morbides » – qui éclairent la manière dont le comportement de certains est perçu.

Visiteurs et motifs de déplacements

La grande majorité d’entre eux se rend sur le front occidental, espace proche et en même temps théâtre décisif des opérations41. Selon leur histoire personnelle, leur appartenance nationale, les liens avec ces territoires, ils se rendent là où leur propre armée s’est battue  voire où eux-mêmes ont combattu – le Pas-de-Calais, l’Aisne, la Marne, la Meuse et l’Alsace pour les Français ; la Somme, le Pas-de-Calais avec notamment Arras, Vimy et Cambrai, mais aussi les Flandres avec Ypres, Passchendaele et Loo pour les Britanniques42 ; Tannenberg dans les premiers temps pour les Allemands43 puis Verdun et les Vosges ; la Marne avec Château-Thierry et Saint-Mihiel pour les Américains – et plus rarement sur l’emplacement de leur ancienne commune. L’attrait des villes martyres et des sites où se sont déroulées des batailles marquantes constitue aussi un élément susceptible d’orienter leur choix qui pourra alors se porter sur Reims, Berry-au-Bac et Verdun (côté français), ou encore Albert, Thiepval et Ypres (côté britannique).

Pour les anciens combattants, revenir sur les lieux qui les ont marqué leur permet de se confronter à leur passé, parfois d’exorciser la guerre, ou tout simplement de rendre hommage à un camarade tué. Les familles retournent quant à elles là où un proche a disparu, à la recherche d’une tombe44. Certaines ont emporté des lettres, des journaux intimes pour les relire sur place, d’autres des fleurs. Quelques-unes prélèvent un élément de l’endroit parcouru : une motte de terre, un éclat d’obus, une pierre, une douille.

Pour les autres, aller sur le champ de bataille relève de la curiosité45. Ils recherchent l’atmosphère et l’expérience d’une guerre vécue jusque l’armistice à distance, par le biais des journaux, des lettres ou des cartes postales. Ils se déplacent pour comprendre la souffrance endurée, pour en tirer des leçons. Les paysages bouleversés confirment ceux maintes fois vus dans les pages des journaux ; les destructions matérielles, le « barbarisme allemand » décrié par la propagande.

Motifs de tensions, la guerre en local : pèlerins-touristes-autochtones

Il existe des frictions entre tous ces visiteurs selon qu’ils sont militaires démobilisés, endeuillés ou simples touristes. Pour les uns, il s’agit d’effectuer un pèlerinage ; pour les autres, une exploration. Un très vif débat voit le jour qui distingue uniquement ces deux catégories. La guerre à peine terminée renaît ainsi sous une autre forme, opposant cette fois-ci ceux qui souhaitent la sanctuarisation des lieux, à ceux qui viennent satisfaire une curiosité qualifiée parfois d’obscène.

Carte postale. Collection particulière.

Le front est un espace sacré, sacralisé par le sang versé, aux yeux de ceux qui ont combattu ou ont perdu un proche. Ce sentiment est d’autant plus fort que sur les 9 à 10 millions de morts de la guerre, un nombre considérable est porté disparu et se retrouve sans sépulture, leur corps n’ayant jamais été retrouvé46. Le sacrifice des soldats tombés les armes à la main doit nécessairement susciter le respect et par extension les lieux eux-mêmes.

La Revue du Touring-club de France et son équivalent britannique, la Traveller’s Gazette47,publient dès 1919 des impressions de voyage et des récits de pèlerins qui entretiennent une certaine sacralisation, mais aussi des lettres de contestation à l’encontre des touristes irrévérencieux. Certaines dénoncent « cette foule des désoeuvrés ou des snobs qui vont là comme ils iraient aux courses », leur nature gouailleuse et turbulente, leur attitude impudique48. D’autres critiquent la curiosité déplacée de ces personnes qui, « arrivant par le train pour jeter un coup d’œil sur les pierres noircies qui rappellent encore le passage des Allemands», se soucient rarement de l’intérêt historique de la ville, et traversent ensuite la grande rue détruite par l’invasion, tandis que le reste leur échappe49.

L’ignorance des touristes, leur grossièreté, leur incorrection, leur attitude blasphématoire sont fréquemment soulignées50. Les explications ne manquent pas - l’absence d’empathie, d’aménagements, le décalage entre le site, ce qu’il évoque et ce que les non initiés peuvent ressentir - ; les solutions non plus - les sensibiliser, leur enseigner la beauté des ruines, les confronter à la parole des témoins, du poilu mutilé qui s’est battu pendant des mois dans les tranchées que l’on visite, ou du civil du pays, victime perpétuelle.

En attendant, des mesures sont prises localement pour permettre des visites en toute quiétude. Ainsi au début de l’année 1921, à Berry-au-Bac sur la cote 108, certains excursionnistes ayant fait preuve d’un manque de tact en manifestant bruyamment leur joie de vivre là où des soldats avaient combattu, des écriteaux sont posés appelant à des comportements de convenance51. L’un, placé à l’entrée ordonne désormais : « Visiteurs ! Respectez ces lieux où de nombreux soldats sont morts pour la Patrie », l’autre à mi-chemin entre les deux cratères rappelle : « Que votre visite soit, pour les héros qui tombèrent en ces lieux, un hommage respectueux rendu à leur mémoire ». Des instructions sont également données à la police afin qu’elle rappelle à l’ordre les visiteurs (surveillance des sites, délimitation d’un périmètre, pose de barbelés, etc.).

Les pèlerins redoutent en même temps la commercialisation des lieux. Elle se manifeste principalement par la vente d’objets et de trophées. Sur de nombreux sites, des débris, des chaussures, des masques asphyxiants, des gourdes, des obus, tout un fouillis d'objets disparates réunis en tas ou épars jonchent encore le sol et sont à portée de main. À Ypres, des souvenirs manufacturés sont en vente dans les magasins et des enfants proposent des armes rouillées, des casques, des grenades, des boutons d’uniformes52. Sur les champs de bataille autour de Verdun, des touristes emportent des os ou des crânes, des ferrailleurs collectent le cuivre et l’acier53. Un écriteau renversé au bord du chemin rappelle pourtant : « Passants, ne vous écartez pas des routes. Le champ de bataille doit rester intact. Ne prenez rien. Chaque motte de terre recouvre une sépulture. Ne la profanez pas »54.

Des voix s’élèvent aussi parmi les sociétaires du Touring-club contre la profanation des ruines : à Reims par exemple, le parvis de la cathédrale est devenu un véritable marché forain55 où se côtoient les auto-cars, garés au pied de la cathédrale, les gravats et les baraquements de souvenirs et de cartes postales.

Mais le front est aussi un espace de vie pour les civils restés ou rentrés précocement sans attendre les autorisations administratives. Ces autochtones échappent au débat pèlerin / touriste, espace sacré / espace profane. Avant tout préoccupés par un quotidien à rebâtir, les habitants de régions sinistrées sont partagés sur le bénéfice qu’ils peuvent tirer de cet afflux de personnes.

Les caricatures parues dans Le progrès civique, hebdomadaire de gauche de tendance radicale et socialiste fondé par Henri Dumay en 1919, résument assez justement les griefs à l’encontre de tous ces visiteurs indésirables. Chaque numéro comporte en général deux à trois dessins de presse, et les contrées dévastées n’échappent pas à la plume des caricaturistes. Rouquayrol, Raoul Guérin et Raymond Pallier sont de ceux qui, au début des années 1920, dénoncent la situation dans ces régions56.

Dessin de Rouquayrol, « Tourisme »,  Le Progrès civique, n° 131, 18 février 1922.

D’un point de vue iconographique, le touriste apparaît toujours vêtu à la dernière mode, rarement seul, le plus souvent en couple ou en groupe. Sa représentation met en avant sans équivoque un sentiment d’aisance, de suffisance. Le contraste est net avec les habitants des pays dévastés, souvent habillés en guenilles, mais ne se réduit pas pour autant au vestimentaire. Il est aussi physique : à l’embonpoint des uns, répond la maigreur des autres, et encore psychologique : soulignant le décalage entre ce que les uns voient et ce que les autres veulent, rappelant le fossé avant-arrière qui séparait déjà pendant la guerre les combattants et les habitants des zones occupées, de ceux vivant hors des zones bouleversées. Notons que la figure du pèlerin est peu présente dans ces caricatures et que la dénonciation porte avant tout sur la dureté de la vie quotidienne dans les zones désormais accessibles. Les ruines sont un simple élément de décor qui permet d’identifier immédiatement les régions dévastées.

Ces caricatures sont là pour dénoncer certes la venue des touristes au milieu des ruines – mais surtout pour soutenir la cause des habitants des régions libérées qui souffrent au quotidien de la pénurie de produits de base et des lenteurs administratives. Elles sont un appel à ne pas oublier les sinistrés.

La critique porte aussi sur les officiels qui viennent décorer de la Légion d’honneur ou de la Croix de guerre57 les villes et villages martyrs qui ont souffert, se sont battus, ou ont résisté comme des soldats. Elles pointent donc plutôt du doigt la dichotomie affectant les pèlerins et les autochtones.

Dessin de Guérin,  « On s’occupe des régions dévastées »,  Le Progrès civique, n° 31,  20 mars 1920.

Alors qu’en 1919 les lieux de combats sont encore massivement retournés et sentent la mort, ils deviennent en quelques années des espaces organisés, « muséifiés », où l’on vient rendre hommage aux soldats plus qu’aux ruines. À mesure que le temps passe, les itinéraires touristiques se restreignent aux champs de bataille de la Marne, d’Albert-Arras-Lens, à Reims, à Verdun et aux forts alentours.

L’opposition entre pèlerins – venus se recueillir – et touristes – comparés parfois à des « voyageurs morbides » – s’efface à mesure que l’état des champs de bataille se modifie. Au départ, les guides encouragent les gens à venir comprendre la souffrance, insistent pour certains sur les destructions perpétrées par les Allemands, voire pour d’autres sur le rôle que l’activité touristique est à même de jouer dans les reconstructions. Par la suite, l’idée des paysages dévastés refrène l’envie de visiter ces lieux et seuls les cimetières ou les tombes individuelles continuent de symboliser le sens du sacrifice.

Emmanuelle DANCHIN

Chercheure partenaire, UMR 8138 du SIRICE

 

 

 

 

 

 

 

1 Pour plus de détails, se reporter à l’article de LEON, Paul, « Les nouveaux monuments historiques. Vestiges et souvenirs de guerre », L’Illustration, n° 3912, 23 février 1918, p. 7-13 (p. 175-181 pour l’édition reliée).

2 À notre connaissance, aucune étude n’a encore été menée sur les albums photographiques amateurs ayant trait à la visite des champs de bataille durant l’entre-deux-guerres. Ces photographies, aujourd’hui entre les mains des descendants, ont pu à l’époque soit faire l’objet d’un album entièrement consacré à l’événement, soit plus généralement être intégrées au sein de l’album familial sur une page consacrée à cet effet. Plus rarement, il arrive de trouver en brocante des positifs sur le sujet quand les albums ont été décomposés et les photographies dispersées pour mieux être vendues à l’unité. La Grande Collecte a certes permis la numérisation d'albums de photos, mais n’a semble-t-il pas pour l’instant vue la publication d'études sur ce point. À noter cependant quelques articles sur la photographie privée comme celui de LAFON, Alexandre, « La photographie privée de combattants de la Grande Guerre : perspectives de recherches autour de la camaraderie », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 91, 2008, p. 42-50 et de DANCHIN, Emanuelle, « Les vues de dévastation prises par les soldats français, britanniques et allemands et mises en albums après la Première Guerre mondiale », in DICKASON, Renée (dir.), Mémoires croisées autour des deux guerres mondiales, actes du colloque de Caen des 27-28 mai 2010, Paris, Politeia, Mare & Martin, 2012, p. 63-84 ainsi que LE GALL, Erwan, « Dans la Chambre claire d’Alexandre Mounicot. Réflexions barthiennes sur un fonds de photographies privées de la Grande Guerre », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°9, hiver 2017, en ligne.

3 Nous nous sommes essentiellement appuyée sur les guides illustrés de la maison Michelin (dix-sept guides illustrés en langue française, autant en  langue anglaise, pour la période 1917-1921) et sur celui de la compagnie des Chemins de fer du Nord et de l’Est, paru en 1921.

4 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 5-7 (p. 365-367 pour l’édition reliée). En février 1919, Albéric Cahuet publie déjà un article, « Les pèlerinages de Verdun », dans lequel il appelle de ses vœux, si les transports le permettent, l’organisation pour l’été suivant de visites destinées aux étrangers sur ce qu’il appelle « les champs de sacrifice et de gloire ».

5 GANGHOFER, Ludwig, Reise zur deutschen Front 1915, Wien ; Berlin, Ulstein, 1915 ; MASEFIELD, John, The Old front line (1917), Bourne End, Bucks, Superbooks, 1972 ; VIAUD, Félicien, Ombres sanglantes. Récit des impressions recueillies sur ce qui fut autrefois l’ancien théâtre des opérations. Ruines, décombres, dévastations, Fontenay-le-Comte, Henri Lussaud imprimeur-éditeur, 1921 ; VARIOT, Jean, « Le bois, Le Prêtre et la croix des Carmes », L’Illustration, n° 4092, 6 août 1921, p. 6-7 (p. 112 ter-113 pour l’édition reliée). JAGIELSKI, Jean-François évoque, plus récemment, un autre cas dans « Un pèlerinage dans les pays aplatis : l’excursion d’Yvonne Bufaumène sur le Chemin des Dames », in EVANNO, Yves-Marie et VINCENT, Johan, Tourisme et Grande Guerre, Voyage(s) un front historique méconnu, Ploemeur, Codex, 2019, p. 255-267.

6 Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Firmin-Didot et Cie, 1878 (7e édition).

7 Se référer par exemple à l’ouvrage de BARRAL, Georges, Itinéraire illustré de l’épopée de Waterloo, guide historique et militaire du champ de bataille, avec les diagrammes de l’auteur et 60 dessins originaux d’Adolphe Hamesse, Paris, Flammarion, 1896.

8 Des guides sont spécialement conçus dans ce sens comme par exemple Itinéraire des ruines. Notices historiques sur les monuments incendiés, 2ème éd. illustrée, Paris, 1871.

9 Quelques agences à Paris se sont spécialisées dans l’organisation de ces visites du front, comme par exemple la Compagnie française du tourisme, située au 32 boulevard des Capucines, qui représente les compagnies de Chemin de fer, de Navigation, la Chambre nationale de l’Hôtellerie, le Syndicat des agences de voyage, la Chambre syndicale des Eaux minérales et des établissements thermaux, les Sociétés de transports sur route et aériens. Elle étudie par avance les circuits, émet les billets et chèques-voyage et propose des prix attractifs. C’est aussi le cas du Bureau de Tourisme Michelin, dont le siège se trouve 99 boulevard Pereire, qui étudie et envoie gracieusement l’itinéraire détaillé des voyages en auto. Il existe également des agences étrangères et d’autres secondaires. L’agence anglaise Thomas Cook possède un bureau 2 place de la Madeleine dès 1921, ainsi qu’au 101 rue des Champs-Elysées, 250 rue de Rivoli et 1 place de l’Opéra.

10 Ces trains circulent dès 1918 le dimanche et le jeudi et relient en aller-retour dans la journée : Paris à Lens en passant par Creil, Amiens, Albert, Arras ; Paris aux champs de bataille de la Somme, accessibles de Péronne par une ligne militaire, avec un premier changement à Ormoy, avant de gagner Péronne en passant par Montdidier, Roye et Chaulnes ; ou encore Paris à Soissons, pour gagner ensuite en autobus le Chemin des Dames.

11 L’agence Thomas Cook and Son possède par exemple des bureaux sur les champs de bataille, à la gare d’Amiens, de Reims et de Verdun.

12 « Itinéraires spéciaux pour les Champs de bataille », Revue du Touring-club de France, n° 317, juillet-septembre 1920, p. 181. C’est le cas par exemple de Ce qu’il faut avoir vu sur les Champs de Bataille.

13 Par exemple, les guides des maisons Michelin, d’Ercour ou de la compagnie des Chemins de fer du Nord et de l’Est. En complément, consulter « Itinéraires spéciaux… op. cit., p. 181.

14 Il est néanmoins possible, en se présentant au bureau de tourisme Michelin au 99 boulevard Pereire à Paris, de faire préparer son voyage en auto, même de l’étranger, en donnant dix jours avant le départ les grandes lignes de son voyage et de recevoir gratuitement un itinéraire détaillé des routes.

15 La Société « Les autos-mails » organise, dès 1918, des visites des champs de bataille de l’Est et d’Alsace-Lorraine. L’agence Thomas Cook propose une visite d’une journée, avec guide compétent, combinant chemin de fer et automobile, pour Reims et la ligne Hindenburg au départ de Paris : Paris-Reims, Berry-au-Bac-Craonne-Paris (150 F) avec le fort de Brimont, Loivre, Sapigneul, Cote 108, Berry-au-Bac, Corbeny, la ferme du Choléra, plateau de Craonne, Craonnelle, Pontavert, Cormicy ; la Somme : Paris-Bapaume-Albert-Paris (190 F)  avec Amiens, Villers-Bretonneux, Warfusée, Abancourt, Proyart, Chuignolles, Chuignes, Faucancourt, Estrées, Villers-Carbonnel, Péronne, Bouchavesnes, Sailly-Saillisel, Bapaume, Le Sars, Flers, bois Delville, Longueval, Mametz, La Boisselle, Contalmaison, Albert ; 2 jours pour les batailles de la Marne : Paris-Château-Thierry, Reims, Soissons, Paris (285 F) ; et Champagne-Argonne en 3 jours : Paris-Reims-Berru, Pontfaverger, Somme-Py, Tahure, ferme Beauséjour, Sainte-Menehould, Varennes, Four de Paris, Romagne, Montfaucon, Cote 304, Esnes, Verdun, fort de Vaux, Douaumont, tranchées de baïonnettes, Dombasle, Clermont-en-Argonne, Tourbe, Suippes, fort de la Pompelle, Moronvilliers, Reims (490 F), avec Paris, Reims, Berru, Pontfaverger, Somme-Py, Mont Moret, ferme Beauséjour, Massiges, Sainte-Menehould, Four de Paris, Varennes, Romagne, Montfaucon, Cote 304, Esnes, Verdun, fort de Vaux, Douaumont, tranchées des baïonnettes, Dombasle, Clermont-en-Argonne, Valmy, Somme-Tourbe, Suippes, Fort de la Pompelle, Moronvilliers, Reims.

16 Le guide, André Thomasset, ancien soldat, a été blessé deux fois en Belgique, avant d’être fait prisonnier et de perdre l’usage d’une main.

17 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 5-7 (p. 365-367 pour l’édition reliée) et « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4033, 19 juin 1920, p. 6-9 (p. 384-387 pour l’édition reliée).

18 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 6 (p. 366 pour l’édition reliée).

19 Voir par exemple BAUDRY DE SAUNIER, L., « Qu’elle devienne industrie nationale », Revue du Touring-club de France, août 1914-avril 1915, p. 21.

20 Dans un premier temps, une vingtaine d’écoles et de sections hôtelières sont fondées en 1915 avec l’appui du ministère de l’Instruction publique et du Commerce. Dans un deuxième temps, la Chambre nationale de l’hôtellerie française est créée en 1917.

21 Sur ce point, nous nous permettrons de renvoyer à DANCHIN, Emmanuelle, Le temps des ruines (1914-1921), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 95-119.

22 BAUDRY DE SAUNIER, L. « Qu’elle devienne… », art. cit., p. 21 ; BALIF, A., « Pour notre revanche », Revue le Touring-club de France, mai-juin 1916, p. 81-85 ; L. A. « Camps-hôtels », Revue du Touring-club de France, mai-juin 1916, p. 94-96 ; « Le mouvement touristique, Revue du Touring-club de France, mai 1918, p. 114-117.

23  La liste de ces logements, avec conditions de prix approuvées par l’ONT était alors disponible dans les mairies. Voir « Loi du 18 avril 1919 sur les réparations causées par les faits de guerre », Bulletin des lois de la République française, n° 14081, p. 1181.

24 À Soissons par exemple, les guides des champs de bataille proposent l’hôtel du Lion-Rouge, rue de la Gare, et l’hôtel de la Croix-d’Or, rue Saint-Christophe.

25 À Reims, le guide consacré à la ville propose sept hôtels, dont quatre boulevard de la République : le Savoy hôtel, le Clardige hôtel, l’hôtel Continental et l’hôtel de Champagne.

26 Outre le Coq Hardi et l’hôtel du Lion d’Or, le guide illustré Michelin propose l’hôtel de la Cloche d’Or, ainsi qu’un dortoir rue Saint-Paul. À Arras, le guide de l’Artois mentionne deux établissements : l’hôtel de l’Univers et l’hôtel du Commerce et à Ypres, un restaurant près de la gare.

27 Se référer par exemple à Souvenir de la Grande Guerre, visite des régions dévastées du Nord de la France, Albert, Arras, Lens, Chemin de fer du Nord, 1919, p. 3.

28 Le nombre de visites ne commence à baisser qu’en 1922, avant de croître à nouveau à partir de 1927. Comme en 1921, les statistiques américaines de New York annoncent, pour le printemps été 1923, la venue de 200 000 Américains à Verdun, ainsi que de 200 000 visiteurs d’autres nationalités, alliés ou neutres.

29 En 1916, Pierre Chabert, conseiller du Commerce extérieur, réalise une étude de 200 pages suite à une mission accomplie en Amérique du Nord dans laquelle il met à plat ses observations de ce qu’est le tourisme en Amérique et de ce qu’il peut et doit être en France. Dans la partie Les Américains en France et en Europe, il passe en revue des questions sur la venue des Américains (pourquoi viendront-ils, comment les transporter) et pour la première fois évoque les pèlerinages vers les champs de bataille.

30 « Séance du 18 février 1918 du Comité des Sites et Monuments pittoresques », Revue du Touring club de France, janvier-février 1918, pp. 36-39. La question de la conservation des vestiges se pose en fait dès 1915, voir DANCHIN, Emmanuelle, Le temps des ruines…, op. cit., p. 95-119.

31 Souvenir de la Grande Guerre, visite des régions dévastées du Nord de la France, Albert, Arras, Lens, Chemin de fer du Nord, 1919, p. 3.

32 Dans les régions libérées après l’armistice, chevaux, voitures et canaux sont hors service temporairement ; restent le chemin de fer et l’automobile. Les chemins de fer ont été ramenés à l’état rudimentaire. Le débit est au début restreint car les nécessités militaires subsistent (transports des troupes, des vivres), le trafic est diminué et les destructions obligent à des manœuvres spéciales (transit sur voie unique, ralentissements, coupures de convois…). En  février 1919, il faut 8 heures pour relier Paris à Lille en train, contre moins de 3 heures en 1914, et 11 heures de Valenciennes pour regagner Paris.

33 Voir à ce propos notre article, DANCHIN, Emmanuelle, « Héroïsation des ruines et des combattants : la mise en place d’un tourisme de champ de bataille (1914-1921) », in AUZAS, Vincent et JEWSIEWICKI, Bogumil (dir.), Traumatisme collectif pour patrimoine. Regards sur un mouvement transnational, Québec, PUL, 2008, p. 237-260.

34 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 5 (p. 365 pour l’édition reliée).

35 Ibid.

36 « Clochers-Pèlerinages », Le Journal des régions dévastées pour la Défense des Sinistrés du Nord et de l’Est, n° 7, 24 juin 1919, p. 108-109.

37 La façade de Saint-Jean-des-Vignes avait déjà été en partie endommagée en 1870 et maintenue en l’état.

38 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4032, 12 juin 1920, p. 6 (p. 366 pour l’édition reliée).

39 Ibid.

40 Ibid.

41 Il existe également des circuits ponctuels dans le Nord de l’Italie, de la Grèce, à Gallipoli ; la distance ne facilite pas l’organisation de ces voyages.

42 De 1920 à 1930, le nombre de touristes anglais allant sur le continent passe de 559 905 à 1 058 936, pour baisser pendant la Grande Dépression et remonter à 1 436 727 en 1937 ; chiffres cités p. 29, par LLOYD, David W., Battlefield Tourism. Pilgrimage and the Commemoration of the Great War in Britain, Australia and Canada, 1919-1939, Oxford-New York, British Library Cataloguing-in-Publication Data, 1998.

43 Les Allemands sont moins nombreux dans la première moitié des années 1920.

44 Imperial War Museu (London), 2008-01-30, ensemble de négatifs relatant le voyage en Belgique d’un jeune homme, de sa mère et de son grand-père partis à la recherche de la tombe du père et qui rendent compte de tous les moments clefs de ce voyage : la traversée en bateau, la visite de villages en ruine, l’arrivée au cimetière, la pose devant la tombe.

45 À notre connaissance, aucun témoignage n’atteste d’un refus de visiter les zones de combat. BRANDT, Suzanne, « Le voyage aux champs de bataille », Vingtième siècle revue d’histoire, vol. 41, 1994, p. 18-22, évoque cependant, côté allemand, les critiques de Karl Kraus pour ces « Reklamefahrten zu Hölle» (« Voyages de publicité pour l’enfer ») et de Kurt Tucholsky qui considère le site de Verdun comme une « usine de guerre ».

46 Le député Louis Marin, dans son enquête parlementaire visant à faire le bilan général des pertes, a estimé à 329 000 le nombre de disparus pour la seule période d’août à septembre 1914 et à 120 000, d’octobre à novembre de la même année. Le front devient vite un lieu qu’il faut repenser et réorganiser et cela commence par la parution de guides, la promulgation de lois…La loi du 29 décembre 1915 autorise la sépulture individuelle et perpétuelle aux frais de l’Etat et jusque là, les corps sont enterrés dans des fosses communes ou individuellement. Sont considérés comme « disparus » : les disparus temporaires - prisonniers, amnésiques - et les morts dont on n’a pas retrouvé les corps, soit qu’ils aient été enfouis sommairement, soit qu’ils aient été pulvérisés par un obus ou rendus non identifiables, soit qu’ils aient été enterrés dans un cimetière, détruit par la suite au cours d’un combat local.

47 La Traveller’s Gazette, de l’agence Thomas Cook, fait suite au Cook’s Excursionist newspaper (1848-1902).

48 « Clochers-Pèlerinages », Le Journal des régions dévastées pour la Défense des Sinistrés du Nord et de l’Est, n° 7, 24 juin 1919, pp. 108-109.

49 DE NOUSSANNE, Henri, « Senlis glorieuse ville de l’ancienne France », Revue du Touring-club de France, n°316, mai-juin 1920,  p. 114-117.

50 La presse anglaise publie aussi des articles sur le comportement déplacé de ces visiteurs qui sont tout sauf de pieux pèlerins. Voir à ce propos les numéros du Daily express des 23, 24, 25, 29 septembre 1919.

51 « Visite des champs de bataille », Revue du Touring-club de France, n° 320, février 1921, p. 72.

52 SCHINCKE, Gerhard, « Eine Reise an die Kriegsgräber in Flandern im Jahre 1927 », MSg/1731, Bundesarchiv-Militärarchiv, Freiburg im Breisgau. Albéric Cahuet fait également mention d’enfants offrant des douilles de 75 et 77 et qui passent leur journée à déterrer des souvenirs dans les anciennes lignes. Dans le groupe, certains ramassent à la butte de Tahure des cartouches et des bandes garnies de mitrailleuses.

53 PROST, Antoine, « Verdun », in Nora, Pierre (dir.), Les lieux de mémoire. La République, la Nation, la France, t. 2, Paris, Gallimard, rééd.1997, p. 1765.

54 CAHUET, Albéric, « Le front après la guerre ou un pèlerinage en auto-mail », L’Illustration, n° 4033, 19 juin 1920, p. 10 (p. 385 pour l’édition reliée).

55 « Rappel au respect des ruines de Reims », août-septembre 1919, Revue du Touring club de France, Séance du 21 juillet 1919, p. 218.

56 Deux dessins sur les touristes et un sur les dévastations sont publiés en 1919. Ces dessins n’accompagnent pas un article en particulier. Beaucoup d’articles pointent du doigt par contre les difficultés économiques de l’après-guerre, la vie chère, les problèmes de logement, mais non du tourisme.

57 27 villes françaises sont  honorées de la Légion d’honneur entre 1919 et 1932 et 2951 villes et villages de la Croix de guerre entre 1917 et 1932, pour faits relatifs à la guerre.