Maurice Roger, Olivier Le Guével et la Grande collecte : plaidoyer en défense d’une initiative emblématique du centenaire de la Grande Guerre

 

Il semble de bon ton de critiquer vertement les résultats de la Grande collecte initiée à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. Certes, l’opération n’est sans doute pas parfaite. Pour autant, Erwan Le Gall a souhaité montrer en quoi elle permet d’accéder à des archives contribuant indéniablement, pour qui veut bien se donner la peine de les exploiter, au renouvellement des connaissances sur ce conflit.

Par Erwan LE GALL

 

La Grande collecte initiée à la fin de l’automne 2013, puis renouvelée chaque année jusqu’en novembre 2018, compte assurément parmi les grandes réussites de ce centenaire de la Première Guerre mondiale1. De partout, des milliers de personnes sont venues confier leurs archives, offrant ainsi à la connaissance des trésors auparavant inexploités. Pourtant, quelques voix historiennes se sont fait récemment entendre pour tirer à boulet rouge sur cette initiative. Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Ecole normale supérieure de Lyon, E. Picard déconseille même à ses étudiants le site Europeana 1914-1918 au motif que c’est « un gigantesque bazar » :

« On a l’impression d’avoir accès à plein de choses, sauf que la première des informations qui intéresse l’historien, à savoir ce qu’est le document, d’où il provient pour en faire la critique, on ne l’a pas. Un des problèmes principaux de la mise à disposition d’énormément de sources sur Internet, c’est qu’elle se fait en règle générale avec une absence d’information sur les conditions dans lesquelles ont été produites et conservées ces sources. Pour former des historiens, c’est la pire des choses qui soit, parce qu’ils ont accès à plein de choses, mais tout le travail de critique de la source qui est à la base du travail de l’historien – qui l’a produite ? Pourquoi et comment est-ce qu’elle est arrivée jusqu’à nous ? Quelles sont par conséquent les sources équivalentes qui ne nous sont pas arrivées, etc. ? – tout ce travail qui permettrait de comprendre comment cette source prend sa place dans un espace plus large est impossible à faire. Prenez ce document numérisé et accessible sur Europeana 1914-1918 : Menu du 13 janvier 1916, téléphonistes du 50e bataillon de chasseurs : potage velouté, salade, dessert ». D’où cela vient ? Où est-ce conservé ? Tout ce que l’on sait, c’est qu’il s’agit d’une archive privée, un ensemble d’aquarelles et de photographies réalisées par un poilu dont on a la date de naissance. Par ailleurs, on nous donne les noms des dépositaires de cette archive. Cela ne suffit pas. »2

Particulièrement sévères, ces propos nous semblent inappropriés eu égard au contexte actuel et, plus encore, infondés sur le plan méthodologique. A l’heure où la polémique sur les « archives essentielles » rappelle combien doit être intime la relation entre historiens et archivistes, combien ces deux professions participent d’une seule et même chaîne visant à produire du savoir sur les sociétés passées, il ne nous semble pas opportun de livrer une telle charge. Les impératifs de la science ouverte sont au moins autant des enjeux de connaissance que de citoyenneté et, face au fake news et autres complotismes en tout genre – que l’on songe ne serait-ce que deux minutes aux ravages des lubies anti-vaccins – c’est bien à une sorte d’Union sacrée qu’il faut au contraire appeler. Surtout, comme dans un malicieux écho de l’été 1914, l’offensive paraît bien outrancière eu égard aux potentialités réellement importantes du corpus réuni à l’occasion de ces Grandes collectes. Certes, et nous en convenons parfaitement, tout n’est pas parfait dans le royaume d’Europeana 1914-1918. Mais quel historien peut sérieusement prétendre fonder une enquête d’ampleur sur des fonds parfaitement homogènes et à la traçabilité intégralement garantie ? N’est-ce pas là au contraire courir le risque d’un archivistic turn sur le quel viendrait se fracasser toute velléité historienne ?

Visuel de la Grande collecte sur le portail FranceArchives.

Parmi les fonds inédits collectés à l’occasion de la Grande collecte figurent les correspondances privées de deux soldats du 47e régiment d’infanterie (RI) de Saint-Malo : l’adjudant Roger, mort de blessures contractées le 4 octobre 1914 devant Mercatel, dans le Pas-de-Calais, et le sergent Le Guével, blessé le 9 juin 1915 au Labyrinthe, au nord d’Arras. Bien entendu, ces sources ne permettent pas à elles seules de dire l’ampleur du premier conflit mondial. Le croisement des documents demeure donc bien l’alpha et l’oméga de la méthode historique. Cependant, ces archives offrent un éclairage neuf, et par le bas, sur quelques aspects déjà bien balisés du conflit et, notamment, montrent combien, en l’espace de quelques mois seulement, la guerre change de nature, s’installant progressivement dans un « siège mutuel »3. En effet, plus que les premiers jours d’août qui relèvent de la mise sur le pied de guerre de l’unité, plus que les semaines dramatiques jalonnées par les meurtriers combats de Charleroi et de Guise qui trahissent l’anticipation erronée de la guerre à venir, plus que le tournant des combats de septembre 1914 autour de la Marne, c’est dans les prémices de ce que J. Horne qualifie de long 19154, aux alentours d’Arras, entre octobre 1914 et juillet 1915, que se joue l’entrée en Première Guerre mondiale du 47e régiment d’infanterie.

Il ne se passe en effet que quelques mois entre les fins prématurées des expériences combattantes de Maurice Roger et d’Olivier Le Guével. Et pourtant, leurs correspondances témoignent de rapports complètement différents au temps, à la géographie du champ de bataille et même aux cadres de compréhension du conflit en cours.

 

Une mort de 1914 : celle de Maurice Roger

Maurice Roger symbolise bien ces vies qui seraient encore invisibles sans la Grande collecte. Parmi les archives livrées ainsi à la sagacité historienne figure ainsi une magnifique photo le montrant élégamment vêtu et jouant au tennis. A n’en pas douter, il compte parmi les membres de la bonne société malouine, ce que ne manque pas de rappeler la courte notice nécrologique que publie le Salut, un journal local, à la fin du mois d’octobre 1914. Présenté comme le dirigeant d’une « importante maison de commerce » de Saint-Malo il « était marié et père de deux enfants [et] allait avoir la joie, à la fin de cette année, de voir naître à son foyer un troisième bébé »5.

Une vie minuscule mais signifiante

Né au Havre le 27 octobre 1883, il est le fils d’un négociant normand6. Son parcours militaire nous est connu par sa fiche matricule, document qui ne laisse entrevoir aucun incident majeur . Déclaré bon pour le service, Maurice Roger effectue son service militaire au 47e RI de Saint-Malo à partir du 16 novembre 1904. Ce n’est que le 12 juillet 1907, après plus de 30 mois de caserne, qu’il est « envoyé en congé », muni de son certificat de bonne conduite et du grade de sergent. Néanmoins, et ce conformément à la législation de l’époque, ses obligations militaires ne s’achèvent pas avec la fin du service militaire puisque Maurice Roger est ensuite placé dans la réserve. On sait d’ailleurs qu’il obtient, le 1er juillet 1907, le « certificat d’aptitude à l’emploi de chef de section dans la réserve ».

Parcours banal donc que celui de Maurice Roger à une exception près : le séjour prolongé qu’il effectue en Allemagne avant son incorporation, puisqu’il est répertorié lors de son passage devant le Conseil de révision comme étant employé de commerce dans la région de Hambourg. Mieux, le 18 septembre 1907, il déclare « vouloir voyager en Allemagne », information jugée suffisamment importante pour qu’elle soit consignée sur sa fiche matricule. Pour autant, si de tels parcours sont rares, ils ne sont pas totalement exceptionnels. Au 47e RI, on connait ainsi le cas d’Alfred Buckhardsmeyer. Directeur de l’école Berlitz de Bochum, il éprouve les plus grandes difficultés à franchir la frontière et à rejoindre Saint-Malo au moment de la mobilisation générale8. De même, on pourrait évoquer le cas du capitaine Prosper Dubois commandant en août 1914 la 7/47e RI puisque, quelques semaines avant la mobilisation générale, cet officier effectue un stage à Cologne… pour se perfectionner en allemand9.

Carte postale. Collection particulière.

Retrouvée grâce à la Grande collecte, la vie de Maurice Roger n’en est donc pas moins révélatrice, pour qui sait exploiter les quelques archives dont nous disposons, de relations franco-allemandes qui, à des  années-lumière de la crise née de l’attentat de Sarajevo, peuvent au contraire être classées au rang des « motifs d’espoir des peuples européens au début de l’année 1914 »10. On mesure donc la rapidité stupéfiante avec laquelle s’enchaînent alors les évènements puisque, rappelé à l’activité par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, il arrive le surlendemain dans une des casernes du 47e RI.

Une redite de Charleroi ?

Pourtant, sans que l’on puisse exactement savoir pourquoi dans la mesure où il n’est pas classé service auxiliaire, Maurice Roger ne compte pas parmi les hommes qui quittent Saint-Malo dans la nuit du 6 au 7 août 191411. Ce n’est en effet qu’à la fin du mois de septembre 1914 qu’il rejoint le front, alors que l’unité occupe des positions situées dans les environs de Reims12. Il s’agit d’une période cruciale pour le 47e RI qui, après les désastreux combats de rencontre de Charleroi le 22 août 1914 et de Guise le 29, enregistre ses premiers succès. Plus significatif encore, c’est à partir du 14 septembre 1914, aux abords du fort de la Pompelle, que l’unité parvient à mettre en place une liaison efficace avec l’artillerie. Notable, ce progrès contraste grandement avec les combats aveugles du mois d’août et marque une étape décisive dans ce long processus qu’est l’entrée en guerre13.

Mais la learning curve qui résulte de cet apprentissage de la guerre réelle, et non plus telle qu’elle est anticipée lors des manœuvres de la Belle époque, n’est pas un processus linéaire. Bien au contraire puisque les combats que mène le 47e RI au sud d’Arras dans les tous premiers jours du mois d’octobre 1914 ressemblent étrangement à ceux menés par cette même unité au mois d’août. Aveuglés tant par le brouillard omniprésent que par le manque de liaison, les Malouins se heurtent brutalement aux colonnes Allemandes et enregistrent des pertes extrêmement élevées, à savoir près de 100 tués à l’ennemi titulaires de la mention mort pour la France en l’espace de 48 heures, les 4 et 5 octobre 191414.

Tués à l'ennemi du 47e RI titulaires de la mention « Mort pour la France », août 1914 - juillet 1915.

Comme bien souvent en histoire militaire, il est difficile de décrire avec précision ce qui arrive à celui qui est devenu l’adjudant Roger, les archives et plus particulièrement le journal des marches et opérations (JMO) du 47e RI ne nous offrant au final qu’une vision globale de l’action de l’unité. La documentation numérisée par les Archives municipales de Saint-Malo dans le cadre de la Grande collecte nous permet néanmoins d’avancer sans trop de risque d’erreurs que Maurice Roger est blessé le 5 octobre 1914, vraisemblablement atteint par un éclat d’obus à la cuisse15. Précisons toutefois que sa fiche matricule ne fait état d’aucune montée en grade, ce qui semble souligner la rapidité de cette promotion sur le terrain et, par la même occasion, les lourdes pertes enregistrées par l’encadrement.

Cependant, grâce à l’adresse qu’il indique sur la correspondance qu’il expédie à sa femme, on sait que Maurice Roger sert au sein de la 6e compagnie du IIe bataillon du 47e RI16. Celui-ci, d’abord placé en réserve de la 20e division d’infanterie (DI), ne rencontre l’ennemi que le 4 octobre vers 4 heures du matin, lors d’une très violente attaque allemande dont le rédacteur du JMO de l’unité nous dit qu’elle provoque « une débandade affreuse de tous les régiments [qui] se ruent vers l’arrière dans le plus grand désordre »17. Parvenant malgré tout à se réorganiser tant bien que mal, le régiment connait une nouvelle journée particulièrement éprouvante, manquant notamment d’être encerclé suite à un recul imputé à des unités de la territoriale. C’est probablement à ce moment-là que Maurice Roger est blessé puisque les archives indiquent qu’à ce moment les obus de 77 et de 105 « convergent », tombant du nord-est, de l’est, du sud et de l’ouest18.

Comme à Charleroi, cet épisode de la Course à la mer ressemble en tous points à un combat de rencontre ou le 47e RI, aveuglé tant par le brouillard omniprésent que le manque de liaison, se heurte dramatiquement aux colonnes allemandes. La seule différence avec août 1914 est que, au lieu de décrocher conformément aux ordres qu’il reçoit, le régiment parvient à se maintenir le long d’une voie ferrée, devant Achicourt.

Une mort caractéristique de l’entrée en guerre

Toutefois c’est manifestement le 13 octobre 1914 que l’adjudant Maurice Roger décède dans un hôpital d’Arras19, victime d’une septicémie gazeuse causée par la gangrène survenue après ses blessures20. Malgré la proximité des combats – l’hôtel de ville brûle le 7 octobre 1914 et le célèbre beffroi est détruit une dizaine de jours plus tard – il n’est pas évacué vers l’arrière, son état étant jugé incompatible avec un transport en automobile21. Ajoutons que ce décès provoque très probablement une douleur d’autant plus vive dans son entourage que les premières nouvelles semblent avoir été plutôt rassurantes, à l’instar de cette lettre du 5 octobre adressée à Marie Roger l’informant que son mari a été « un peu blessé » et qu’il « guérira très bien » de sa fracture à la jambe22. Force est néanmoins de remarquer que les pathologies qui conduisent à la mort de l’adjudant Maurice Roger correspondent largement à ce que l’on peut savoir des atteintes au corps engendrées par la violence qui s’exerce sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. C’est ainsi un éclat d’obus à la jambe qui fauche si gravement ce sous-officier23, comme une métonymie de ces projectiles de la Grande Guerre qui « dilacèrent les corps, broient les membres, détruisent les visages »24, illustration de cette violence inédite qui déferle sur le champ de bataille.

Le séminaire où peut-être Maurice Roger succombe à ses blessures le 13 octobre 1914. Carte postale. Collection particulière.

Mais il y a un autre détail relatif à la mort de l’adjudant Maurice Roger qui est éminemment révélateur des évolutions à l’œuvre en Artois lors de cet automne 1914. En effet, une lettre d’un proche du défunt nous apprend que « par ordre de l’autorité militaire, les morts ont été incinérés, les enterrements étant impossibles pendant le bombardement ». Conscient d’ailleurs du traumatisme que peut susciter cette information, cette personne s’empresse de préciser qu’il ne faut pas que la veuve du sous-officier « le sache ». Or cette anecdote dit bien d’une part la fin d’une gestion des cadavres héritée de l’Ancien régime et, d’autre part, le mouvement émanant de la société civile pour une individualisation des sépultures militaires, jusque-là privilège des seuls officiers supérieurs et généraux25. Là est le paradoxe de cette volonté de personnalisation d’un deuil causé par une violence de guerre aveugle et industrialisée.

 

Une blessure de 1915 : celle d’Olivier Le Guével

Contrairement à Maurice Roger, le sergent Olivier Le Guével ne succombe pas à la blessure qu’il contracte lors des attaques menées par le 47e RI en juin 1915 dans le redoutable Labyrinthe. S’il n’y a aucune explication rationnelle à apporter à cette réalité, on peut néanmoins y voir le symbole de cette année 1915 qui, bien que beaucoup plus meurtrière que les années 1916, 1917 et 1918, l’est moins que ne le sont les six derniers mois de 1914.

Les combats de mai-juin 1915

Il est vrai que les combats de l’été 1915 n’ont absolument rien à voir avec ceux d’octobre 1914. L’attaque du 9 mai 1915 est ainsi caractéristique de la dimension interarmes du combat moderne puisque le 47e RI est soutenu par une impressionnante préparation d’artillerie – lourde, de campagne et de tranchées – ainsi que deux compagnies du génie. D’ailleurs, le terrain n’a plus rien à voir avec celui que foule l’unité lors de la Course à la mer : le champ de bataille est scindé en un complexe réseau de tranchées de première et deuxième lignes, garnies de parapets, pare-éclats et autres pelotes de fil de fer. Les flux de combattants, munis de masques à gaz, sont gérés par des boyaux montants et d’évacuation, le tout dans un paysage lunaire. C’est ainsi qu’un brancardier du 47e RI terré dans une cave décrit dans ses carnets sa cache comme étant « la maison ou plutôt ce qui en reste »26.

Mais, malgré toutes les précautions prises, l’attaque du 9 mai 1915 ne tarde pas à révéler l’avantage décisif que livre à la défense l’équation tactique de la guerre des tranchées. C’est d’ailleurs ce que confirment quelques jours plus tard les assauts menés au sein du fameux Labyrinthe, portion du front décrite comme un dédale « de blockhaus, d’abris, de tranchées et de boyaux »27. C’est à la grenade et à coups de pétards sous des bombardements diluviens que les combats se déroulent et, malgré ces conditions dantesques, le 47e RI parvient à gagner quelques dizaines de mètres de terrain. Une situation qui contraste grandement avec le « terrain libre » de la plaine puisque, sitôt parvenus sur le no man’s land, les hommes sont fauchés par les mitrailleuses ennemies28.

Situations du 47e RI le 10 juin 1915.

Là encore, les archives ne nous permettent pas d’en savoir beaucoup sur les circonstances dans lesquelles Olivier Le Guével est blessé, au mollet gauche d’après ce qu’il indique dans une carte écrite le 9 juin 191529. L’intéressé ne donne en effet que quelques éléments concernant cette journée du 8 juin 1915, expliquant que « les tranchées étaient complètement éboulées par les gros obus » et que pour se dégager il lui a fallu « marcher sur les morts et les blessés »30. Ajoutons d’ailleurs que l’on ne sait pas grand-chose de ce sergent du 47e RI si ce n’est que l’expérience combattante qui est la sienne en cette mi-1915 n’a rien à voir avec celle de Maurice Roger, interrompue à l’automne 1914. D’ailleurs, comme un clin d’œil de l’histoire, c’est le 5 octobre 1914 – jour où donc est blessé l’adjudant du 47e RI – que ce représentant de commerce né à Saint-Malo le 31 mars 1893 est classé « service armé ». Engagé volontaire pour trois ans au 47e RI le 15 mars 1913, il est réformé temporairement le 25 juillet 1914 du fait d’une suspicion de tuberculose et n’est envoyé aux armées que le 16 novembre 191431. Or, contrairement au baptême du feu de Maurice Roger qui doit se comprendre dans le cadre de la grande manœuvre d’enveloppement qu’est la Course à la mer, c’est bien au ras-du-sol, quand ce n’est pas sous terre, et quasi immobile que se déroule la guerre d’Olivier Le Guével, comme il l’explique dans cette lettre du 1er juin 1915 :

« Nous avons essuyé un bombardement assez intense tous ces jours-ci. Aujourd’hui ce serait un peu plus calme. Le 136e qui est à notre gauche a attaqué hier et a été repoussé. Le fourreau de mine que le génie avait préparé n’a pas explosé, les Boches ont encore rigolé une fois de plus. »32

Loin des combats de rencontre d’août et du début du mois d’octobre 1914, la guerre qui se déroule lors de l’été 1915 est faite de maints préparatifs, contribuant largement à la baisse du « moral »33 des combattants lors de chaque échec.

Le dur hiver 1914/1915

Il est vrai que depuis la fin novembre 1914 où ils tiennent des tranchées au nord d’Arras, les hommes du 47e RI ont le temps de parfaitement appréhender le secteur qu’ils occupent et de mesurer l’efficacité des redoutables défenses ennemies. C’est ainsi que le sergent Le Guével note le 3 juin 1915  que «  le 25e a encore attaqué hier au soir du côté de Richaumont mais il n’y a rien à faire de ce côté-là car les Boches ont trop d’artillerie et de mitrailleuses ». Et d’ajouter : « je ne vois pas les Boches chassés de France par la force »34.

Ce propos peut surprendre pour qui ne connait pas l’hiver 1914-1915 que le 47e RI passe au nord d’Arras. Pour l’essentiel, les hommes sont employés à des travaux de terrassement ou de surveillance des lignes mais n’attaquent pas, crise des munitions oblige. C’est à cette époque que le réseau de tranchées se complexifie grandement jusqu’à former une véritable « agglomération militaire » comportant entres autres des « boyaux collecteurs », des « parallèles de départ » ou encore une « place d’armes »35. Un terme qui ne peut qu’interpeller car, progressivement équipés au cours de l’hiver avec la nouvelle tenue bleu horizon, la troupe vit une situation telle que le JMO n’hésite pas à affirmer que « la vie intérieure du régiment se rapproche de plus en plus de la vie de garnison »36. Un propos que ne dément par Olivier Le Guével qui, au début du mois d’avril 1915, explique à ses parents vivre à ce moment « la vie de caserne »37, expression qui tranche singulièrement avec l’expérience combattante qui a pu être celle de l’adjudant Maurice Roger.

Dans Saint-Laurent-Blangy où cantonne le 47e RI lors du printemps 1915. La Contemporaine: VAL 288/061.

Plus significatif encore du point de vue du contraste existant entre les guerres des deux hommes, le sergent du 47e RI adresse quelques jours plus tard une carte postale dont le recto est particulièrement révélateur des changements que la guerre implique pour les corpse. Appartenant au registre patriotique, celle-ci montre un fantassin revêtu de son uniforme 1914 et équipé de son havresac. Muni de son fusil Lebel, il se tient droit, dans une posture qui semble être une parfaite métaphore du patriotisme défensif. Or, si cette allure peut être celle d’un Maurice Roger chargeant en octobre 1914 dans les environs de Mercatel, elle est assurément sans rapport avec la façon dont Olivier Le Guével et ses compagnons d’armes se terrent dans les tranchées pour échapper aux snipers ennemis39. Aujourd’hui bien connue, cette horizontalité des corps est considérée comme caractéristique du warfare moderne. Il en résulte un rapport radicalement différent à la fatigue et, tout particulièrement, à la marche, ce qui parait symboliser l’impact physique de l’entrée en guerre. En effet, là où la troupe du 47e RI souffre de trop marcher lors de l’été 1914, ce que symbolise bien le cas de Félix Blandin, premier mort de l’unité au cours de la campagne victime d’un « coup de chaleur »40, elle peine faute d’endurance suffisante lors des exercices du printemps 1915. C’est ce que rappelle très explicitement le sergent Le Guével dans une lettre adressée à ses parents le 2 avril 1915 :

« Demain samedi nous faisons une marche de 18 kilomètres. L’entraînement nous manque et les hommes se fatiguent vite. Dimanche nous avons l’intention d’organiser un match de football : ça nous rappellera nos anciennes parties des grèves de Chasles. »41

Ce faisant, se dévoile une nouvelle problématique pour cette année 1915 qui est moins celle de l’entrée des hommes en guerre que leur maintien dans ce conflit, de préférence en bonne condition physique. Dès lors, le football cesse de n’être qu’un simple moment récréatif et se révèle être un véritable instrument au service de la cohésion des troupes, puisqu’il s’agit d’un sport collectif, et une échappatoire aux hommes leur rappelant certaines pratiques d’avant-guerre.

Un recrutement encore régional

Cette dernière dimension est essentielle dans la mesure et bien mise en évidence par les travaux classiques de M. Janowitz et E. Shills sur le « groupe primaire »42. Or, plus que quelques visages familiers, celui-ci est aussi pour un homme comme Olivier Le Guével une évocation de la petite patrie.

Régiment breton, le 47e RI recrute en effet encore à l’aube du long 1915 sur le territoire de la 10e région militaire. Certes, les pertes terribles du mois d’août 1914 et des combats du début du mois d’octobre ont fait des ravages dans les rangs et, à Saint-Malo comme ailleurs, on ne tarde pas à recruter nationalement. Pour autant, les effets de ce changement de politique tardent à se faire sentir puisque ce n’est véritablement qu’en 1916 que s’amorce la modification de composition de l’unité43. Or la correspondance d’Olivier Le Guével traduit parfaitement cet état de fait.

Le recrutement du 47e RI. Données compilées à partir de la liste des « tués à l'ennemi » de l'unité titulaires de la mention « Mort pour la France ».

On se rappelle en effet que ce n’est qu’en novembre 1914 qu’il rejoint le front, alors que l’unité se cramponne à ses positions dans le secteur d’Achicourt. Or, voulant rassurer ses parents, Olivier Le Guével explique qu’il n’est pas seul et qu’il a au contraire retrouvé à la 12e compagnie au sein de laquelle il est affecté « plusieurs copains » parmi lesquels « Aubry » et « Maurice »44. De même, il semble bien connaître son supérieur hiérarchique, le sous-lieutenant de réserve Rigaud qu’il désigne comme étant « le fils du notaire »45. Quelques jours plus tard, le 29 novembre 1914, il explique également qu’il « y a plusieurs gens du pays malouins dans [sa] compagnie »46. Dès lors, il n’est pas surprenant que le sergent Le Guével donne quelques détails concernant les nominations d’officiers qui ont lieu à la fin du mois de mars 1915. Pour lui, il s’agit en effet moins de décrire la vie du 47e RI que de donner à ses parents des nouvelles du pays, même si celui-ci se trouve provisoirement au front47. C’est le même principe qui est à l’œuvre lorsqu’il dit être parti à Arras avec le caporal Blanchard et un soldat dénommé Garel puisque le premier est « le fils du menuisier de Saint-Malo » et le second « le fils du boucher »48. Et lorsqu’Olivier Le Guével évoque avec ses parents les pertes dès l’été 1915 subies par le 47e RI lors des combats du Labyrinthe, il écrit :

« Péhu, le neveu de Mme Leclerc. Renaud a été tué, Alliot un de mes camarades de l’USS49 également et sans doute d’autres que je ne sais pas. »

Si les expériences combattantes de Maurice Roger et Olivier Le Guével divergent du point de vue de la réalité du champ de bataille, une dimension demeure, à savoir la composition essentiellement bretonne du 47e RI. En effet, bien qu’amorcé à l’automne 1914, les conséquences du recrutement national ne commencent à se faire ressentir que bien plus tardivement.

 

Entrer en Première Guerre mondiale ?

De fait, les archives Roger et Le Guével invitent implicitement à poser à nouveaux frais la question des temps de l’entrée en guerre, processus compris comme étant l’adaptation à la guerre en cours. Ici, c’est dans la géographie du champ de bataille, dans la compréhension du conflit et, plus encore peut-être, dans le rythme même de celui-ci que la documentation collectée lors de cette Grande collecte se révèlent précieuses.

Un rapport spécifique au temps

Bien que ne se poursuivant que six mois après le décès de Maurice Roger, la correspondance d’Olivier Le Guével dit bien combien l’enlisement dans les tranchées implique un changement radical dans le rapport au chronomètre. Après avoir parcouru plusieurs centaines de kilomètres entre août et octobre 1914, ne restant que très exceptionnellement plus de 24 heures au même endroit, le 47e RI quitte le secteur d’Achicourt à la fin novembre 1914 pour des positions au nord d’Arras, où il reste jusqu’à l’été 1915. Cet immobilisme est tel qu’Olivier Le Guével adresse à ses parents un plan du secteur qu’il occupe, afin que cela leur donne « une petite idée »50. Notons qu’il ne s’agit d’ailleurs pas là d’un cas exceptionnel puisqu’il évoque dans une de ses lettres le cas d’un soldat qui « a attrapé 8 jours de prison pour s’être fait adresser des lettres avec l’indication du lieu 4 Maisons près l’Equarissage », du nom de leur cantonnement51.

Sans pour autant être immobile, puisque le 47e RI continue à se déplacer en permanence mais selon un mouvement qui pourrait s’apparenter à une sorte d’assolement triennal des tranchées52, cette nouvelle expérience combattante est radicalement différente pour les poilus. En effet, si l’entrée en guerre et la période qui s’achève avec les derniers soubresauts de la Course à la mer est une fantastique accélération du temps53, le long 1915 se caractérise lui par un rythme beaucoup plus lent, étiré, pareil par certains égards à celui du temps de caserne. C’est d’ailleurs ce qu’explique Olivier Le Guével dans une lettre adressée à ses parents le 8 février 1915 :

« La situation est toujours la même, nous occupons dans la tranchée toujours les mêmes emplacements et cela depuis près de trois mois. A présent nous avons de bonnes cabanes qui sont moins primitives que dans les débuts. Pour cela, nous amenons dans la tranchée portes, poêles, tables, fenêtres et un tas de bibelots qu’on barbote dans les maisons crapouillées. A la guerre comme à la guerre et le Français en général est assez pillard. »54

Bien entendu de telles pratiques ne sont pas admises par l’autorité militaire – même s’il est indéniable que l’on ferme les yeux dans l’immense majorité des cas – et des sanctions sont bientôt prises. C’est ainsi que le 29 avril 1915 Olivier Le Guével écrit avoir assisté « à une dégradation d’un soldat voleur condamnés aux travaux forcés »55. Or cette anecdote dit bien le ralentissement du temps qui permet à la justice militaire de fonctionner. En effet, le Conseil de guerre de la 20e division fonctionne à partir de l’hiver 1914-1915, sonnant ainsi le glas de la répression extra-judiciaire de l’été 191456.

Après le conseil de guerre. Accusé écoutant la lecture de sa condamnation. La Contemporaine: VAL 459/048.

Ce ralentissement du temps ne s’incarne pas tant dans cette nouvelle guerre dite de tranchées que dans la baisse de mortalité induite par la moindre intensité des combats que l’on peut observer lors de l’hiver 1914-1915. Ainsi, c’est à l’automne 1914 que commence à faiblir le rythme du renouvellement des officiers du 47e RI, bon indice de l’ampleur de la ventilation des troupes imposée par les pertes de la période août-octobre 191457. Or, dans une lettre datée du 29 novembre 1914 Olivier Le Guével nous donne une idée très précise de ce que peut impliquer ce turnover pour les poilus:
« Hier il est arrivé un nouveau détachement du 47e. En fait, le deuxième depuis que je suis là. Je suis presque un ancien à présent. »58

Mise en place de la géographie de la Grande Guerre

Cette nouvelle phase de la guerre implique également une segmentation de l’espace entre arrière et front, division qui ne doit pas nécessairement être comprise comme une frontière imperméable. Au contraire, la correspondance d’Olivier Le Guével montre bien combien les échanges avec les populations civiles sont nombreux.

En effet, la stabilisation des fronts s’accompagne d’un développement des échanges commerciaux entre les poilus et un certain nombre de commerçants des environs. Ceux-ci sont d’ailleurs très importants en ce qu’ils permettent aux combattants de sensiblement améliorer leurs conditions de (sur)vie dans les tranchées. Ayant des problèmes avec sa montre – qui « s’arrête souvent et […] a les pivots usés » – Olivier Le Guével parvient, par l’entremise d’une ordonnance, à l’envoyer en réparation à Arras, chez un horloger. De même, pour le service en tranchées, il se fait confectionner chez un tailleur de Sainte-Catherine un pardessus en sac de couchage59. Enfin, ceux que l’on ne tarde pas à nommer mercantis60, permettent également aux mobilisés d’améliorer l’ordinaire du repas, ce moment essentiel de la camaraderie combattante61. Et c’est ainsi que le 12 février 1915, Olivier le Guével explique à ses parents s’être régalé d’huitres au vin blanc avec « trois autres sergents de [sa] section »62. Bien entendu, tout cela coute cher et cette géographie de la Grande Guerre ne saurait être complète sans inclure les nombreux flux financiers reliant l’arrière aux combattants. La correspondance d’Olivier Le Guével n’en fait pas mystère puisqu’à plusieurs reprises le sergent du 47e RI réclame de l’argent à ses parents, afin de pouvoir subvenir à ces besoins dont on imagine sans peine qu’ils sont essentiels pour le maintien du moral. Ainsi, le 17 mai 1915, après s’être fait raser chez un « coiffeur civil », il avoue que cela lui « a fait plaisir »63.

Distribution de lettres et colis devat le bureau du vaguemestre. La Contemporaine: VAL 296/042.

Mais la correspondance n’est pas que pour les combattants un moyen d’obtenir du numéraire permettant d’améliorer l’ordinaire. Lettres et colis sont également un lien avec la petite patrie et permettent ainsi aux poilus de se relier à leur vie civile, à leur vie d’avant, dans leurs foyers, en famille, en temps de paix. Olivier Le Guével ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il confesse qu’il boirait bien du cidre car dans le Nord, c’est de la bière que l’on trouve, et qu’il demande à ses parents de lui donner « des nouvelles du pays »64. On sait d’ailleurs qu’il reçoit dans les tranchées quelques exemplaires du Salut et de L’Ouest-Eclair65, journaux permettant moins de s’informer quant au conflit en cours que de maintenir ce lien avec la petite patrie. D’ailleurs, dans une carte postale écrite le 7 avril 1915, Olivier Le Guével confesse que « des nouvelles du pays, on en a jamais assez »66.

Une entrée en culture de la Grande Guerre

Compte tenu de son arrivée tardive au front et, plus encore, de la blessure précoce qu’il contracte le 5 octobre 1914, la correspondance de Maurice Roger ne comprend que quelques cartes adressées à sa « chère petite Marie ». Et c’est sans doute pourquoi celle-ci est pour l’historien si précieuse. En effet, l’économie régissant la rédaction sur ces supports de faibles dimensions conduit à n’écrire uniquement que ce qui est très important, pour ne pas dire essentiel. Or, si l’adjudant du 47e RI prend bien le soin de rassurer son épouse, renvoyant ainsi à une fonction essentielle de la correspondance67, il n’oublie pas de décrire le 22 septembre 1914 ce qu’il voit en des termes très durs : « Nous venons de passer en vue de Reims […] mais hélas cette pauvre ville a été la victime de ces vandales »68. Or on sait toute l’importance pour la troupe de l’incendie de la célèbre cathédrale, évènement noté par tous les acteurs dont nous avons le témoignage ainsi que par le rédacteur du JMO du 47e RI69. En effet, cette mention relève sans aucun doute de quelque chose de plus profond qu’un simple fait divers, fut-il de guerre.

Si l’on considère que le recto des cartes postales adressées par les combattants est un élément digne d’intérêt, on ne pourra d’ailleurs que remarquer que parmi celles envoyées à ses parents par Olivier Le Guével, il y en a une représentant l’intérieur détruit par la « guerre 1914-1915 » de l’église de Vermelles et une autre montrant l’église de Saint-Laurent Blangy détruite par le bombardement70. Un élément qui semble ici d’autant plus important que l’on sait ce sergent croyant et pratiquant71. De même, les cartes postales représentant les destructions de la ville d’Arras ou, a contrario, le moulin de Blangy avant la guerre, paraissent devoir être tenues comme des bons indices de la grille de lecture du conflit en cours opérée par le sergent Le Guével72. Aussi n’est-ce sans doute pas étonnant qu’après avoir été à Arras au début du mois de mars 1915 il s’empresse de confirmer à ses parents que « le quartier de l’hôtel de ville était complètement démoli »73. En d’autres termes, ces atteintes à des bâtiments aussi symboliques que des églises, la cathédrale de Reims ou encore le célèbre beffroi d’Arras – un événement consigné dans ses carnets par Louis Leseux, un brancardier du 47e RIe – participent d’un changement de paradigme interprétatif du conflit en cours ou, énoncé autrement, du passage d’une protoculture de la Première Guerre mondiale essentiellement basée sur le souvenir de 1870 à une culture de la Grande Guerre proprement dite. Or c’est précisément au début de ce long 1915 qu’intervient ce passage, comme si 1914 comprise comme l’année du mouvement était indissociable d’un cadre interprétatif du réel structuré par la mémoire de l’Année terrible75. Et cela n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si c’est en 1915 que nait l’expression « Grande Guerre »76, comme pour mieux symboliser l’entrée définitive dans ce conflit.

Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 13 avril 1915.

Certes, Europeana 1914-1918 et les Grandes collectes organisées à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale ne sont probablement pas sans défaut. Toutefois, et sans nullement nier tous les écueils méthodologiques qui pourraient se présenter face au regard historien, l’immense corpus réuni nous semble porteur de nombreuses promesses. Anodines, minuscules mais ô combien signifiantes, pour faire écho aux propos de l’historienne M. Perrot77, ces archives numérisées nous permettent ainsi d’appréhender le parcours de l’adjudant Maurice Roger et du sergent Olivier Le Guével qui tous deux servent au 47e RI et voient leur expérience combattante interrompue dans les environs d’Arras, à huit mois d’écart. Tout porte à croire que sans la Grande collecte, ces deux trajectoires, que seules deux fiches matricules parmi des dizaines de milliers permettaient de saisir, seraient restées dans l’ombre, comme perdues à jamais.

Mais, au-delà de ces parcours individuels, ce sont quelques-unes des modalités de l’entrée en Première Guerre mondiale que permettent d’entrevoir ces documents inédits. Ce faisant, ils contribuent à souligner l’importance de cette période charnière que sont les premiers mois du long 1915, année trop souvent délaissée au profit de 1914 ou 1916.

Au final, Maurice Roger et Olivier Le Guével rappellent combien une opération comme la Grande collecte rend la médiation historienne indispensable. En effet, tout le paradoxe des corpus hétérogènes comme ceux-ci est que, malgré leur unicité, ils doivent pouvoir être inséré dans des séries documentaires beaucoup plus larges afin de pouvoir les re-contextualiser et de réinsérer ces histoires familiales dans la grande Histoire. Il y a là bien entendu un enjeu de connaissance mais pas uniquement. L’une des leçons majeures du cycle mémoriel 2014-2018, qui rappelons-le ne prendra fondamentalement fin qu’en 2045 avec les centenaires de la capitulation sans condition du IIIe Reich et des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, est de rappeler que la commémoration ne pourra désormais plus se penser sans puissant volet digital. Gageons que d’autres Grandes collectes prendront une place majeure dans les dispositifs qui seront mis en place.

Erwan LE GALL

Doctorant, Arènes UMR 6051.

 

 

 

 

 

 

 

1 Cet article est pour une large partie tiré d’une communication prononcée le 21 novembre 2014 devant la Commission française d’histoire militaire. Nous souhaiterions d’ailleurs profiter de l’occasion pour remercier Marc Jean et l’ensemble des personnels des Archives municipales de Saint-Malo pour leur travail formidable et sans lequel cette contribution n’existerait pas.

2 PICARD, Emmanuelle [entretien réalisé avec le 28 janvier 2016 à Lyon], « L’histoire n’est pas un bien qui n’appartiendrait qu’aux historiens », in BEAUDOIN, Valérie, CHEVALLIER, Philippe et MAUREL, Lionel (dir.), Le web français de la Grande Guerre. Réseaux amateurs et institutionnels, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018, p. 212-213.

3 SAUNDERS, Anthony, Trench warfare, 1850-1950, Barnsley, Pen & Sword, 2010, p. 8. Pour de plus amples développements à l’échelle du 47e RI on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014, étude réalisée avant que ne soient connues les archives de Maurice Roger et Olivier Le Guével.

4 HORNE, John (dir.), Vers la guerre totale, le tournant de 1914-1915, Paris, Tallandier, 2010, p. 79.

5 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, photo et coupure de presse.

6 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, acte de naissance.

7 Arch. dép. I&V : 1 R 1967.184.

8 A propos d’Alfred Buckhardsmeyer on renverra à la notice publiée en ligne au sein du dictionnaire des officiers du 47e régiment d’infanterie : http://enenvor.fr/dico_bio_47/b.html

9 Idem : http://enenvor.fr/dico_bio_47/d.html

10 PORTE, Rémy, 1914. Une année qui a fait basculer le monde, Paris, Armand Colin, 2014, p. 24-25.

11 Sur cette période on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Mobiliser le 47e régiment d’infanterie : 2-7 août 1914 », Mémoires de la Société historique et archéologique de l’arrondissement de Saint-Malo, Saint-Malo, Société historique et archéologique de l’arrondissement de Saint-Malo, 2015, p. 12-35.

12 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, cartes postales des 21,22 et 23 septembre 1914.

13 Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit.

14 BAVCC/Mémoire des hommes.

15 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du sous-lieutenant Beaudoin datée du 30 octobre 1914. A propos de cet officier on renverra à http://enenvor.fr/dico_bio_47/b.html

16 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du 3 octobre 1914.

17 SHD-DAT : 26 N 636/13, JMO II/47e RI, 4 octobre 1914.

18 LE GALL, ERWAN, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 117-123.

19 Il est difficile d’identifier avec certitude cet établissement. La fiche de mort pour la France de Maurice Roger fait mention d’une « ambulance 9/1 » qui pourrait se situer au sein du séminaire d’Arras, conformément à ce qu’indique un proche de la famille dans une lettre adressée à sa veuve. Mais, un avis adressé par le Comité d’Arras de la Société française de secours aux blessés militaires à cette femme fait mention de l’hôpital auxiliaire n°7 situé au 26 de la rue des Promenades. BAVCC / Mémoire des hommes et Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du 29 octobre 1914 du docteur René Tizon à Marie Roger et avis du Comité d’Arras de la Société française de secours aux blessés militaires.

20 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du 29 octobre 1914 du docteur René Tizon à son oncle.

21 Ce qui recoupe par ailleurs ce que l’on sait de l’organisation du système de santé en 1914. Sur la question, se rapporter notamment à VIET, Vincent, La Santé en guerre 1914-1918. Une politique pionnière en univers incertain, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015. BOUFFORT, Daniel, « Les formations sanitaires dans une place militaire de l’arrière, Fougères 1914-1918 », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°4, été 2014, en ligne rappelle que « tout porte à croire que les blessés graves décèdent avant d’arriver dans un établissement sanitaire de l’arrière tel que ceux de la région de Fougères, c’est-à-dire dans une ambulance à proximité des lignes ou dans un des hôpitaux d’évacuation de la zone des armées ».

22 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du 5 octobre 1914.

23 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, lettre du 29 octobre 1914 du docteur René Tizon à son oncle.

24 DELAPORTE, Sophie, « Médecine et blessures de guerre », in AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Jean- Jacques (Dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Bayard, Paris, 2004, p. 347.

25 CAPDEVILA, Luc et VOLDMAN, Danièle, Nos Morts, Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Payot, Paris, 2002, p. 64-86.

26 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 130-134.

27 « Les combats de Neuville-Saint-Vaast », Le Petit parisien, n° 14 080, 18 mai 1915, p. 2.

28 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 135-136.

29 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 9 juin 1915.

30 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre datée Avranches, Samedi 3 heures.

31 Arch. dép. I&V : 1 R 2139.439.

32 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 1er juin 1915.

33 Sur ce terme que l’on emploie ici faute de mieux et de manière certainement paresseuse on renverra à LOEZ, André, « Pour en finir avec le moral des combattants », in MURACCIOLE, Jean-François et ROUSSEAU, Frédéric (dir), Combats, hommage à Jules Maurin, Paris, Michel Houdiard éditeurs, 2010, p. 106-119.

34 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 3 juin 1915.

35 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 189.

36 SHD-DAT : 36 N 636/6, JMO 47e RI, 12-20 février et 21 mars 1915.

37 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 2 avril 1915.

38 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 29 avril 1915.

39 Sur cette question AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne XXe-XXIe siècle), Paris, Seuil, p. 275-276.

40 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 162-163.

41 Les grèves de Chasles sont un quartier de Saint-Servan. Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 2 avril 1915.

42 JANOWITZ, Morris & SHILLS, Edward A., « Cohesion and disintegration in the Wehrmacht in World War II », Public Opinion Quaterly, Vol. 12, n°2, Summer 1948, p. 280-315. BARTOV, Omer, L’armée de Hitler, les soldats, les nazis et la guerre, Paris, Hachette, 1999 invite néanmoins à ne pas tomber dans une compréhension trop mécanique de l’endurance au combat des unités et invite à ne pas négliger la dimension culturelle de la guerre que mène la Wehrmacht à l’Est. Dans le cadre d’une enquête portant sur la Grande Guerre, cette analyse n’est pas sans faire écho aux débats qui ont longtemps scandé le champ académique.

43 Sur cette question, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Saint-Malo, la Bretagne, la France : des multiples inscriptions territoriales du 47e régiment d’infanterie », in BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan (dir.), Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 63-79.

44 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 16 novembre 1914.

45 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 22 novembre 1914. A propos du sous-lieutenant de réserve Rigaud on renverra à la notice publiée en ligne au sein du dictionnaire des officiers du 47e régiment d’infanterie : http://enenvor.fr/dico_bio_47/r.html

46 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 29 novembre 1914.

47 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 3 avril 1915. Il s’agit des sous-lieutenants Gaudeul et Saint-Mleux dont la notice biographique peut être lue en ligne sur le dictionnaire des officiers du 47e RI

48 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 6 mars 1915.

49 Il s’agit de l’Union sportive servannaise, club de football de Saint-Servan très réputé avant-guerre.

50 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 9 janvier 1915.

51 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 6 février 1915.

52 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « La guerre comme série de mouvements ? Analyse à partir du cas 1914-1918 », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°3, hiver 2014, en ligne.

53 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit.

54 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 8 février 1915.

55 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte du 29 avril 1915.

56 Sur cette question LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., ainsi que, pour un cadre plus général, BACH, André (général), Fusillés pour l’exemple, Paris, Tallandier, 2004 et SAINT-FUSCIEN, Emmanuel, A vos ordres?, La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Editions EHESS, 2011. 

57 Sur cette question LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit., p. 213-220.

58 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 29 novembre 1914.

59 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 5 mars 1915.

60 Sur cette question se rapporter à BOULOC, François, Les profiteurs de guerre 1914-1918, Paris, Complexe, 2008, p. 21-31.

61 Sur cette question LAFON, Alexandre, La camaraderie au front, 1914-1918, Paris, Armand Colin, 2014, p. 251-261 ainsi qu’à la stimulante réflexion de LE BRAS, Stéphane, « Business as usual? Société de consommation et Grande Guerre. L’expérience des camions-bazars dans l’armée française », Histoire, économie & société, 37e année, 2018/3, p. 96-117.

62 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 12 février 1915.

63 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 17 mai 1915.

64 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 22 novembre 1914.

65 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettre du 4 avril 1915.

66 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 7 avril 1915.

67 PROCHASSON, Christophe, 14-18 Retours d’expériences, Texto, Tallandier, Paris, 2008,  p. 209-239.

68 Arch. mun. Saint-Malo : fonds adjudant Maurice Roger, carte du 22 septembre 1914.

69 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Investir la culture de guerre du premier conflit mondial ? Le 47e régiment d’infanterie au fort de la Pompelle, 13-17 septembre 1914 », Bulletins et mémoires de la Société archéologique & historique d’Ille-et-Vilaine, Tome CXVI, 2012, p. 261-286.

70 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, carte postale du 14 juin et 27 avril 1915.

71 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettres du 3 et 4 avril 1915.

72 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, cartes postales du 13 et 27 avril, 17 et 23 mai et 3 juin 1915.

73 Arch. mun. Saint-Malo : fonds Olivier Le Guével, lettres du 6 mars 1915.

74 Carnet de guerre de Louis Leseux, brancardier, musicien et téléphoniste de la compagnie hors rang du 47e régiment d’Infanterie, www.chtimiste.com

75 Sur la notion de protoculture de guerre on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Eriger 1870 en fondement d’une protoculture de la Première Guerre mondiale : l’exemple breton », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°4, été 2014, en ligne.

76 AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, « 1915 : enlisement », in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale. Tome 1 : Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 79.

77 PERROT, Michelle, Mélancolie ouvrière, Je suis entrée comme apprentie, j’avais alors douze ans…., Lucie Baud, 1908, Paris, Grasset, 2012, p. 14.