1958 : année écolo ?

Période de reconstruction et de plongée tous azimuts dans la modernité, les années 1950 sont, en Bretagne comme dans le reste de l’hexagone, celles du triomphe du moteur, du béton et de la domination de la nature incarnée par l’agriculture productiviste. Considérée a posteriori, l’année 1958 marque pourtant une rupture majeure : l’émergence de revendications environnementales et le début d’une prise en compte des questions liées au vivant. Certes, on est encore loin de  l’avènement de l’écologique politique et de l’accession d’un Brice Lalonde aux plus hautes responsabilités. Charles de Gaulle n’est pas René Dumont et sa conscience écologique paraît avoir été proche du néant. Mais 1958 se caractérise pourtant par quelques signaux dont l’ampleur ne fait que se confirmer par la suite1.

Rennes dans les années 1950: le règne de la voiture. Carte postale. Collection particulière.

Comme souvent en France, l’assiette est un bon révélateur de ce vent nouveau qui commence à souffler. La table est en effet le bon symbole d’une production agricole, et donc d’une alimentation, qui, de plus en plus industrialisée, se standardise et, par conséquent, perd en qualité. Tout autant symbole de diversité zoologique que mets traditionnel dans le pays de Rennes, la poule Coucou en est un bon exemple, elle qui justement manque de disparaître, sacrifiée sur l’autel d’une rentabilité moindre. On pourrait également évoquer, dans le même ordre d’idée, la Bretonne Pie-Noire, vache qui subit de plein fouet l’invasion de la plus lucrative Prim’Holstein.

Pourtant, c’est bien au cours de ces mêmes années 1950 que l’on repère en Bretagne les premières exploitations converties à l’agriculture biologique. A Rennes, Norbert Maudet ouvre rue de Paris L’aliment naturel, magasin faisant véritablement figure de pionnier dans le commerce de produits biologiques. Preuve qu’il s’agit là d’une tendance de fond, et non d’un épiphénomène plus ou moins lié à une vogue temporaire, la filière s’organise et s’institutionnalise avec la création, en 1958, à Nantes, du Groupement d’agriculteurs biologiques de l’Ouest.

Mais si 1958 est une année aussi importante pour l’histoire de l’écologie en Bretagne, c’est qu’elle est aussi celle de la naissance d’une véritable institution : la Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne (SEPNB), devenue par la suite l’association Bretagne Vivante et déclarée d’utilité publique en 1968. Fortement ancrée dans le Finistère, moins dans les Côtes-du-Nord et l’Ille-et-Vilaine, l’association témoigne d’une sensibilité accrue aux questions de préservation et de sauvegarde de l’environnement et contribue au développement de la notion de patrimoine naturel en Bretagne. D’ailleurs, c’est en 1959, au Cap Sizun, qu’est instaurée la première réserve naturelle de la péninsule armoricaine.

La réserve du Cap Sizun. Carte postale. Collection particulière.

Mais c’est probablement sur le long terme que se mesure le mieux l’impact de la SEPNB sur le développement de l’écologie politique en Bretagne. En effet, aux origines, cette association ressemble plus à une vénérable société savante de naturalistes qu’à un groupement d’activistes façon Greenpeace. En témoignent les nombreux universitaires brestois qui président aux destinées de l’association qui, du même coup, devient un véritable creuset de l’écologie politique en Bretagne, formant des générations de militants.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 Pour une synthèse sur la question on renverra à l’excellent KERNALEGENN, Tudi, Histoire de l’Ecologie en Bretagne, Rennes, Editions Goater, 2014.