8 mai 1972 : la fin de la grève du Joint français

« Il aura fallu 8 semaines de grève, une dizaine d'entretiens avec le Préfet des Côtes du Nord, 3 négociations avec la Direction, des heures et des heures de discussion pour aboutir enfin à l'accord de samedi dernier, accord qui a donc été ratifié aujourd'hui par la majorité des ouvriers du joint français. »1

Nous sommes le 8 mai 1972 et la grève du Joint français vient de prendre fin. Par 641 voix contre 191, les ouvriers arrêtent un conflit social débuté le 13 mars, quand ils « demandaient une augmentation des salaires de 70 centimes par heure de travail et un treizième mois ». Mais loin de ne rester qu’un conflit à distance avec la direction parisienne qui avait décentralisé son usine à Saint-Brieuc en 1962 ; la grève prend une dimension  nationale au cours  du mois d’avril, notamment grâce à une photo devenue iconique qui met aux prises un manifestant et un CRS.

Manifestation à Saint-Brieuc lors de la grève du Joint français. Archives Ouest-France.

Au-delà de ce cliché, si la grève du Joint français demeure aussi bien accrochée à nos mémoires, c’est aussi parce qu’elle se termine par une victoire pour les ouvriers briochins. En effet, même si  leurs revendications ne sont pas totalement satisfaites, « ils ont [tout de même] obtenu 65 centimes d'augmentation en deux étapes et une prime fixe de fin d'année de 325 francs. » Le journaliste de l’ORTF qui relaye l’information juge que si « ces chiffres ne sont pas à première vue très élevés et pourtant c'est déjà beaucoup pour un OS [ouvrier spécialisé] du Joint, qui gagne en moyenne entre 800 et 1000 francs par mois dans cette usine  […] qui emploie 1000 personnes dont 60% de femmes ».

En outre, la grève du Joint français a débordé du cadre des simples revendications d’ouvriers d’usine. Comme le raconte le journaliste : « un très long conflit donc s'est terminé aujourd'hui, un conflit qui a posé une nouvelle fois le problème de la décentralisation parisienne, une décentralisation pas toujours aussi simple qu'on veut bien le dire et qui ne va pas sans poser de problèmes notamment en ce qui concerne la main-d’œuvre et les salaires. »

Ces décentralisations parisiennes  des années 1960 étaient pourtant censées apporter la modernité en province, et en Bretagne plus particulièrement grâce au lobbying du CELIB. Cette modernité s’incarnait alors dans un discours politique qui accompagnait l’implantation d’industries de pointe  en Bretagne : l’usine Citroën de Rennes-La Janais, la centrale nucléaire de Brennilis, le radôme de Pleumeur-Bodou, ou bien le Joint français à Saint-Brieuc.
Cependant, au  cours de la décennie 1970, ce discours passe de moins en moins auprès de Bretons qui développent des revendications régionales. A Saint-Brieuc, au printemps 1972, celles-ci s’incarnent dans « un élan sans précédent de solidarité régionale » :

« Pendant 2 mois, les paysans et les commerçants de la région ont apporté viande, légumes et fruits. Pendant 2 mois, chaque dimanche, on quêtait à la sortie des églises pour les familles des ouvriers, pendant 2 mois et à tour de rôle, les municipalités de la région votaient des crédits exceptionnels. Pendant 2 mois enfin, galas de variété, représentations théâtrales et matches sportifs venaient gonfler la caisse des grévistes. A l'heure qu'il est près d'un million de nouveaux francs ont été récoltés et redistribués aux familles des ouvriers. »

Lors de la grève du Joint français. Collection particulière.

Un discours régionaliste se déploie même lors des concerts de soutien. C’est notamment Gilles Servat qui consacre une chanson à la grève : «  Ouvriers du Joint français / Paysans des grèves du lait / Vos actes sont la semence / D’où germent nos espérances ». Plus qu’un puissant symbole, cette chanson dit bien le glissement des luttes. Face aux difficultés qui frappent la décennie 1970, les revendications sociales et  économiques perdent peu à peu de la voix. C’est de plus en plus sur le terrain culturel que se joue le régionalisme. Par exemple, le combat  pour la langue  bretonne reprend de plus belle avec la création des premières écoles Diwan. Et d’ailleurs, en 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing ne fait pas autre chose quand il accorde une charte culturelle aux Bretons ; quand ses prédécesseurs délocalisaient, quant à eux, des usines de région parisienne vers la Bretagne.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Fin de la grève au Joint Français à Saint Brieuc », Journal de 20h, ORTF, 8 mai 1972, en ligne.