Le village de Poul-Fétan : symbole d’une patrimonialisation nostalgique d’un monde rural révolu

« Poul-Fétan est un village vide, un village abandonné depuis 10 ans ». On est alors en 1977 et le journaliste de FR3 déambule dans un village fantôme : pas âme qui vive, maisons en ruine et végétation anarchique1. Au même moment, Quistinic, petite commune morbihannaise du Centre-Bretagne, vient de racheter ce lieu-dit situé non loin du Blavet pour en faire une sorte d’écomusée de la vie paysanne traditionnelle. Entre nostalgie et volonté de développement touristique, cette histoire raconte beaucoup de la prise de conscience par les Bretons qu’un monde rural ancien est définitivement parti.

Vue aérienne de Poul-Fétan dans les années 1980. Carte postale (détail), collection particulière.

Le journaliste rappelle tout d’abord que Poul-Fétan fut un village modeste, mais vivant : « [il] contenait d'abord 7 feux, c'est-à-dire 7 foyers, 7 habitations, et était peuplé d'environ 70 habitants. Certaines maisons possédaient 18 écuellées, c'est-à-dire 18 bouches à nourrir. » S’il n’est pas précisé de quelle période datent ces données démographiques, on peut les replacer dans le contexte plus global de l’exode rural qui frappe Quistinic – comme toute cette région du Centre-Bretagne – après-guerre. En effet, la commune ne compte plus que 1 608 habitants au recensement de 1975, alors que l’on déombrait encore 2 510 habitants en 1946. Puis, il tend le micro à d’anciens habitants de Poul-Fétan qui racontent leur vie « d’antan »: « Il y avait pas d'électricité, on s'éclairait avec des bougies […]La résine [pour fabriquer ces bougies], on allait la chercher dans les arbres ». Une autre décrit la récolte des genêts pour fabriquer des balais qui servaient à balayer le sol en terre battue des maisons, mais aussi la tonte des moutons afin de produire la laine employée pour se vêtir etc. Une vie rurale qui ressemble beaucoup a celle que compte alors Anjela Duval, la poétesse attachée à ses terres du Vieux-Marché.

Mais, une vie rurale bien loin de celle impulsée par le « miracle agricole » que la Bretagne connaît depuis trois décennies. En effet, le nouveau modèle agricole breton passe par une modernisation des exploitations familiales, impliquant notamment la mécanisation des activités et l’intensification des productions. La société rurale en est elle-même bouleversée avec le début de la reconnaissance du statut des femmes dans le travail agricole : de simples « ménagères » affectées aux basses et rudes tâches, elles conquièrent peu à peu le statut d’agricultrices. Le paysage rural est également profondément modifié avec les opérations de remembrement rendues nécessaires par la mécanisation du travail agricole.

Face à cette modernisation « au pas de course » du monde rural breton après-guerre, une faille temporelle semble s’être ouverte avec le monde d’avant, comme le laisse penser le journaliste : « ce village a vécu en dehors du monde, pendant plusieurs siècles, c'est-à-dire en autarcie, en communauté. » Les anciens habitants de Poul-Fétan regrettent également cet ancien temps « différent d’aujourd’hui » où « on vivait très bien », parce que l’on y trouvait « un art de vivre, avec ce contact humain, [une] vie collective ». Alors que « maintenant c'est chacun chez soi, c'est pas la même vie du tout ».

Poul-Fétan: une certaine folklorisation du rural? Carte postale. Collection particulière.

Pourtant, loin de n’être qu’une simple initiative de quelques nostalgiques, le rachat de cet ancien village abandonné pour le valoriser touristiquement est aussi un parfait miroir de son temps. Comme ailleurs en France, les crises économiques des années 1970 mettent un coup d’arrêt au développement économique de la Bretagne, ce qui ouvre la voie à une prise de recul sur le modèle de développement suivi jusqu’alors, et donc à de possibles contestations. C’est notamment le cas avec l’émergence des enjeux écologiques, mais également à travers le développement d’un discours sur la nécessité de préserver le patrimoine. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’émission de FR3 qui se rend à Poul-Fétan se nomme « une façon de vivre », tandis qu’une autre émission phare de la télévision de l’époque s’appelle « la France défigurée ». En définitive, cette patrimonialisation à l’œuvre à Poul-Fétan surfe sur la nostalgie d’un monde rural « traditionnel » que l’on perçoit comme définitivement révolu.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA. « Le village abandonné de Poul-Fétan », FR3, Une façon de vivre, 02 février 1977, en ligne.