Quand Pierre de Bénouville s’établit en Bretagne

Il est des vies qu’il est impossible de résumer tant elles sont complexes, protéiformes, en un mot difficiles à saisir. Tel est le cas de celle de Pierre Guillain de Bénouville, Compagnon de la Libération mais Résistant entouré de souffre puisqu’on a un temps dit que c’était lui qui avait « donné » Jean Moulin en envoyant à Caluire René Hardy. Né à Amsterdam  d’une grande famille dont les origines plongeraient dans une très vielle aristocratie normande, c’est pourtant en Bretagne, en Ille-et-Vilaine, qu’il fait ses premiers pas en politique, en tant que député mais aussi en assurant la fonction de maire de la Richardais, commune située en face Saint-Malo, de l’autre côté du barrage de la Rance, pendant 12 ans, entre 1953 et 1965.

Cale sur la Rance à La Richardais. Carte postale. Collection particulière.

Se qualifiant lui-même de « royalisite de tradition et de raison », Pierre Guillain de Bénouville entame pourtant dès la fin de la Seconde Guerre mondiale une carrière politique qui le conduit à devenir… parlementaire. Rejoignant dès sa création les rangs du Rassemblement du peuple français (RPF) fondé par le général De Gaulle, il en devient le chef en Ille-et-Vilaine, département dans lequel il ne compte aucune attache. C’est là à l’époque pratique courante et ce parachutage ne l’empêche nullement de devenir député aux élections législatives de juin 1951. Précisons toutefois que Bénouville pousse en Ille-et-Vilaine l’ubiquité à un niveau rarement égalé puisqu’il assure en même temps que son mandat parlementaire la direction du journal L’Oise libérée, département quelque peu éloigné de son fief électoral.

Appartenant à plusieurs commissions parlementaires, dont celles de la défense et de l’éducation nationales, Pierre Guillain de Bénouville se distingue par  plusieurs propositions marquantes dont celle visant à l’élévation à titre posthume à la dignité de maréchal de France du général Leclerc, véritable légende de la Résistance française décédée en 1947 dans un accident d’avion. Ferme partisan de l’Indochine française, au nom d’un anticommunisme intransigeant, il ne cesse de défendre les crédits alloués à la défense.

Faut-il voir dans cette position politique l’explication de sa non-réélection en 1955 ? C’est là une piste qu’il ne faut pas négliger dans un département aussi modéré que l’Ille-et-Vilaine1. On sait de surcroît le corps électoral fatigué par les stigmates de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, la situation en Indochine, territoire bien trop éloigné de la métropole, ne parvient jamais à attirer véritablement l’attention d’une population qui n’aspire fondamentalement qu’à une seule chose, la paix. Sans compter qu’en Orient, ce n’est pas le contingent qui se bat mais un corps expéditionnaire de militaires de carrière. La situation est totalement différente en 1958 puisque les « événements » d’Algérie, pour reprendre une expression de l’époque, conduisent au retour au pouvoir du général de Gaulle, et dans le même élan au retour sur les bancs de l’Assemblée nationale de Pierre Guillain de Bénouville. C’est le début d’une longue carrière de parlementaire, menée jusqu’en 1993 sous les couleurs gaullistes mais dans la 12e circonscription de Paris et avec une interruption entre 1962 et 1970. Indépendant, il lui arrive de s’opposer durement au général de Gaulle, comme sur la question de l’Algérie, qui lui vaut son exclusion de l’Union pour la nouvelle république (UNR) en juin 1962.

Profession de foi de Pierre Guillain de Bénouville pour les élections législatives de 1958 (détail). Archives du CEVIPOF.

Touffue, multiforme et sinueuse, la trajectoire politique de Pierre Guillain de Bénouville n’en est pour autant pas moins riche d’enseignements. Elle illustre ainsi une certaine propension du RPF puis de l’UNR à investir des figures venues des parties les plus droitières de l’échiquier politique, viscéralement catholiques mais révélées au prisme de la Résistance. En Bretagne, on pense ainsi à, outre Bénouville, un homme comme Gilbert Renault, connu sous le pseudonyme de Colonel Rémy, ou encore à Edmond Michelet, élu député du Finistère à la fin des années 1960. Tous rappellent d’ailleurs combien pèse encore en cette fin des années 1950 la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et combien un brillant parcours dans l’armée des ombres peut alors se révéler former un très rentable capital politique. Ajoutons du reste que les Gaulliste ne constituent de ce point de vue nullement une exception comme le rappellent en Ille-et-Vilaine le MRP Henri Fréville ou le compagnon de route du Parti communiste Emmanuel d’Astier de la Vigerie.

Erwan LE GALL

 

 

1 SAINCLIVIER, Jacqueline, L'Ille-et-Vilaine, 1918-1958. Vie politique et sociale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996.