Un breton ambassadeur à Pékin : Etienne Manac’h

La chose est peu connue mais revêt une dimension symbolique que l’observateur avisé ne peut pas manquer : l’un des derniers actes de politique étrangère du général de Gaulle est de nommer en 1969 au poste d’ambassadeur de France à Pékin un Breton de Plouigneau, dans le Finistère, Etienne Manac’h. En cette époque où la Chine de Mao s’éveille, pour paraphraser Alain Peyrefitte, grande voix gaulliste, et émerge peu à peu comme une puissance avec laquelle il faut compter, un tel choix dit bien la confiance que l’homme du 18 juin porte au diplomate finistérien. Il est vrai que le premier président de la Ve République entretient une relation spéciale avec la péninsule armoricaine et que le parcours des deux hommes n’est pas sans similitudes.

Étienne Manac'h, en 1970, avec Mao, en compagnie de Mme Couve de Murville. Cliché: Le Télégramme.

Comme souvent en gaullisme, il faut distinguer la période de la Seconde Guerre mondiale de celle de l’après 1958. Pour Etienne Manac’h, l’engagement dans les rangs de la France libre est à n’en pas douter une épreuve fondatrice. Enseignant à partir de 1938 la philosophie en Turquie, au prestigieux lycée de Galatasaray, il rejoint la Croix de Lorraine en 1941 et ne tarde pas à jouer un rôle de diplomate au profit de Londres, puis Alger, dans le Moyen-Orient ainsi qu’en Europe balkanique. D’abord simple chargé de mission, il assume de fait en 1944 la charge de consul à İstanbul. Epoque fondatrice donc que celle de la France libre, période d’éloignement certain d’avec les salles de classe mais aussi d’apprentissage d’un métier : la diplomatie.

En 1945, une fois la capitulation sans condition du Reich obtenue et le retour de la paix en Europe acquis, et avant que le continent ne soit traversé par un rideau de fer reliant Trieste à Stettin, Etienne Manac’h est intégré au cadre des Affaires étrangères, prolongeant ainsi un engagement qui doit également se comprendre dans le cadre d’une logique de carrière1. D’abord secrétaire d’ambassade à Prague, il est ensuite consul général à Bratislava et assiste donc « en direct » à la naissance de la guerre froide et à la constitution du « bloc de l’Est ». S’il n’est pas certain qu’Etienne Manac’h bénéficie directement du retour au pouvoir du général de Gaulle, son passé de directeur de cabinet de Guy Mollet ayant pu jouer en sa défaveur, force est toutefois de constater que c’est par l’intermédiaire de sa présidence qu’il assume les plus hautes fonctions : directeur du département Asie-Océanie au ministère des Affaires étrangères de 1960 à 1969 puis, on l’a dit, ambassadeur de France à Pékin jusqu’en 1975.

Il serait toutefois faux d’ériger Etienne Manac’h en simple missi dominici du Général, agent zélé de la diplomatie gaullienne. A l’image de la doctrine de l’homme du 18 juin, qui par bien des égards est inclassable comme le rappellent parfaitement les travaux de l’historien B. Lachaise sur les gaullistes de gauche, le Breton cultive des amitiés qui ne manquent pas de brouiller les pistes, rappelant aussi combien son histoire est également celle d’une remarquable ascension sociale, celle d’un enfant né le 3 février 1910 dans un foyer des plus modestes du Trégor et parvenu à s’inviter sous les ors du Quai d’Orsay. C’est ce que suggèrent, en filigrane, les très forts liens d’affection qui l’unissent à Jean Maitron, le père du monumental Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social, rencontré en 1929 sur les bancs de l’hypokhâgne du célèbre lycée parisien Louis Le Grand. Tous deux s’éveillent alors à la politique et militent dans les rangs du Parti communiste avant de s’en éloigner plus ou moins rapidement à la suite d’un voyage en URSS et de la découverte de la réalité du stalinisme2.

Étienne Manac'h, en 1959, en pèlerinage à l'ancien collège de Kernéguès, à Morlaix, où il fit une partie de ses études.

Homme fidèle, Etienne Manac’h cultive ses racines comme ses amitiés malgré une vie professionnelle qui s’exerce aux quatre points de la planète. C’est ainsi que l’heure de la retraite ayant sonné, il retrouve cette Bretagne qu’il quitte au milieu des années 1920 pour un avenir meilleur à Paris, dans le quartier de Montparnasse. Devenue veuve de guerre – le père d’Etienne Manac’h tombe en 1916 dans une tranchée de Champagne – sa mère rejoint en effet dans la capitale son fils ainé et, désormais, sa région de naissance ne se conjugue plus que sur un mode estival, le temps de quelques jours de repos chez une tante dans les environs de Saint-Malo. Mais de retour de Chine, en 1975, c’est en Finistère, à Pont-Aven plus précisément, qu’il se retire, comme pour mieux boucler la boucle d’une formidable ascension socio-professionnelle, après avoir couru aux quatre coins du globe.

Erwan LE GALL

 

 

1 Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « L’engagement des Français libres : une mise en perspective » in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.

2 PLENEL, Edwy, Voyage en terres d’espoir, Ivry-sur-Seine, éditions de l’Atelier, 2016, p. 33-34.