J’y crois, j’y crois pas. Mais surtout j’y vais !

Le ton de l’exposition que le Musée de Bretagne consacre à la magie et à la sorcellerie est donné dès les premiers instants de la visite par l’évocation de deux cérémonies druidiques, l’une datée de 1906, l’autre de 1975. Le propos est donc de s’attacher à ces  pratiques et aux croyances qui y sont associées dans une perspective, y compris chronologique, très large, de l’ésotérisme le plus raffiné aux superstitions les plus communes en passant par l’astrologie, les médecines alternatives ou la tradition encore solidement ancrée du Vendredi 13.

Carte postale. Collection particulière.

C’est dire que cette remarquable exposition s’ancre résolument dans une histoire contemporaine, pour ne pas dire du temps présent, parti pris que souligne la remarquable diversité des items soumis à la sagacité du visiteur. Statuettes de saints datant du XIXe siècle côtoient de vieux grimoires magiques semblant hors d’âge et renvoient à un temps long de croyances qui dure encore de nos jours. L’évocation du Chêne à la vierge de la forêt de Rannée – un arbre dont l’historienne S. Mabo rappelle qu’il est couvert d’ex-voto en mémoire d’une jeune femme tuée par les soldats bleus pour avoir, selon la tradition, refusé d’avouer la retraite d’un prêtre réfractaire pendant la Révolution – est à cet égard un exemple des plus parlants puisqu’il est encore aujourd’hui l’objet d’un véritable culte. Mais la démonstration ne s’arrête pas là car l’exposition fait même entrer la vidéo au musée, non comme support didactique mais bien comme artefact muséifié, par l’intermédiaire d’une publicité pour le minitel 36 15 Soleil de la célèbre astrologue Germaine Soleil ou encore d’une de ces innombrables émissions associant Call-TV et consultation de medium en direct.

Les collections de l’ethnologue Dominique Camus transportent pour leur part le visiteur au cœur des rituels et permettent de découvrir d’authentiques amulettes, poupées d’envoutement et de désenvoutement et autres supports de rituels magiques. Bien entendu, le regard que porte le visiteur sur ces objets et loin d’être neutre tant ils sont évocateurs, et pour tout dire inquiétants. Ils le sont d’ailleurs d’autant plus qu’ils sont récents ; remontant pour beaucoup aux années 1990. Une prière de désenvoutement a même été retrouvée dans les environs de Timadeuc en… 2002, celle-ci ayant été délivrée par un moine de l’abbaye voisine à un couple dont les volailles et le bétail souffraient de nombreux problèmes de santé. Dans ces conditions, difficile de ne pas penser fortement aux travaux sur la toute proche Mayenne de l’illustre Jeanne Favret-Saada.

Néanmoins, il serait réducteur de circonscrire cette exposition à une fascinante ethnologie du magique. L’analyse se fait résolument historienne lorsque, mobilisant les grilles de lecture issues des études de genre, elle oppose la sorcière laide et réjouissante ou au contraire séduisante et tentatrice au guérisseur, au brûleur et autres rebouteux qui, eux, relèvent plutôt du masculin. Or non seulement cette distinction n’est pas cantonnée au seul registre du merveilleux mais elle est encore solidement ancrée dans les mentalités. Qui n’a jamais pesté contre ces satanés « remèdes de bonne femme » qui, pour partie, plongent leurs racines dans ces lointaines origines magico-païennes ? De même, l’exposition invite à réfléchir aux sources et productions culturelles qui, si elles documentent assurément les pratiques, contribuent également à forger un folklore, un imaginaire, un stéréotype d’une certaine Bretagne ancestrale. Du succès de Fleur de Tonnerre du romancier Jean Teulé et récemment porté à l’écran aux superbes photographies de Charles Géniaux en passant par une magnifique toile de Paul Sérusier (Le Feu dehors ou Mammen), toutes ces œuvres en disent long sur notre rapport complexe à la sorcellerie.

Une sécnographie particulièrement efficace. Cliché: Alain Amet CC BY SA.

Il faut enfin dire quelques mots de la scénographie de l’exposition qui, aussi subtilement qu’efficacement, tant dans l’ambiance visuelle que sonore, incite à laisser libre-cours à la réflexion et peut-être même, pour certain.es, aux croyances, mêmes les plus étranges. Présentée du 20 octobre 2017, c’est-à-dire à l’approche d’Halloween, au 1er avril 2018 – poisson qui lui aussi, d’une certaine manière, n’est pas sans suggérer un certain rapport au merveilleux – aux Champs Libres à Rennes, cette exposition est la tête de pont d’une foisonnante programmation culturelle associant conférences, projections de films mais aussi une visite du cimetière du nord. Un choix iconoclaste, à l’image de ce J’y crois J’y crois pas que l’on ne saurait trop visiter.

Erwan LE GALL