Les subtiles doughboys de Michaël Bourlet

Rendant compte de l’ouvrage que Dominique Lormier a consacré au corps expéditionnaire américain envoyé en Europe pendant la Première Guerre mondiale, nous regrettions sa médiocrité – et le mot est faible – car « il y a là un vrai sujet, qui aurait mérité une argumentation rigoureuse et mesurée ». Rigueur et mesure, autant de qualités qui définissent parfaitement L’Armée américaine dans la Grande Guerre 1917-1919 que Michaël Bourlet, historien et ancien officier de carrière, vient de publier aux éditions Ouest-France1.

Carte postale. Collection particulière.

Le ton est en effet donné dès l’introduction : « L’intervention américaine est incontestablement décisive pour les Alliés dans les domaines économiques, financiers et politiques ; aujourd’hui encore, elle est plus discutée sur le plan militaire et perçue différemment des deux côtés de l’Atlantique » (p. 8). En quelques lignes, on mesure ainsi ce qui sépare Dominique Lormier d’un véritable professionnel de l’histoire militaire.

L’un des grands mérites du livre de Michaël Bourlet est de livrer au lecteur une histoire subtile et très pédagogique du corps expéditionnaire américain, sans toutefois jamais céder aux raccourcis simplificateurs. Accessible au plus large public, le volume respecte parfaitement la chronologie, si décisive ici. Ainsi, à rebours d’un certain unanimisme mémoriel, l’auteur rappelle bien que l’entrée en guerre en avril 1917 n’est pas nécessairement très populaire aux Etats-Unis (p. 43), remarque qui vaut aussi pour la conscription et de manière générale la carrière militaire, à l’époque assez mal vue (p. 38). Soulignant l’arrivée « moralement salvatrice » (p. 53) des premiers contingents à Saint-Nazaire à la fin du mois de juin 1917, il montre l’impréparation du corps expéditionnaire et, plus intéressant encore, son approche erronée du warfare qui sévit alors sur le front ouest. En effet, la doctrine des doughboys est, avant la confrontation à la réalité du champ de bataille, très offensive, et ne prend que peu en compte la difficile équation tactique posée par les tranchées (p. 64-65), problème dont résulte un front que les belligérants, jusqu’au printemps 1918, ne parviennent pas à rompre2.

Loin donc d’un prétendu « mythe du Sauveur américain », Michaël Bourlet n’hésite pas à rappeler les difficultés de cette acculturation à la guerre moderne et insiste sur les relations parfois tendues entre Foch et Pershing. Affirmant « que le baptême du feu des troupes américaines s’est soldé par un échec » (p. 100), il insiste sur le très lourd bilan concédé par les doughboys, ce qui par ricochet invite à questionner leur efficacité sur le champ de bataille. Ainsi, dans le secteur de Château-Thierry, la 1e division d’infanterie, la fameuse Big Red One commandée à l’été 1917 par le général Sibert, déplore entre le 19 et le 24 juillet 1918 7 000 pertes, un taux qui atteint 73% chez les officiers ! (p. 116-117)

Carte postale. Collection particulière.

Particulièrement didactique, le propos de Michaël Bourlet s’appuie sur une riche et belle iconographie, provenant le plus souvent des archives américaines ou de collections particulières. Il faut d’ailleurs ici saluer le travail de l’éditeur qui, manifestement, a accordé une grande attention à la forme de l’ouvrage. Outre les illustrations, on se doit de mentionner une cartographie moderne et efficace ainsi qu’un papier épais qui, assurément, contribue au plaisir de lecture. Et tout cela pour moins de 15,00€ ce qui prouve, si besoin était, qu’il est possible d’associer à un propos de qualité une démarche orientée vers le plus large public, le tout à un tarif raisonnable. Bref, un volume que l’on ne saurait trop conseiller et qui s’annonce indispensable pour suivre les commémorations de la fin du mois de juin 2017.

Erwan LE GALL

BOURLET, Michaël, L’Armée américaine dans la Grande Guerre 1917-1919, Rennes, Editions Ouest-France, 2017.

 

 

1 BOURLET, Michaël, L’Armée américaine dans la Grande Guerre 1917-1919, Rennes, Editions Ouest-France, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Sur la question se rapporter à la stimulante étude de PORTE, Rémy, Rompre le front ? Novembre 1916 – Mars 1918. Comment percer les lignes ennemies et retrouver la liberté de manœuvre, Saint-Cloud, SOTECA, 2016.