Une approche française sur la Grande Guerre des Américains

Ce n’est pas nouveau, les commémorations font vendre et le millésime 2017, érigé en année américaine à l’occasion du centenaire du débarquement des premiers Doughboys à Saint-Nazaire, ne fait pas exception. Certes, on ne peut que s’en réjouir tant la dynamique commémorative constitue une merveilleuse fenêtre d’opportunité pour diffuser les derniers acquis de la recherche. Mais la récente opération The Bridge, pendant laquelle on aura au final plus parlé de voile que d’histoire, rappelle qu’à l’effet d’aubaine il faut impérativement associer un certain savoir-faire. En témoignent les clichés ressassés à longueur de journée sur le jazz et le basket-ball, images d’Epinal pourtant battues en brèche par Laurent Cugny, Samuel Boche et Lionel Helvig au cours du passionnant colloque Voilà les Américains ! organisé en même temps à Saint-Nazaire.

Carte postale. Collection particulière.

La solide synthèse que le prolifique Rémy Porte – à qui l’on doit notamment une remarquable biographie du maréchal Joffre et une incontournable synthèse sur la guerre de tranchées – consacre aux Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale est d’autant intéressante qu’elle procède pour partie d’une anticipation particulièrement clairvoyante : « Les commémorations qui s’annoncent en ce centenaire de l’intervention américaine auront très probablement pour effet d’entretenir cette mémoire, en partie déformée, et d’amplifier l’écho de ces images, souvent faussées »1. Aussi, ce livre nous semble important car il contribue à pilonner quelques vieilles lunes toujours bien vivaces : non le torpillage du Lusitania ne précède pas de peu l’entrée en guerre des Etats-Unis (p. 54) et non le corps expéditionnaire américain commandé par le général Pershing n’est pas une redoutable machine de guerre mais est au contraire très inexpérimenté, à l’image du général Sibert commandant la 1e division US, et n’est nullement aguerri aux réalités du warfare moderne (p. 114). L’analyse critique fait ici merveille et les pages consacrées à la déconstruction de la « victoire » américaine du saillant de Saint-Mihiel sont particulièrement éclairantes (p. 248-253), de même que celles consacrées à l’offensive Meuse-Argonne (p. 263 notamment).

On aurait pourtant tort de limiter ce volume à cette seule – et fort honorable par ailleurs – dimension pédagogique. A la différence, par exemple, de la dernière synthèse de l’historienne Hélène Harter qui prend le parti d’un regard résolument américain, ou d’un Michaël Bourlet qui n’envisage que les aspects militaires2, Rémy Porte propose une « approche française » qui appréhende le champ de bataille mais aussi les dimensions politiques, diplomatiques, industrielles, économiques, financières et culturelles de la participation des Etats-Unis à la Première Guerre mondiale. La démarche est d’autant plus intéressante qu’elle permet des comparaisons significatives, comme quand Rémy Porte rappelle que si on maîtrise bien l’histoire des volontaires américains dans l’armée française on connait moins celle de ceux qui s’engagent sous uniformes britannique et canadien (p. 50). Le volume s’aventure de même dans des territoires historiographiques rarement explorés tels que, par exemple, la liquidation des surplus américains (p. 274-275), question pour laquelle on manque cruellement d’études locales, ou les opérations relatives à la guerre civile russe (p. 277-291), histoire d’ailleurs qui n’est pas sans rapports avec la Bretagne.

Solide synthèse présentant l’état de l’art un siècle après le débarquement des premiers Doughboys, le livre de Rémy Porte est à conseiller à toutes celles et ceux qui travaillent sur les Etats-Unis et la Grande Guerre et, de manière plus générale, sur la séquence 1914-1919. En effet, l’une des forces majeures de cet ouvrage est de proposer une volumineuse bibliographie composée de références tant récentes que publiées pendant ou immédiatement après les événements, textes écrits aussi bien en Français qu’en Anglais. Les quelques 20 pages de bibliographie publiées en fin de volume s’avèrent en effet constituer un outil de travail particulièrement précieux et justifient, à elles seules, l’achat.

Carte postale. Collection particulière.

On le voit, on ne saurait trop conseiller ce volume qui, particulièrement dense, se hisse assurément sur le podium de la production éditoriale liée au centenaire de l’entrée en Première Guerre mondiale des Etats-Unis. Rémy Porte réalise en effet le tour de force de proposer un ouvrage qui s’adresse à tout le monde. Etudiants et chercheurs y trouveront bien entendu une mine de références et d’informations mais l’homme – et la femme ! – de la rue appréciera une lecture structurée en 25 chapitres équilibrés et parfaitement construits. Bref, un livre qui rappelle que l’histoire est bel et bien un savoir-faire… tout autant qu’un faire-savoir.

Erwan LE GALL

PORTE, Rémy, Les Etats-Unis dans la Grande Guerre. Une approche française, Saint-Cloud, SOTECA, 2017.

 

 

 

1 PORTE, Rémy, Les Etats-Unis dans la Grande Guerre. Une approche française, Saint-Cloud, SOTECA, 2017, p. 9. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 HARTER, Hélène, Les Etats-Unis dans la Grande Guerre, Paris, Tallandier, 2017 et BOURLET, Michaël, L’Armée américaine dans la Grande Guerre 1917-1919, Rennes, Editions Ouest-France, 2017.