La presse des Bretons de Paris dans l’entre-deux-guerres

La période d’entre-deux-guerres marque de nombreuses évolutions au sein de la diaspora bretonne à Paris.  Si l’immigration en provenance de la péninsule armoricaine se poursuit au cours des décennies 1920-1930, celle-ci se fait à un rythme moins soutenu qu’au début du XXe siècle. Souvent vus comme les « parias » de Paris avant la Grande Guerre, les Bretons commencent à s’intégrer dans la capitale. Les premiers titres de presse communautaire (La Pomme, La Paroisse bretonne, Le Breton de Paris), qui s’étaient développées à la Belle époque, disparaissent les uns après les autres au cours des années 1920. Comme un passage de relais entre les différentes générations de Bretons de Paris, d’autres journaux prennent la relève dans les mêmes années.

Crédit iconographique: Mission bretonne à Paris.

Le plus important d’entre eux, par son tirage et sa longévité, est sans conteste La Bretagne à Paris.1  Il est lancé le 22 décembre 1923 par Louis Beaufrère, un journaliste né à Quimper en 1895. Le nouvel hebdomadaire est en fait l’organe officiel de la Fédération des sociétés bretonnes de la Seine. Il vise notamment le lectorat des Bretons « montés à Paris » pour devenir ouvriers ou bonnes à tout faire. Il reprend très largement le créneau populaire laissé vacant par la disparition du Breton de Paris, un an plus tôt. D’ailleurs, on y retrouve un grand nombre de rubriques similaires. La une est consacrée à un éditorial, ainsi qu’aux informations générales qui touchent la Bretagne. Par exemple, le deuxième numéro du journal, en date du 29 décembre 1923, consacre une large page à « la tragédie d’Armen (sic) », suite à l’incendie qui a mis en péril les trois gardiens du phare situé à l’extrémité de la chaussée de Sein. Les pages intérieures relaient la vie communautaire et associative des Bretons en région parisienne, et comportent une large rubrique consacrée aux « chiens écrasés » des bourgs de Bretagne. Enfin, on y trouve les petites annonces pour les placements d’employés ou la promotion de boutiques bretonnes. La publicité du journal, qui se veut être « l’hebdomadaire des Bretons résidants hors de Bretagne », est notamment portée par l’organisation de l’élection de la duchesse des Bretons de Paris à partir de 1925. Tous les ans, une nouvelle jeune fille originaire de Bretagne devient le porte-drapeau de la communauté. A partir de 1932, le journal prend une nouvelle dimension pour intégrer l’ensemble des Bretons en diaspora. Il change alors de titre pour devenir La Bretagne à Paris, en France et aux colonies. Si sa parution est arrêtée avec l’entrée en guerre en septembre 1939, un journal de deuxième génération redémarre peu après la Libération, en 1946, sous le titre La Bretagne à Paris, en France, aux colonies et dans le monde. Deux ans plus tard, le mouvement de décolonisation étant enclenché, la mention des colonies dans le titre disparaît. La Bretagne à Paris, en France et dans le monde continue son activité jusqu’à son arrêt définitif le 22 janvier 1988.

Pour autant, ce journal est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté bretonne de région parisienne. Sa neutralité politique affichée est vue, par un certain nombre, comme une ligne conservatrice. C’est notamment le cas des Bretons de Saint-Denis, largement acquis aux idées communistes, autour notamment des deux frères Jean et Jules Trémel.2 En 1937, l’association des Bretons émancipés de Paris lance son organe de presse intitulé War sao !, signifiant « debout » en français.3 La rédaction du journal est située au 3 rue du Maine, en plein cœur du quartier Montparnasse dans le 14e arrondissement. A ses débuts, il est vendu 50 centimes par numéro pour une parution bimestrielle. Le président d’honneur de War sao ! n’est autre que Marcel Cachin, cet homme politique d’envergure nationale et directeur de L’Humanité, natif de Paimpol. Dans l’éditorial du premier numéro, il apostrophe d’ailleurs le lecteur par un discours résolument militant : « Tu as montré que le Breton est un homme libre et qu’il revendique tous les droits […] Tu t’es vraiment ÉMANCIPÉ de toutes les forces d’oppression qui faisaient de toi un paria ». Puis il poursuit, en faisant l’alliance des idéaux communistes avec la défense de la petite patrie bretonne :

« nous sommes décidés […] à défendre le legs émouvant des générations qui ont fait des Bretons ce qu’ils sont aujourd’hui. La langue bretonne, la culture bretonne, la tradition bretonne, nous voulons ici les respecter et les faire aimer. »

Pour l’historien ou le généalogiste du XXIe siècle, la lecture de ces journaux est le moyen de saisir la diaspora bretonne dans son hétérogénéité idéologique, par-delà la célébration unanime d’une petite patrie souvent idéalisée. Dans une démarche prosopographique, ces journaux sont également l’occasion de repérer les individus les plus impliqués dans la vie communautaire des Bretons à Paris.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 Non disponible en ligne, le journal La Bretagne à Paris est consultable à la Bibliothèque Nationale de France, dans la bibliothèque de recherche située en rez-de-jardin : sur microfilm (cote MFILM JO-15542) et en version papier (cote JO-15542). On le trouve également dans différents centres d’archives départementales : aux AD22, collection presque complète du n°1 en 1923, jusqu’en 1965 (cote CP 578) ; aux AD35, collection complète sur l’ensemble de la période 1923-1988 (cote 1 Per 1647).

2 Sur cette question, nous renvoyons à PERRONO Thomas, « Les Bretons de Saint-Denis : acteurs du Front populaire contre Jacques Doriot », in LE GALL Erwan et PRIGENT François (dir.), C'était 1936. Le Front populaire vu de Bretagne, Rennes, Editions Goater, à paraître novembre 2016.

3 Non disponible en ligne, le journal War Sao ! est consultable à la Bibliothèque Nationale de France, dans la bibliothèque de recherche située en rez-de-jardin, en version papier (cote FOL-JO-285).