1917 : la bataille de l’Atlantique

L’ouvrage que Michel Germain publie aux Editions Economica déborde de beaucoup son titre. En effet, plus que de l’arrivée du premier convoi du corps expéditionnaire américain à Saint-Nazaire, le 26 juin 1917, c’est de l’immense chaîne logistique reliant les Etats-Unis à l’Europe dont il est question dans ces quelques 230 pages (p. 17)1. Ce faisant, l’auteur entend mettre en lumière une dimension aussi essentielle que méconnue de la participation des Etats-Unis à la Grande Guerre, à savoir la partie qui se joue sur mer et vise à instaurer un véritable pont transatlantique pour acheminer les Doughboys vers les tranchées. Alors que l’historiographie de ce conflit est obnubilée par le combat terrestre, rappeler cette dimension logistique et maritime est une démarche dont on ne peut que se féliciter.

Navire américain, 1917. Collection particulière.

Malheureusement, l’ouvrage pâtit d’une écriture confuse, défaut amplifié par une absence complète de structuration du propos. Les chapitres n’en sont pas et les redites sont nombreuses, ce qui contribue à rapidement perdre le lecteur entre deux eaux. Ajoutons à cela que l’histoire qui est proposée est singulièrement désincarnée, vue par le haut. A rebours de l’histoire militaire renouvelée dans le sillage de John Keegan2, il n’est jamais ou presque question de l’expérience des marins qui assurent ce pont transatlantique. Idem en ce qui concerne les soldats transportés alors qu’on sait que ces croisières ne leur ont pas nécessairement laissé le plus agréable des souvenirs. C’est là chose d’autant plus dommageable que la navigation en convoi a inspiré plus d’un romancier, de Patrick O’Brian à Douglass Reeman, du blocus napoléonien à la Seconde Guerre mondiale, et sans doute y aurait-il eu matière ici à de précieuses pages.

Il y aurait également beaucoup à redire sur la manière dont l’auteur référence les informations qu’il présente. En absence de notes de bas de page, et d’une bibliographie convenable puisque celle-ci se réduit à une quinzaine d’ouvrages et articles alors qu’on sait la littérature sur la question relativement importante, le lecteur est singulièrement démuni. Or il apparaît que le propos de Michel Germain est basé quasi exclusivement sur le point de vue américain, alors que l’on sait les dissensions interalliées nombreuses. Certes, les archives américaines sont aujourd’hui aisément accessibles en ligne – et l’on pense notamment aux écrits de l’amiral Gleaves, manifestement largement utilisés – mais elles ne sauraient à elles seules rendre compte de la complexité de la guerre qui se joue, pour une large part, au large de la péninsule armoricaine. Pour ne citer qu’un exemple, il n’est ainsi rien dit des savants calculs qui ont conduit à choisir Saint-Nazaire comme premier port de débarquement du corps expéditionnaire américain (p. 66 notamment).

Ce manque de profondeur historiographique est d’autant plus regrettable que certains des éléments décrits par Michel Germain corroborent parfaitement ce que l’on peut par ailleurs savoir de l’entrée en guerre des Etats-Unis. Ainsi, la lutte contre les sous-marins n’est pas sans faire penser, d’une certaine manière, aux velléités excessivement offensives que l’on peut voir à l’œuvre sur terre, au moment du baptême du feu. C’est ainsi par exemple qu’une note du mois d’avril 1917 stipule que « quand un sous-marin est découvert, le premier objectif consiste à le détruire, la sécurité du navire étant secondaire » (p. 58). Sur mer comme à terre, l’effort de l’Oncle Sam est donc bien avant tout quantitatif : la Cruiser and Transport Force passant « de 17 navires en juin 1917 à 143 au paroxysme de son activité » (p. 69).

Navires américains, sans lieu ni date. Collection particulière.

Pour autant, malgré tous ces – réels – défauts, on aurait tort de jeter l’ouvrage de Michel Germain par-dessus bord. En effet, ce livre constitue aussi un remarquable dictionnaire des navires impliqués dans ces opérations transatlantiques, répertoire cataloguant tant les transports de troupes et les destroyers que les yachts réquisitionnés où les Q-ships, ces fameux leurres destinés à tromper les sous-marins allemands. C’est ainsi et uniquement ainsi qu’il faut considérer ce volume, comme un outil de travail constituant une base sur laquelle bâtir de plus amples explorations. Toutefois, en l’absence d’appareil critique, on prendra bien soin de ne pas prendre les affirmations de l’auteur pour argent comptant et de systématiquement les vérifier.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

 

 

 

1 GERMAIN, Michel, Les bateaux de la Liberté 1917-1918. L’arrivée du premier convoi à Saint-Nazaire, Paris, Economica, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 KEEGAN, John, The face of the battle, A study of Agincourt, Waterloo and the Somme, London, Random house, 2012 (réed.).