Joseph Berthier : un destin brisé par la Grande Guerre

A bien des égards, le destin de Joseph Berthier rappelle celui d’un autre Breton : Jean Guéhenno. Devenus très jeunes orphelins, ils doivent tous les deux délaisser leurs études et travailler. Mais si la carrière littéraire de Jean Guéhenno prend son essor après sa démobilisation en 1919, celle de Joseph Berthier s’interrompt brutalement dans la Somme, en 1916. Mort au combat, il laisse derrière lui une œuvre désormais oubliée.

Carte postale. Collection particulière.

Joseph Berthier naît le 11 juillet 1879 à Josselin dans le Morbihan. Il perd successivement sa mère en 1887, puis son père en 1893. Orphelin à 14 ans, il part vivre chez une tante à Paris et devient bijoutier. Loin de la Bretagne, il conserve néanmoins de nombreuses attaches avec sa région natale. Ainsi, en septembre 1900, il vient à Vannes pour effectuer ses classes avec le 116e régiment d’infanterie.

C’est pourtant du côté de Paris qu’il fait sa vie en se mariant en 1904. Ce fils de couvreur se découvre alors une véritable passion pour les lettres. En 1907, à la suite d’un long séjour à l’hôpital, il franchit le cap et se met à écrire1. Trois ans plus tard, il publie Marie-Rose la sinistrée, un recueil de nouvelles dont la première s’inspire des inondations de la Seine durant lesquelles interviennent quelques dizaines de fusiliers-marins en provenance de Lorient. En 1912, il renouvelle l’expérience avec un recueil intitulé Contes bretons, préfacé par Anatole Le Braz. Auteur prolifique, il cosigne la même année avec son frère Auguste, dit Mathô, Le consentement, une comédie en un acte. En 1913, paraît enfin son premier roman Jean-Louis, vie d’un orphelin, librement inspiré de son enfance. Joseph Berthier est très rapidement reconnu par ses pairs et Charles Le Goffic le propose comme membre adhérent de la Société des Gens de Lettres en 19112.

Parallèlement, Joseph Berthier se fait un nom au sein de la colonie des Bretons de Paris. Il devient notamment un collaborateur actif de nombreux journaux communautaires tels Le Clocher breton, Le Breton de Paris, Le Fureteur breton ou encore La Pensée bretonne. Il participe également en 1913 à la fondation de l’association Les Morbihannais de Paris dont il devient le secrétaire.

Le 17 juin 1914, lorsqu’il apprend le décès de son jeune frère François, il décide de se retirer quelques temps en Franche-Comté dans la famille de son épouse. Cette période d’inactivité est courte puisque, le 3 août, alors que la France est en effervescence, il rejoint le 52e régiment d’infanterie territoriale, unité tenant garnison dans l’est de la France. Il y retrouve toutefois de nombreux « Josselinais domiciliés à Paris »3, la 20e région militaire ayant un recrutement dépassant très largement les environs de Nancy. Ce lien réconfortant avec la Bretagne, il le crée également en envoyant régulièrement  au Nouvelliste du Morbihan et, surtout, au Journal de Pontivy de son ami Emile Gilles, des nouvelles et des articles qu’il rédige sur le front. Il le reconnaît lui-même, il « n’aime pas rester inactif » et, à ses « heures de loisir, au lieu de me tourner les pouces et broyer du noir, j’ai plaisir à m’occuper le corps et l’esprit »4. Enfin, il décide d’entamer la rédaction d’un journal intime. Il explique les raisons de sa démarche à Emile Gilles :

« Je tiens au jour le jour un carnet de route. J’ai prévu le cas où je tomberais sur le champ de bataille et serais ramassé par des français, ce carnet serait remis à ma femme à votre intention. Vous pourriez en tirer le parti qu’il vous plairait. Je demande cela à votre amitié. »5

La mort obsède Joseph Berthier. Et pour cause, après celle de François, il est confronté à la disparition, le 25 août 1914, de son autre frère Auguste. En décembre, un courrier officiel met brutalement fin à ses espoir :

« Le cher gars a bien été tué le 25 août à Courbesseaux. Comme je suis éprouvé cette année ! Perdre ses deux frères, presque coup sur coup, que c’est dur. Ma douleur est immense, cependant, je saurai la surmonter, l’heure présente, n’est pas au découragement, mais à la virilité. Malgré mon grand chagrin, je suis très fier que mon frère soit tombé au champ d’honneur pour une cause belle, utile, et je suis persuadé qu’il est mort en brave, en Breton. […] Je n’ai plus qu’un désir : venger mon frère. »6

Carte postale. Collection particulière.

Pendant près de deux ans, Joseph Berthier tient les tranchées où il continue de lire et d’écrire. Le 13 novembre 1916, il aurait adressé un courrier prémonitoire à Charles Géniaux dans lequel il annonce qu’il va « mourir pour la France après-demain. J’en ai la certitude. Cette affaire sera terrible. Les Allemands ont tué mon frère, je serai donc le premier à l’assaut pour le venger »7. Deux jours après, le 15 novembre 1916, il tombe effectivement sous le feu allemand à Sailly-Saillisel… Emile Gilles ne cache pas son émotion en découvrant sa mort. Dans le Journal de Pontivy, il lui adresse un long éloge qu’il termine par un souhait :

 « La ville de Josselin ne pourrait que s’honorer en donnant son nom à l’une de ses rues. Puisse ce vœu être entendu ! »8

Il ne sera pas écouté9. Un siècle plus tard, qui connaît Joseph Berthier, cet auteur breton dont la carrière fut brusquement interrompu par la Grande Guerre ? Et, plus encore, combien d’autres comme lui sont tombés dans l’oubli?

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, lettre de Marie-Louise Berthier à Emile Gilles, 27 novembre 1916.

2 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, lettre de Marie-Louise Berthier à Emile Gilles, 27 novembre 1916.

3 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, lettre de Joseph Berthier à Emile Gilles, Foulq, le 8 août 1914.

4 GILLES, Emile, « Joseph Berthier », Journal de Pontivy, 3 décembre 1916, p. 1.

5 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, lettre de Joseph Berthier à Emile Gilles, Foulq, le 8 août 1914.

6 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, lettre de Joseph Berthier à Emile Gilles, Champigneulles, 2 décembre 1914.

7 Archives municipales de Pontivy, 4 Z 104, notice sur Joseph Berthier.

8 GILLES, Emile, « Joseph Berthier », Journal de Pontivy, 3 décembre 1916, p. 1.

9 Rappelons ici que la commune de Josselin vient d’apprendre, quelques semaines plus tôt, la mort de son député-maire Josselin de Rohan-Chabot.