La presse bretonne au Jour J+1

Dans la soirée du 6 juin 1944, Le Nouvelliste du Morbihan annonce succinctement qu’une « tentative de débarquement dans la région de l’embouchure de la Seine » est en cours1. Profitant de sa parution en soirée, le quotidien lorientais est l’un des premiers journaux bretons à rendre compte de l’offensive annoncée avec insistance depuis plusieurs mois. Ce n’est que le lendemain matin, quelques heures après l’allocution radiophonique du maréchal Pétain, que l’ensemble de la presse quotidienne bretonne offre à ses lecteurs les premiers détails de l’opération menée par les Alliés.

Tract ironisant sur l’hypothèse d’un débarquement allié, printemps 1944. Collection particulière.

Sans grande surprise, les rédactions doivent se contenter des communiqués qui leur sont transmis par les autorités allemandes. Ces derniers, parce qu’ils sont empreints de propagande, présentent de nombreux biais et « l’assaillant » y est décrit comme ayant subi des pertes « extrêmement lourdes »2. Souhaitant insister sur la déroute des Alliés, La Dépêche de Brest relate même les propos prétendument prononcés par un prisonnier britannique qui affirme que « les combats que nous vivons sont d’une violence si épouvantable que je suis heureux qu’ils soient terminés pour moi ». Dans la soirée du 7 juin, l’édition du Nouvelliste du Morbihan se veut encore plus précise en confirmant que « toutes les têtes de pont anglo-américaines avaient été réduites à l’exception d’une seule à l’embouchure de la Touque »3. Mieux, tous les quotidiens affirment que l’Allemagne surferait sur une dynamique de victoires après celles rencontrées, quelques jours plus tôt, en Italie et sur le front de l’Est. Le Nouvelliste du Morbihan tient toutefois à mettre en garde ses lecteurs en précisant qu’il « convient de se garder de toute appréciation prématurée car il ne s’agit là que de la première phase d’une offensive à laquelle les Alliés consacreront toutes les forces dont ils disposent »4.

En parallèle, les quotidiens bretons offrent également une tribune à la propagande de Vichy. Ils retranscrivent ainsi les déclarations de Pierre Laval et de Philippe Pétain dans lesquelles les deux hommes forts du régime demandent solennellement à « tous les Français de rester unis et de tout faire pour éviter la guerre civile qui ne doit pas s’ajouter sur le sol de la patrie aux opérations militaires »5. A la différence de ses homologues, La Dépêche de Brest prend l’initiative de résumer l’allocution de Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’Information et à la Propagande, qui assure, de son côté, avoir « trop attendu cette invasion pour en être surpris » et que la France et le Reich allemand se sont « préparés à toutes les éventualités »6. Comme pour mieux décourager les velléités résistantes, L’Ouest-Eclair dénonce, pour sa part, les véritables intentions des troupes anglo-américaines. Le journal signale en effet qu’à Alger, « malgré les déclarations des hommes d’Etat français, les milieux militaires alliés n’attachent pas une très grande importance à l’action que pourrait exercer le mouvement de résistance au moment du débarquement »7.

Enfin, de manière plus pragmatique, les quotidiens bretons informent leurs lecteurs des bouleversements induits par les opérations en cours. La Dépêche de Brest indique ainsi que les trains entre Saint-Brieuc et Paris sont immédiatement supprimés8. Plus loin, le journal brestois signale que les « communications téléphoniques sont suspendues » jusqu’à nouvel ordre et que toute infraction entrainerait des « poursuites pour assistance à l’ennemi »9. Toujours « en raison des évènements », L’Ouest-Eclair fait savoir à ses lecteurs que plusieurs paroisses de Rennes ont décidé de reporter les cérémonies de confirmation prévues le 8 juin10. Autant d'éléments qui disent combien les populations civiles, bien qu'éloignées de la Normandie, se préparent à subir les conséquences de la bataille à venir... et au final, sans doute, de la Libération.

Tract ironisant sur l’hypothèse d’un débarquement allié, printemps 1944. Collection particulière.

Indiscutablement, le Débarquement des troupes alliées est analysé dans la presse quotidienne bretonne du 7 juin 1944 comme un échec cuisant, rappelant l'opération Chariot de Saint-Nazaire ou l’offensive de Dieppe menée en août 194211. Partiale, l’information est également partielle. Aucune référence n’est par exemple faite aux incidents survenus à Plumelec dans la nuit du 5 au 6 juin. Malgré tout, le Débarquement polarise toute l’attention des lecteurs, quelles que soient leurs opinions. Dès lors, les « résultats du bachot », si attendus par certains, paraissent bien anecdotiques12. Mais c'est finalement cet impact sur la vie quotidienne qui dit le mieux l'avancée perçue comme irrémédiable des Alliés...

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Tentative de débarquement dans la région de l’embouchure de la Seine », Le Nouvelliste du Morbihan, 7 juin 1944, p. 1.

2 « Les troupes anglo-américaines ont débarqué hier matin… », La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 7 juin 1944, p. 1 ; « L’assaut de l’Europe occidentale, attendu depuis longtemps, a débuté », L’Ouest-Eclair, 7 juin 1944, p. 1.

3 « Le premier assaut de l’Europe occidentale… », Le Nouvelliste du Morbihan, 8 juin 1944, p. 1.

4 Ibid.

5 « Messages du maréchal Pétain et de M. Pierre Laval », La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 7 juin 1944, p. 1.

6 « Une allocution de M. Henriot », La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 7 juin 1944, p. 1.

7 « La radio d’Alger est déçue », L’Ouest-Eclair, 7 juin 1944, p. 1.

8 « Les trains sont supprimés entre Saint-Brieuc et Paris », La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 7 juin 1944, p. 1.

9 « Avis », La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 7 juin 1944, p. 1.

10 « Ajournement de la Confirmation », L’Ouest-Eclair, 7 juin 1944, p. 2.

11 « Echec sanglant d’une tentative massive de débarquement des Anglo-Américains sur la côte normande, près de Dieppe », L’Ouest-Eclair, 20 août 1942, p. 1.

12 « Les résultats du bachot », Le Nouvelliste du Morbihan, 8 juin 1944, p. 2.