28 septembre 1958 : quand la Bretagne a dit « oui » à la Ve République

« De Gaulle a été entendu. 81 % de oui »1, le titre barre la une du quotidien rennais Ouest-France du lundi 29 septembre 1958. La veille, les Français ont ratifié, par référendum, le projet de Constitution pour l’établissement d'une Ve République. Sur les 47 249 142 inscrits sur les listes électorales en métropole et dans les colonies, 31 123 483 (soit 82,6% au décompte final) se sont exprimés en faveur de cette nouvelle constitution élaborée sous l’égide de Michel Debré, un habitué des côtes bretonnes par ailleurs. Dès lors, l’Homme du 18 juin est définitivement de retour aux affaires, douze ans après avoir quitté le pouvoir pour entrer dans une longue traversée du désert. A l’échelle de la Bretagne, quelle a été l’attitude des électeurs vis-à-vis du projet d’instauration de cette République gaullienne ?

Bulletin de vote. Collection particulière.

Pour analyser le vote des Bretons, il faut tout d’abord s’intéresser au jeu des échelles. Sur les cinq départements de la Bretagne historique, 1 419 565 électeurs ont voté « oui » (84,4%), soit deux points de plus que moyenne nationale. Pour autant, en regardant de plus près les résultats locaux, on aperçoit des disparités dans le plébiscite de l’ancien chef de la France libre. En effet, si l’Ille-et-Vilaine est le département le plus enthousiaste (87,37%) ; le Finistère (80%) et surtout les Côtes-du-Nord (78,2%) se montrent plus timorés. A priori le clivage breton des terres plutôt acquises à la droite ou à la gauche semble fonctionner à la lecture de ces résultats. Néanmoins, à l’échelle micro-locale des communes, ce schéma doit être nuancé. En effet, que la ville de Vannes vote à 90% pour le Général n’étonne personne. Mais dans les bastions « rouges » du Morbihan, le « non » est loin d’être majoritaire : 22% à Lorient, par exemple2. Même à Saint-Jean-du-Doigt, la commune du député-maire Tanguy-Prigent, de tendance « SFIO-non », opposé au retour du Général au pouvoir, le « oui » l’emporte avec (seulement) 65%3. L’un des résultats les plus serrés en Bretagne semble être au Huelgoat (Finistère), commune du communiste Penven, où le « oui » se retrouve en quasi ballotage : 55,2%. A l’inverse, l’Ile de Sein, qui représentait « le quart de la France » pour le Général après son appel du 18 juin, fait figure de bastion irréductible avec ses 99,5% de « oui ».

Au-delà de ces résultats électoraux, il est intéressant de se pencher sur la réception de l’événement par la presse. Ouest-France, dont le patron Paul Hutin-Desgrées, ancien député MRP (1946-1956), soutient le retour du Général depuis le mois de mai 1958. Rien d’étonnant à ce que le journal se montre particulièrement enthousiaste à l’issue du scrutin :

« Avec une majorité inespérée, le bon sens français a dit un OUI RAISONNABLE. Ce oui doit réconforter et récompenser dès ce soir l’homme qui, rasséréné, voit défiler vers Colombey le flot de la confiance populaire. Mais ce oui, surtout, doit l’appuyer demain. »

Les mots de Paul Hutin Desgrées sont particulièrement durs contre la IVe République :  « l’acte premier du drame se termine par la liquidation politique d’un système qui manqua de peu, malgré les avertissements, de sombrer dans une faillite sanglante ». La référence à la guerre d’Algérie, même dans une région à première vue « tranquille » car éloignée de ce théâtre d’opérations, est explicite.

Collection particulière.

Le « Oui… mais tenir ! » du titre de l’éditorial montre que le référendum ne peut être un chèque en blanc signé au Général. Paul Hutin-Desgrées identifie en effet plusieurs défis pour que le nouveau régime puisse s’enraciner : « la Ve République naissante ne tiendr[a] que si [elle] s’appui[e] demain sur la RENOVATION POLITIQUE DES MŒURS. » Mais surtout c’est sur le règlement de la question algérienne que le nouveau pouvoir gaulliste est attendu :

« une autre tâche, capitale et urgente elle aussi, attend le général de Gaulle. La confiance lui a été donnée en vue d’un double règlement : le règlement sage du drame politique d’Alger et le règlement humain de la tragédie algérienne. »

Si ce « drame algérien » n’aura pu se « régler » que par quatre années d’une guerre d’indépendance dont les répercussions mémorielles sont encore fumantes aujourd’hui ; force est de constater que, 60 ans plus tard, la Ve République est toujours en place.

Thomas PERRONO

 

 

1 Ouest-France, 29 septembre 1958, p. 1.

2 Pour le cas précis du Morbihan, voir EVANNO Yves-Marie, « Chance, opportunité ou menace ? Les Morbihannais face au retour du Général de Gaulle », in LE GALL Erwan et PRIGENT François (dir.), C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, Rennes, éditions Goater, 2018, p. 116-138.

3 Ouest-France, 30 septembre 1958, p. 2.