Un historien militaire en Bretagne : Henry Contamine

La recension de La Revanche 1871-1914 que signe en 1958 dans les vénérables Annales de Bretagne le maire de Rennes et historien Henri Fréville n’est assurément pas un anodin compte-rendu. La qualité de cet ouvrage, que l’on doit à Henry Contamine et qui compte encore aujourd’hui parmi les études classiques sur la question, y est bien entendu pour beaucoup. Henri Fréville le qualifie d’ailleurs de « livre solide, sincère et plein d’enseignements pour qui veut réfléchir sur près d’un siècle d’histoire nationale ». Mais, plus encore, ce sont sans doute les liens qui unissent ces deux personnes qui rendent cet article aussi spécial. En effet ces deux historiens sont tous deux collègues, puisqu’enseignant à la Faculté des lettres des Rennes. Or, auteur aussi important que discret, le souvenir d’Henry Contamine n’est jamais convoqué lorsque vient l’heure d’évoquer les grands intellectuels ayant officié en Bretagne.

Carte postale. Collection particulière.

Il est vrai que les liens que cet historien entretient avec cette région sont plutôt distants. D’ailleurs, cette Revanche 1871-1914 ne doit à l’évidence rien à la péninsule armoricaine mais plus à une naissance à Lille, le 21 juin 1897, à un engagement volontaire précoce – contracté à 18 ans mais dans l’artillerie, ce qui n’est pas sans faire penser à une stratégie d’évitement1 – pour servir dans les rangs de l’armée française pendant la Grande Guerre, puis à un premier poste de professeur d’histoire, une fois l’agrégation obtenue, au Lycée de Metz. Là, dans ces terres habituées depuis plusieurs siècles aux rivalités frontalières, il compose une thèse sur Metz et la Moselle au XIXe siècle, travail remarqué qui le conduit en Normandie, pour enseigner à l’Université de Caen.

C’est d’ailleurs dans ces années 1930 qu’Henry Contamine commence à travailler à son histoire de la Revanche, prolongement naturel de sa thèse de doctorat qui n’est bien entendu pas sans faire écho à son histoire personnelle. Outre sa participation à la Grande Guerre, plutôt glorieuse du reste puisqu’elle se solde par deux citations à l’ordre de la division, mentionnons des origines familiales qui plongent allègrement en dehors des frontières de l’hexagone, et plus particulièrement en Angleterre par sa mère, mais également en Allemagne, cette fois-ci par son père. Autant d’éléments qui, à l’évidence, invitent à interroger ces mythes nationaux que sont donc la Revanche mais aussi La Victoire de la Marne, autre grand chef d’œuvre d’Henry Contamine consacré à la première bataille du même nom. Publié en décembre 1970 dans la prestigieuse collection des « Trente journées qui ont fait la France » lancée par les éditions Gallimard, l’historien est alors au sommet de son art et côtoie des maîtres comme Georges Duby avec son fameux Dimanche de Bouvines, ou Pierre Renouvin, auteur pour sa part d’une étude aujourd’hui classique sur l’Armistice de Rethondes.

Pour autant, La Revanche 1871-1914  est un ouvrage à la genèse compliquée. Non du fait de conditions de recherche ou d’écriture compliquées mais parce que devant la montée des périls puis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Henry Contamine juge le manuscrit inopportun. La sortie de l’ouvrage est donc reportée puis le volume, lui-même, tombe aux oubliettes, perdu dans un des tiroirs de l’universitaire. Il faut dire que l’historien et sa famille ont alors fort à faire : résidant à Caen, ils sont en effet en plein cœur de la bataille de Normandie et assistent aux premières loges au Débarquement et aux âpres combats qui s’en suivent. Ce n’est d’ailleurs qu’une fois la Libération revenue qu’Henry Contamine quitte le Calvados pour venir enseigner en Bretagne, à la faculté des lettres de Rennes – il a alors pour collègues les éminents Jacques Léonard et Pierre Goubert ou encore le célèbre médiéviste Jean Delumeau – ainsi qu’aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Là il contribue à la formation de centaines d’officiers dont certains développeront un goût affirmé pour l’histoire. Parmi eux le regretté André Bach, officier général ayant dirigé le Service historique de l’armée de terre et auteur de travaux qui font autorité sur la justice militaire pendant la Première Guerre mondiale.

Carte postale. Collection particulière.

Finalement, il faut attendre 1957 pour que soit sorti de l’oubli le manuscrit de La Revanche 1871-1914. A rebours de cette histoire alors très en vogue qui s’adonne aux plaisirs de la longue durée, Henry Contamine livre pour sa part une réflexion essentiellement centrée sur les aspects militaires et diplomatiques. Autrement dit, au moment où triomphent les Annales et l’histoire sociale, le professeur de la faculté des lettres de Rennes s’adonne aux joies de cette « histoire bataille » si décriée, bien loin des préoccupations du moment. De là à voir la source du relatif oubli dans lequel se trouve aujourd’hui plongé l’historien, décédé en 1974 en région parisienne, il y a un pas qui semble aisé à franchir. Certes, les ouvrages d’Henry Contamine peuvent aujourd’hui paraître désuets dans leur forme. Il n’en demeure pas moins que non seulement ils participent, aux côtés des travaux de William Sorman, John Keegan ou encore André Corvisier, au renouveau de l’histoire militaire mais qu’ils sont merveilleusement bien écrits. Ce faisant, ils rappellent que l’histoire est avant tout une discipline littéraire. Une leçon trop souvent oubliée…

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

 

1 Arch. Paris : D4R1 1984.686.