Cheveux courts : un remède pire que le mal ?

S’il est un symbole de la menace qui plane sur le traditionnel ordonnancement des tâches entre hommes et femmes, répartition scellant une domination masculine un temps menacée par la Grande Guerre, c’est bien la coiffure. Plus précisément, la vogue de la coupe « garçonne » dans les années 1920 cristallise certaines des tensions qui traversent la société française d’alors, entre des femmes qui d’une part souhaitent gagner en liberté et s’affranchir des gaines qui, au propre comme au figuré, les enferment, et des hommes qui, d’autres part, s’arc-boutent sur leurs privilèges ancestraux. Le numéro du 22 mai 1925 du grand quotidien L’Ouest-Eclair, en s’emparant sur un ton badin de cette question, montre que la société bretonne n’est pas épargnée par ces débats même si, à l’évidence, ceux-ci sont se posent avec moins d’acuité dans les campagnes du Kreiz-Breizh que dans des stations de villégiature comme Dinard ou Quiberon. La garçonne est en effet aussi affaire de distinction sociale.

Carte postale. Collection particulière.

En attendant, c’est sur le ton faussement sérieux d’une information à caractère médical que cette coupe de cheveux s’invite, photographie à l’appui, sur la première page du journal catholique. Bien que s’insérant dans la rubrique « la mode », le titre rappelle la gravité du propos : « les furoncles et la mode des cheveux courts ». Un médecin américain – « le docteur Harold Dawlins, d’Indianapolis » – y développe une analyse qui ne manquera pas de surprendre le lecteur :

« L’habitude qu’ont prise les femmes de se raser la nuque irrite la peau et laisse les pores du cou ouverts aux germes de toutes les maladies et spécialement à ceux du furoncle. Si un furoncle doit se manifester quelque part, on le verra certainement sur la nuque des femmes devenue particulièrement vulnérable. »

Grotesque, le propos n’en est pas moins classique et s’insère dans une longue litanie de diatribes où rivalisent anti-modernisme et défense de privilèges masculins. Quelques mois plus tard, revenant sur le réveillon de noël 1925, L’Ouest-Eclair ouvrira ses colonnes à un certain Fracastor qui, déversant un véritable torrent de bile sur cette coupe de cheveux « garçonne », dira par la même occasion combien il s’agit d’une question qui préoccupe et divise la société d’alors. En effet, ce que révèlent les controverses suscitées par cette coupe de cheveux est avant tout l’écart grandissant entre une génération « sacrifiée », celle du feu, et une autre, bienheureuse, qui, trop jeune a, elle, échappé aux tranchées.

La partition jouée par L’Ouest-Eclair est toutefois nettement moins outrancière que celle de ce médecin de l’Indiana. Le journal breton, quoique que catholique, n’est d’ailleurs pas sans ouvrir ses pages à Eugène Le Breton qui, quelques semaines plus tôt, en mars 1925, plaide en faveur du suffrage féminin. Pour le grand quotidien rennais, ces élucubrations médicales n’ont à l’évidence aucune valeur scientifique et c’est bien cela qui justifie l’insertion de cet article dans une rubrique intitulée « la mode ».

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, l’argumentation développée à cette occasion n’est pas sans témoigner d’une autre ambiguïté, toute autant révélatrice des stéréotypes de genre ayant alors court. En effet, L’Ouest-Eclair, rappelant que « le docteur Dawlins se méprend », affirme que « c’est entendu, la mode des cheveux courts disparaîtra : mais elle disparaîtra parce que, comme toutes les modes, elle est éphémère, étant soumise au caprice des femmes ». En d’autres termes, aux femmes la frivolité, le passager et le fluctuant ; aux hommes la constance et, pour tout dire, la solidité. Ou comment, sans en avoir l’air, renforcer les stéréotypes de genre en prétendant mieux les combattre…

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 « Les Furoncles et la mode des cheveux courts », L’Ouest-Eclair, n°8616, 22 mai 1925, p. 1.