Henri Dorgères ou le fascisme en chemises vertes

Dans l’entre-deux-guerres, la Bretagne rurale se trouve plongée en plein doute. Depuis près d’un demi-siècle, la fin des industries traditionnelles – la toile notamment – et la persistance d’une natalité élevée débouchent sur un exode rural vers les villes bretonnes mais aussi Le Havre, Paris ou Trélazé. La Grande Guerre aussi joue aussi son rôle avec quelques 130 000 Bretons qui y perdent la vie. La majorité d’entre eux sont des ruraux enrôlés dans l’infanterie. Ces circonstances déstabilisent également l’Eglise qui se pense comme la gardienne d’une vision traditionnelle d’une Bretagne rurale, catholique et conservatrice. C’est dans ce contexte qu’un homme – né pourtant hors de Bretagne –réussit à y créer un puissant mouvement politique catalysant la colère paysanne, pour la muer en un véritable « fascisme rural ».

Henri Dorgères lors d'une conférence, en 1937. CRédits: Gallica/BNF, Meurisse, 37 1 77/1.

Cet homme s’appelle Henri d’Halluin, mais est plus connu sous le patronyme de Dorgères. Il naît le 6 février 1897 à Wasquehal dans le Nord. Au sortir de la Première Guerre mondiale, il passe un baccalauréat littéraire, puis effectue deux années d’études de droit. Pourtant, en 1921, il embrasse la carrière de journaliste au quotidien catholique et conservateur Le Nouvelliste de Bretagne. Ce journal rennais est fondé en 1901 sous l’impulsion des autorités ecclésiastiques pour concurrencer le quotidien L’Ouest-Eclair de l’abbé Félix Trochu, journal rallié à la République. Du haut de ses 20 000 exemplaires journaliers dans les années 19201, Le Nouvelliste travaille à la reconstruction d’une droite conservatrice en Bretagne. Henri d’Halluin couvre notamment l’actualité agricole du département d’Ille-et-Vilaine et devient ainsi un ardent défenseur de la cause paysanne. Cette spécialisation dans l’information agricole le conduit à prendre la tête du Progrès agricole de l’Ouest, quelques années plus tard. C’est lors de son passage dans cette publication qui pratique « l’activisme au service de la France profonde »2 qu’il prend le pseudonyme de Dorgères.

En 1929, Henri d’Halluin passe de l’activisme médiatique à l’activisme politique en fondant le premier Comité de défense paysanne à Rennes, en réaction à la loi sur les assurances sociales bénéficiant désormais aux ouvriers agricoles. Le mouvement qui prône le retour à la terre plonge ses racines idéologiques dans l’antisémitisme, le protectionnisme et l’antiparlementarisme. Dorgères revendique surtout une proximité avec le fascisme mussolinien, proposant une « dictature paysanne » et s’appuyant sur ses « Chemises vertes ». En 1934, le mouvement de Dorgères participe à la création du Front paysan. Au cours des années suivantes, le Front populaire devient l’ennemi à abattre pour ces agrariens. Les dorgéristes mènent ainsi des actions violentes, notamment en brisant les grèves des ouvriers agricoles. Lors d’un meeting organisé par le comité francilien le 19 octobre 1936, mais interdit par la préfecture, Dorgères est arrêté en compagnie de près de 70 de ses compagnons3. Deux mois plus tard, il connaît le même sort lors d’une nouvelle action des maraîchers parisiens aux halles centrales4.

Dorgères prend de nouvelles responsabilités sous le Régime de Vichy lors de la refonte du syndicalisme agricole autour de la Corporation paysanne en 1941. L’Ouest-Eclair rapporte ainsi, le 9 mars 1941, les propos du président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine qui se félicite qu’Hervé de Guébriant – le fondateur du mutualisme agricole breton – ait été nommé à la tête de la délégation régionale du syndicat de la Révolution nationale5. Il plébiscite la nomination en tant que délégué général à la propagande « d’un homme aussi de chez nous, Henri Dorgères, dont le dévouement à la cause des intérêts paysans, l’activité et le dynamisme sont bien connus et ont, depuis longtemps, débordé le cadre de notre département et de la Bretagne ». En 1943, Henri d’Halluin publie un ouvrage intitulé Révolution paysanne. Il y développe notamment une rhétorique hostile aux fonctionnaires, dont l’instituteur public coupable de « déraciner » les jeunes ruraux. Il défend également la petite propriété agricole familiale qui se transmet de génération en génération. Cette dernière position l’éloigne peu à peu des grands agrariens qui tiennent la Corporation paysanne, mais il demeure un vif soutient du Maréchal et reçoit en mains propres la Francisque. En août 1944, il est arrêté par les Alliés dans l’Indre. Il est condamné à dix années d’indignité nationale, mais son rôle joué auprès des prisonniers évadés voire des personnes poursuivies par l’Occupant qui cherchaient à passer la ligne de démarcation lui sauve la mise.

Haut les fourches publié en 1935. Collection particulière.

Après-guerre, Dorgères n’abandonne pas la vie publique. Il fonde une agence de publicité agricole, avant de devenir le gérant de la Gazette agricole au début des années 1950. Puis, lors du scrutin législatif de janvier 1956,  il se présente en Ille-et-Vilaine sur les listes poujadistes de l’Union pour le salut de la patrie. Elu à l’Assemblée nationale, il porte des textes ayant attrait à l’agriculture et la fiscalité. Il s’oppose également à l’Europe politique naissante, notamment sur la question agricole. Il disparait de la vie politique avec l’avènement de la Cinquième république, mais que reste-t-il du dorgérisme dans le syndicalisme agricole breton à l’heure de la « révolution productiviste » des Trente glorieuses ? La violence dans les modes d’actions sans aucun doute, mais le corpus idéologique fasciste en moins.

Thomas PERRONO

 

 

1 SAINCLIVIER, Jacqueline, L'Ille-et-Vilaine, 1919-1958, vie politique et sociale, Rennes, PUR, 1996.

2 HUBSCHER, Ronald. « Le Progrès Agricole ; l'activisme au service de la France profonde (1887-1970) ». In Revue du Nord, tome 64, n°252, janvier-mars 1982, pp. 93-143.

3 BNF – Gallica. « Agitation aux halles centrales après l’interdiction du meeting des maraîchers », L’Ouest-Eclair, 20 octobre 1936, en ligne.

4 BNF – Gallica. « M. Henri Dorgères a été libéré ce matin », L’Ouest-Eclair, 19 décembre 1936, en ligne.

5 BNF – Gallica. « L’organisation Corporative de l’Agriculture », L’Ouest-Eclair, 09 mars 1941, en ligne.