Philippe Cattiau : un « gâs » de Saint-Malo devenu champion olympique d’escrime

De nos jours, les champions sportifs ont acquis une telle renommée, qu’elle a tendance à amoindrir celle des générations précédentes. C’est encore plus vrai pour les sportifs qui connaissent la gloire dans les premières décennies du XXe siècle alors que, paradoxalement, un grand nombre d’entre eux se sont construits de glorieux palmarès, qu’il serait actuellement difficile d'égaler. Il en est ainsi de l’escrimeur Philippe Cattiau.

Carte postale. Collection particulière.

Philippe (Louis Eugène) Cattiau naît le 28 juillet 1892 à Saint-Malo. Il porte le même prénom que son père, alors « sergent maître d’escrime au quarante septième régiment d’infanterie (RI) ».1 Il est initié dès son enfance au maniement des armes par son père. Il se révèle très tôt doué pour l’escrime, puisqu’il devient en 1907 – à l’âge de 15 ans – champion de Bretagne. Un titre qu’il conserve les deux années suivantes.

A l’âge de 18 ans, le 15 septembre 1910, Philippe Cattiau s’engage volontairement à Versailles au 1er régiment du génie.2 Un an plus tard, le 12 octobre 1911, il est détaché à l’Ecole de gymnastique et d’escrime de Joinville-le-Pont pour apprendre le métier de maître d’armes. Il accède au grade de caporal le 29 août 1912. Le 12 juillet 1913, il retourne dans sa ville natale de Saint-Malo et se place dans les pas de son père, à l’occasion d’un rengagement au 47e RI. Le 11 septembre de la même année, il est promu sergent. Sous-officier d’active, il compte parmi les militaires qui quittent Saint-Malo dans la nuit du 5 au 6 août 1914, aux côtés notamment du célèbre gardien de but Marcel Landegren3. Cependant, il ne connaît presque rien du champ de bataille puisqu’il est blessé par balle dans « la partie inférieure de la cuisse » à Audigny, dans l’Aisne, pendant la bataille de Guise. A cette occasion, il est fait prisonnier et est interné en Allemagne. Il n’est rapatrié en France que le 5 janvier 1919.

Après guerre, malgré sa blessure à la cuisse qui lui cause une amyotrophie, ainsi que de récurrentes crises d’arthrite4, Philippe Cattiau brille sur les pistes d’escrime, aussi bien au fleuret, qu’à l’épée. Il faut dire qu’à cette époque les escrimeurs sont moins spécialisés dans une seule arme. Dès 1920, lors des Jeux olympiques d’Anvers, il décroche la médaille d’argent au fleuret individuel. Une olympiade plus tard, à Paris, il conserve sa médaille d’argent en individuel et devient champion olympique par équipe au fleuret, aux côtés notamment de Lucien Gaudin et Roger Ducret.5 Son palmarès olympique ne s’arrête pas là, puisqu’il remporte à nouveau les titres par équipe au fleuret et à l’épée lors des Jeux olympiques de Los Angeles 1932.6 Il est également couronné de plusieurs titres de champions de France, de deux titres de champion d’Europe (1929 et 1930), ainsi que de quatre médailles d’or décrochées aux championnats du monde.7 Philippe Cattiau prend sa retraite sportive à la fin des années 1930 et devient l’entraîneur de l’équipe de France pour les trois armes (fleuret, épée et sabre). Une mission qu’il assume encore après la Seconde Guerre mondiale, notamment lors des Jeux olympiques de Londres en 1948.8 Il accompagne ainsi l’éclosion du grand fleurettiste Christian d’Oriola.

Dès lors, au vu de ce parcours exceptionnel, comment expliquer l’oubli de Philippe Cattiau au panthéon du sport breton ? On pourrait avancer le fait qu’il a vécu la majeure partie de sa vie en région parisienne. Sa fiche matricule nous indique en effet qu’à sa démobilisation il vit rue du roi René, dans le 7e arrondissement de la capitale, avant de déménager, en 1928, à Villeneuve-la-Garenne (après un passage de deux ans rue de Rennes, dans le 6e). Son ancrage dans cette ville de proche banlieue a été suffisamment marquant pour qu’un gymnase municipal porte son nom. Pourtant, bien que devenu un Breton de Paris, Philippe Cattiau conserve de forts liens avec la cité corsaire. La presse régionale relate régulièrement ses exploits sportifs tout au long de sa carrière. Il en est ainsi du quotidien L’Ouest-Eclair qui s’enorgueillit d’avoir pour « compatriote, Philippe Cattiau, fils de l’ancien maître d’armes du 47e ».9 Le grand quotidien breton se réjouit particulièrement quand ce « gâs de Saint-Malo » vient participer au gala d’escrime local du 27 août 1928.10 En 1933, ce sont les fêtes de Pâques qui « ramènent au pays natal des tas de Malouins exilés, j’en note quelques-uns au passage  et non des moindres : Philippe Cattiau, champion olympique d’escrime […] ».11 Tout ceci montre que la notoriété de l’escrimeur est bien réelle, au moins à l’échelle locale. En outre, c’est à Saint-Malo, où il revient habiter au cœur de la cité fortifiée, au n°3 de la rue Guy Louvel, que Philippe Cattiau meurt le 18 février 1962.12

Carte postale. Collection particulière.

Il faudrait alors peut-être regarder du côté de l’escrime qui reste encore associée dans la première moitié du XXe siècle, bien qu’il s’agisse de l’un des plus anciens sports olympiques, à la pratique du duel à l’épée. Comme ce 30 septembre 1934 à Saint-Malo, où un combat « d’homme à homme » oppose le député-maire Guy La Chambre à l’avocat parisien Jacques Renouvin. Et d’ailleurs, pour arbitrer ce duel, qui de mieux que « M. Cattiau, le vieux et réputé maître d’armes servannais, père de l’escrimeur Philippe Cattiau qui fit si souvent triompher nos couleurs dans les compétitions sportives » ?13 Un sport qui a également du mal à se départir d’une image élitiste, voire aristocratique. En effet, Philippe Cattiau n’a jamais été en mesure de faire vibrer les foules populaires, comme l’ont fait les vainqueurs bretons du Tour de France : Jean Robic, Louison Bobet et Bernard Hinault

Thomas PERRONO

 

 

 

1 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 10 NUM 35288 1122. Acte de naissance de Philippe Cattiau, 29 juillet 1892.

2 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1R 2119. Subdivision militaire de Saint-Malo, vol. 3, fiche matricule n° 1451 de Philippe Cattiau.

3 Pour plus de détails, se rapporter à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.

4 Sa fiche matricule met en lumière un long dossier de pension d’invalidité.

5 Ce dernier réussit l’exploit, lors de ces Jeux olympiques de Paris 1924, de remporter une médaille dans les cinq épreuves dans lesquelles il est engagé, dont trois en or !

6 En tout, son palmarès aux Jeux olympiques compte trois médailles d’or, quatre d’argent et une de bronze.

7 Il est champion du monde à l’épée en individuel en 1929 et 1930, puis à l’épée par équipe en 1934 et 1935.

8 L’escrime française. Bulletin officiel de la Fédération française d’escrime, n° 21, février 1948, p. 12.

9 « Une victoire de Philippe Cattiau », L’Ouest-Eclair, 29/01/1929, p. 6.

10 « Au gala d’escrime de Saint-Malo, L’Ouest-Eclair, 29/08/1929, p. 8.

11 « Les Pâques des sportifs malouins », L’Ouest-Eclair, 17/04/1933, p. 6.

12 La mention de son décès est inscrite en marge de son acte de naissance et l’adresse de son logement malouin est présente sur sa fiche matricule.

13 « Le duel de Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, 01/10/1934, p. 5.