De l’essor du basket en Bretagne en… 1919

 On ne le répétera jamais assez, la presse est une source des plus précieuses pour l’historien, à condition toutefois de savoir l’utiliser à bon escient. C’est ainsi qu’un court article, simplement signé « G. T. » et publié le 3 février 1919 dans l’édition nantaise de L’Ouest-Eclair, en dit non seulement très long sur l’histoire de la pratique du basket-ball en France mais  nuance singulièrement certains excès que l’on a pu observer à l’occasion du centenaire de la présence américaine en Bretagne pendant la Grande Guerre1.

Le 29 juin 1919 au stade Pershing, à Paris, les Etats-Unis battent la France sur le score de 93 à... 8. Bibliothèque nationale de France / Gallica : EI-13 (653).

L’un des travers du discours commémoratif est en effet de postuler une acculturation complète entre Américains et Français, et plus singulièrement en ce qui nous concerne Bretons. Ainsi, avec l’arrivée des Doughboys en juin 1917 puis leur installation dans les ports bretons, la mode serait dans la péninsule armoricaine irrémédiablement yankee, chacun n’écoutant plus que du jazz, les hommes arborant des coupes de cheveux censées « faire américain » et délaissant le football et le vélo pour le baseball et, donc, le basketball. Bref, comme transcendés par leur alliance pour le « droit » et la « civilisation » contre la « barbarie allemande », Américains et Français ne feraient plus qu’un, y compris dans les goûts et pratiques culturelles.

En réalité, l’historiographie est beaucoup plus nuancée, pour ne pas dire circonspecte, sur la réalité des échanges artistiques et sportifs américano-français (la vulgate commémorative ne les postule que dans ce sens et ne pose jamais la question d’une réciprocité) pendant la période 1917-1919. C’est d’ailleurs ce que démontre sans aucune ambiguïté l’article du grand quotidien catholique L’Ouest-Eclair publié le 3 février 1919, c’est-à-dire à une période où l’Armistice est signé et où les Doughboys commencent déjà à prendre le chemin du retour. Le propos du journaliste est en effet de rendre compte d’une rencontre ayant eu lieu deux jours auparavant à Angers et débute ainsi :

« Samedi soir les Américains ont donné salle du Skating à Luna Park une très intéressante soirée sportive à laquelle prirent part un grand nombre de Yanks des mieux bâtis et des plus alertes. Le genre auquel se livrèrent ces sportsmen est tout simplement un jeu qui porte le nom anglais de basket-ball, ou, pour en donner une traduction approximative, balle au panier. Si nous en avons bien compris le fonctionnement, en voici dans les grandes lignes les règles. »

Le propos est sans appel : non seulement le journaliste est obligé en ce mois de février 1919 de présenter à ses lecteurs les règles du basketball mais, cerise sur le gâteau, il confesse ne pas être certain de les avoir totalement comprises !

Pour l’historien, cette archive est passionnante. En effet, l’article montre combien sont solidement intériorisés les stéréotypes relatifs aux Américains. Non seulement le Doughboy est un véritable athlète – alors qu’un tiers des appelés aux Etats-Unis sont déclarés irrecevables pour le service armé, souffrant notamment de tuberculose2 – mais il « possède dans l’âme le goût du sport dans quelque nature qu’il se présente ». Cette pratique est d’ailleurs envisagée dans une perspective hygiéniste, ce qui renforce le discours – pas forcément conforme à la réalité des statistiques comme on vient de le voir – alliant activité physique et morale sociale : « Pendant les soirées d’hiver, au lieu de s’abrutir au café, [le soldat américain]] préfère se payer le luxe d’une partie de basket-ball, tout comme en été il se régale d’une partie de base-ball ».

Soldats du 369th Hellfighters jouant au basket à Saint-Nazaire, le 13 février 1918. National Archives at College Park, MD : 111-SC-6318.

Mais là n’est pas le plus savoureux ! En effet, contrairement à ce que suggère L’Ouest-Eclair, le basket n’est pas, dans la France de 1919, un sport neuf mais une pratique peu diffusée. La nuance peut paraître subtile, elle est néanmoins d’importance. En effet, contrairement à ce que proclame avec insistance la vulgate mémorielle, la balle orange n’arrive pas en 1917 dans les bagages du corps expéditionnaire américain mais bien avant la Grande Guerre, en 1893. C’est en effet à cette date que se joue la première partie de basket en France, dans une salle qui existe toujours. Or celle-ci, véritable monument historique situé rue de Trévise, souffre au printemps 2018 de graves problèmes de conservation. De là à croire que la méconnaissance de l’histoire empêche la préservation du patrimoine, il n’y a qu’un pas que, pour l’occasion, nous franchissons allègrement.

Erwan LE GALL

 

 

1 « Les Américains et les sports », L’Ouest-Eclair (édition de Nantes), 20e année, n° 7123, 3 février 1919, p. 3. Pour de plus amples développements on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018, p. 159-163.

2 CABANES, Bruno, Les Américains dans la Grande Guerre, Paris, Gallimard / Ministère de la Défense, 2017, p. 17.