Les réactions des Bretons au discours quimpérois du général De Gaulle

Le discours que prononce le général De Gaulle le 2 février 1969 à Quimper est assurément resté dans les mémoires. Dans celles des Bretons, tout d’abord, parce que le président de la République réaffirme la mise en œuvre du plan routier breton porté par le CELIB depuis près de deux décennies et qu’il parvient à conjuguer la quête de modernité de la société bretonne des années 1960 avec l’exaltation du caractère spécifique d’une région ancrée dans la République, mais fortement attachée à ses traditions. Dans celles des Français et des gaullistes plus particulièrement, parce que c’est dans la préfecture du Finistère qu’il annonce la tenue prochaine d’un référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation. Sans omettre, a posteriori, qu’il s’agit là du dernier grand discours public du Général. Au-delà de l’exégèse de la parole gaullienne, il apparaît important de se pencher sur les réactions bretonnes à ce discours, qu’il s’agisse de simples badauds, ou bien d’acteurs du monde politique et économique breton .

Le général de Gaulle à Quimper, le 2 février 1969. Archives Ouest-France.

Notons que l’attitude générale des Bretons interrogés par les journalistes de l’ORTF est pour le moins hétérogène face au discours présidentiel. Il y a bien entendu les gaullistes pur jus :

« Eh bien, les gens sont satisfaits et lui donnent entière confiance. C'est un homme dans lequel j'ai toujours eu confiance. Il a fait ses preuves. Elles ne sont plus à faire. »

Ceux qui sont touchés par les mots du Général sur les « 25 ans de libération de la Bretagne ». Ceux qui sont mitigés et dans l’attente de concret plus que de paroles : « Vous savez, en l'absence de toutes informations précises, (et Dieu sait si, pour l'instant, nous n'en avons pas), que voulez-vous répondre alors qu'il s'agit d'un problème extrêmement particulier et qui ne peut être jugé et jaugé que par quelques spécialistes ». Ceux qui ont trouvé « bien, […] très bien » que De Gaulle prononce quelques phrases en langue bretonne. Même si son accent est « l'accent du livre, un petit peu, alors ce n'est pas tout à fait comment on le parle ». Pour autant, cette attention est loin d’emballer définitivement l’assistance. Une vieille femme en coiffe cingle : « il a bien fait comme les autres, quoi »… Bref, ce sont certainement les propos du maire de Landrévarzec qui résume le mieux l’opinion populaire :

« Au point de vue général, oui, ça a quand même apaisé l'opinion publique, si vous voulez. […] Ce qu'on voudrait savoir, c'est s'il tiendra ses promesses. »

Du point de vue des responsables politiques et économiques bretons interrogés, la réception du discours et du tro Breizh présidentiel semble plutôt favorable. René Pleven, ancien président du Conseil dans les années cinquante et alors président du Conseil général des Côtes-du-Nord, qui « pense représenter à peu près l'opinion moyenne de la région » (sic), avoue être comme tous les Bretons « contents que le général de Gaulle se soit déplacé pour se rendre compte par lui-même de ce qu'était la situation en Bretagne en ce début d'année ». La posture d’écoute du Président de la République lui a plu lorsqu’il a assisté à la réunion de la Commission de développement économique régional (CODER) – ancêtre du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) – : « C'est exactement ce dont la Bretagne avait envie, c'est qu'on la fasse parler et qu'on l'écoute. Et maintenant, elle a l'espoir d'avoir été entendue ». Seul hic, la visite présidentielle s’est concentrée sur les grandes villes de la région : Rennes, Brest, Quimper. Car, si « les grandes villes ont de très importants problèmes. […]  cette campagne qui se dépeuple, elle en a aussi d'autres très différents et qui agissent sur son moral ». Alexis Gourvennec, le leader de la contestation paysanne bretonne des années soixante, retire comme impression :

« que le chef de l'Etat, dans le cadre de son discours de Quimper, a fortement en quelque sorte confirmé les décisions positives qui avaient été prises en conseil des ministres le 9 octobre dernier. Aussi nous avons le sentiment très net que le général a fortement confirmé les décisions concernant l'infrastructure bretonne qui sont, à nos yeux, des conditions préalables au développement. On peut dire que normalement, d'ici peu, la Bretagne sera, par conséquent, dotée d'un ensemble d'équipements lui permettant effectivement de provoquer un développement économique harmonieux. »

Pour autant, il reste vigilant face à la volonté réel « de l’Etat » de relancer le « développement industriel de l'Ouest d'une manière générale, et je dirais de l'extrême Ouest donc de Brest d'une manière plus particulière ». Une exigence que porte également Georges Lombard, le maire du port du Ponant. Ce dernier souhaite faire de sa cité la tête de pont de la France en matière de « pétrochimie » et de « sidérurgie » car pour lui : « sans cette industrialisation, il est pratiquement impossible de résoudre vraiment comme il devrait l'être le problème breton ». Il plaide également pour le développement de la recherche scientifique dans la péninsule armoricaine, car il est de « ceux qui pensent que seules les régions qui ont réussi à implanter de la recherche scientifique sur leur territoire connaîtront, demain, une prospérité qui sera importante sur le plan industriel et économique ».

En ce qui concerne la réforme institutionnelle proposée par le Général, l’écho de cette « régionalisation » annoncée est particulièrement sensible dans ce territoire qu’André Monteil, sénateur du Finistère, ancien maire de Quimper et ancien ministre, qualifie de « passionnément régionaliste ». A titre personnel, il est « partisan d'une véritable décentralisation administrative qui donnerait plus d'initiatives et plus de responsabilités aux élus des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des collectivités territoires existantes (les communes et les départements) ou des collectivités à créer (les régions) ». Joseph Martray, l’un des pères du CELIB, souhaite la transformation des CODER en un Conseil régional qui « disposer[ait] des moyens qui leurs permettr[ai]t de réaliser » des projets régionaux : « route, installation du téléphone… » Et pour doter ce Conseil régional de moyens, il « considère par exemple qu'un certain nombre d'impôts actuellement perçus par l'Etat devraient être perçus par la région », comme la vignette automobile par exemple. Bref, « cette réforme régionale prendra tout son sens dans la mesure où elle se traduira aussi par une décentralisation financière, une décentralisation fiscale ». Pour Martray, cette régionalisation doit se faire par étape : « quand on veut surmonter 180 ans de centralisation, on ne peut pas le faire en quelques années ». Mais il admet toutefois que c’est « le préfet de région qui sera chargé d'exécuter les décisions de l'assemblée », tout comme le préfet de département est le chef de l’exécutif du Conseil général. Néanmoins, le préfet « aura le mandat obligatoire de faire […] exécuter les décisions de l’assemblée ». Quand à la réforme du Sénat, Edmond Michelet, l’ancien député du Finistère et plusieurs fois ministre d’Etat, pense qu’elle est « nécessaire », cependant, il est d’avis que cette « transformation n'est qu'un aspect de cette très grande réforme qu'il souhaite voir adopter ».

Avec le maire de Quimper Léon Goraguer le 2 février 1969. Archives municipales de Quimper.

Deux mois après son discours quimpérois, De Gaulle semble avoir transformé l’essai puisque tous les départements bretons, à l’exception des Côtes-du-Nord, ont voté favorablement lors du référendum du 27 avril 1969Comme en 1958, les Bretons se révèlent fidèles au général. Ce d'autant plus que cette fois-ci les Français dans leur ensemble ont dit « non » au général à 52,58%. Pourtant,  comme le souligne Ouest-France le lendemain : « Dans l’Ouest, une majorité de oui moins importante qu’aux précédentes consultations ». Ainsi, ce vote breton semble plutôt être un « oui… mais » à De Gaulle, comme une preuve que le discours de Quimper avait d’abord convaincu les convaincus et laisser froids les adversaires du gaullisme.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire », « Réactions des Bretons au discours du Général de Gaulle à Quimper »,ORTF, 06/02/1969, en ligne.