Et si le premier des populistes était breton ?

De Viktor Orban à Donald Trump en passant par Pym Fortuyn, Jörg Haider, le Mouvement 5 étoiles ou Jean-Marie Le Pen, une vague nouvelle semble emporter au début du XXIe siècle l’occident politique, celle du populisme. Sur le vieux continent, cette déferlante prospère notamment sur un sentiment toujours plus défavorable à la construction européenne. Bien entendu, les politistes débattent des raisons profondes qui expliqueraient cette fièvre civique mais tous, en revanche, semblent s’accorder sur le caractère inédit de cette nouvelle génération de leaders politiques. Pourtant, il nous semble que l’épisode boulangiste qui survient à la fin du XIXe siècle constitue un précédent particulièrement intéressant.

Papier à cigarette à l’effigie du général Boulanger. Musée de Bretagne: 887.0038.1.

Né à Rennes le 29 avril 1837 dans une famille modeste, Georges Boulanger est une sorte d’incarnation avant l’heure cette méritocratie qui, plus tard, sera tant promue par les Républicains : sorti à un rang médiocre de Saint-Cyr, il est blessé pendant la Campagne d’Italie en 1859 et obtient rapidement du galon jusqu’à accéder au généralat, en 1880, à seulement 43 ans. C’est à cette époque qu’il devient le protégé de Georges Clemenceau, celui-là même qui se retrouvera à la tête du gouvernement en 1917 : nommé ministre de la Guerre par Charles de Freycinet, le général Boulanger se rend très rapidement populaire en prenant des mesures qui, il faut bien l’avouer, font d’autant plus d’effet qu’elles ne coûtent pas cher. Ainsi, par exemple, du rétablissement du défilé militaire du 14 juillet ou de l’autorisation accordée aux soldats de porter la barbe. Démagogue, le ministre est de surcroît doté d’un indéniable charisme.

Prospérant sur les effets délétères engendrés par une conjoncture économique difficile, un certain nombre de scandales politico-financiers – affaire de trafic d’influence ayant entrainé la démission du Président de la République Jules Grévy ou encore le fameux scandale de Panama… – et sur un sentiment de corruption généralisée, l’idéologie boulangiste est particulièrement difficile à cerner. Incarnant une sorte de libéralisme-autoritaire avant l’heure, le général est à la tête d’un Comité républicain national qui synthétise bien l’esprit de triangulation qui est le sien : autant le côté républicain du Comité semble destiné à séduire l’aile gauche de l’opinion, autant la dimension nationale paraît cibler l’aile droite. En effet, dans une posture qui n’est pas sans faire penser, a posteriori, au discours gaulliste fustigeant la République des partis, le boulangisme entend se situer au-dessus des officines parlementaires. C’est bien pour cela que, comme les bonapartistes, il plébiscite le recours direct au peuple, par la voie référendaire. Ajoutons enfin que dans ce cadre, la ligne bleue des Vosges et la perspective d’une Revanche contre l’Allemagne constituent un horizon aussi indépassable que mobilisateur.

Il convient néanmoins de distinguer le boulangisme qui peut s’exprimer au sein de l’arène politique nationale de ce qui peut s’observer sur le plan local. Ainsi, à Rennes, le général trouve en la figure d’Edgard Le Bastard, emblématique sénateur-maire de sa ville natale, un soutien aussi résolu qu’opportuniste et fluctuant. Riche tanneur et fervent républicain, le premier édile n’a en effet jamais pu s’intégrer au sein de l’élite de la bourgeoise préfecture d’Ille-et-Vilaine et joue ainsi une carte populaire qui sied, il est vrai, à son vaste programme de réalisations sociales destinées à charmer le monde ouvrier. Pour autant, Edgard Le Bastard n’hésite pas à s’éloigner du tempétueux général lorsque surgissent quelques sombres nuages comme l’affaire Schnaebelé, scandale d’espionnage sur fond de tensions franco-allemandes grandissantes éclatant au printemps 1887. Mais en populisme comme souvent en politique, il faut savoir suivre les vents dominants et c’est en véritable héros que le général est accueilli à Rennes un petit peu plus d’un an plus tard, le 8 juillet 1888.

Etiquette de savon à l'effigie du général Boulanger. Musée de Bretagne:  887.0038.2.

Plus qu’un programme structuré intellectuellement, le populisme est avant tout un discours, voire un ras-le-bol lancé à des dirigeants politiques jugés incapables et malhonnêtes. D’où le recours à l’homme providentiel et le fameux slogan : « C’est Boulange, lange, lange, C’est Boulange qu’il nous faut ! » Un point semble néanmoins distinguer les populistes du XXIe siècle de Boulanger. En effet, autant les premiers semblent appelés à remporter durablement les différents scrutins auxquels ils concourent, autant l’étoile boulangiste est fulgurante, disparaissant aussi rapidement qu’elle n’apparût. Annonçant son décès le 1er octobre 1891 – le fantasque officier s’est en effet suicidé deux jours plus tôt sur la tombe de sa maîtresse dans le cimetière d’Ixelles, en Belgique – La Dépêche de Brest se fend ainsi d’un éditorial particulièrement cruel : « Les morts vont vite, a-t-on dit, Boulanger était mort depuis deux ans, mort moralement. Qui songeait encore à lui en France ? »1

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

 

 

1 « La fin de Boulanger », La Dépêche de Brest, 5e année, n°1730, 1er octobre 1891, p. 1.