11 novembre 1918 : de la valeur ajoutée de l’historien

Le 11 novembre 1918 compte assurément parmi les dates les plus célèbres, et probablement parmi les plus profondément ancrées dans la mémoire collective. Pourtant, celle-ci n’est pas sans paradoxes. Contrairement à ce que l’on peut trop souvent lire, elle ne marque pas la fin de la guerre mais bien une cessation provisoire des combats, ce qui repousse d’autant la démobilisation et le retour des hommes dans leurs foyers. Pourtant, à l’arrière, elle matérialise sans doute possible une rupture et lance le retour des vieilles hostilités politiques d’antan qui, si elles n’avaient pas complètement disparu, se déroulaient toutefois dans une relative discrétion, union sacrée oblige. Dès lors, revenir aux archives, aux sources mêmes du 11 novembre 1918, se révèle être une démarche aussi indispensable que féconde.

Carte postale. Collection particulière.

C’est précisément ce que propose Rémy Cazals, le célèbre père des carnets du non moins célèbre tonnelier Louis Barthas, avec ce volume intitulé La fin du cauchemar 11 novembre 19181. Conformément à une démarche prisée par la socio histoire, l’auteur propose avec cet ouvrage une sélection de 110 témoignages (p. 10) racontant cette journée historique. Accessible au plus grand nombre, ces textes composent un livre d’autant plus agréable à lire qu’il est bien illustré et embrasse le 11 novembre 1918 dans toutes ses dimensions spatiales : au front bien entendu mais aussi à l’arrière, dans les départements français encore occupés par les Allemands, et même dans certains exotiques théâtres d’opérations comme le Front d’Orient et plus précisément encore la Macédoine (p. 167).

Cette sorte d’anthologie du 11 novembre 1918 nous parait d’autant plus intéressante qu’elle a le bon goût de ne pas oublier la Bretagne. Outre le désormais classique tant il est célèbre, Louis Maufrais, on découvre dans ces pages le témoignage – à notre connaissance inédit et provenant manifestement de fonds privés (p. 201) – de Moïse Hébrard, fantassin de la classe 1918 affecté au 70e RI de Vitré (p. 31-32). Les carnets de Gaston Mourlot, passé par le 65e RI de Nantes, et de Paul Cocho, épicier briochin mobilisé au 74e RIT, sont également sollicités à plusieurs reprises (p. 69, 189, 191 et 203). Il en est de même en ce qui concerne Ambroise Harel (p. 149-191). Pour autant, il faut bien admettre que nombre des témoins convoqués pour l’occasion sont loin d’être inconnus et comptent même parmi l’aristocratie des écrivains combattants tant ils ont été lus : outre l’inévitable Louis Barthas, mentionnons Marc Delfaud, Ephraïm Grenadou, Emile Joly, Eugène Henwood, Léon Hudelle ou encore Arnaud Pomiro.

On regrettera de même que le volume se limite à une compilation de textes sans réelle perspective historiographique. Pourtant abordé par plusieurs témoins – Alfred Roumiguières (p. 25), Emile Mauny (p. 29), Emile Banquet (p. 58) – la question de l’Armistice du 7 novembre 1918 n’est nullement explicitée alors qu’elle est essentielle pour comprendre comme est reçu celui du 11. Comme souvent dans cette socio histoire qui n’accorde aucune importance aux choses militaires, pourtant assez essentielles dans une guerre, de surcroît mondiale, on peut lire des choses aussi aberrantes que « les poilus du génie combattent rarement, ils effectuent les travaux les plus divers, parfois en première ligne » (p. 69). Comme si creuser une sape ou une parallèle de départ dans ce siège mutuel qu’est la guerre de tranchées n’était pas un acte de combat… Plutôt que de vaines démonstrations, on renverra aux carnets d’Eugène Lasbleis, sapeur originaire de Lamballe et dont la qualité de combattant ne saurait être contestée.

Groupe de prisonniers de guerer rançais. Collection particulière.

Mais là n’est probablement pas ce qui dérange le plus dans ce volume. Certes, on peut parfaitement comprendre l’intérêt qu’il y a, dans une démarche d’histoire publique, afin de sensibiliser le plus grand monde à l’occasion d’un grand temps de mémoire, à présenter une sélection de courriers évoquant l’Armistice du 11 novembre 1918. Pour autant, il faut bien avouer que le manque de contextualisation de la source interroge. On sait en effet qu’une lettre ne peut dire à elle seule la guerre et que le courrier en tant qu’archive doit se comprendre dans la durée. En d’autres termes, c’est bien le fil de la correspondance dans son intégralité qui importe, afin de pouvoir déceler les baisses de moral, ou au contraire les pics émotionnels. Malheureusement, comme si une compilation de texte suffisait, l’ouvrage ne dit rien de cela. A croire que l’historien ne sert à rien face aux sources.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 CAZALS, Rémy, La Fin du cauchemar. 11 novembre 1918, Toulouse, Privat, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.