Loeiz Ropars ou le renouveau du fest noz

Sorti pour le moins déconsidéré de la Seconde Guerre mondiale, dans le sillage des nationalistes de Breiz Atao et de quelques centaines de collaborateurs zélés, le mouvement breton renaît sur des bases culturelles. Chacun a ainsi en tête le mythique concert que donne Alan Stivell à l’Olympia en 1972, année véritablement charnière dans cet essor où la musique et la langue tiennent une place prépondérante. Pour autant, le succès du célèbre harpiste – né à Riom, en Auvergne – ne relève pas totalement de ce qui pourrait s’apparenter à une génération spontanée, apparue ex-nihilo. En effet, dès les années 1950, quelques pionniers se regroupent pour sauver un patrimoine culturel pour le moins menacé. Parmi eux figurent Loeiz Ropars, grande figure du fest-noz et du kan ha diskan.

Loeiz Ropars, à droite, en compagnie de Georges Le Meur (1960). Dardoup.

La première partie du XXe siècle est pour la musique bretonne une période de recul sous les assauts de mélodies empruntant au jazz mais surtout au musette. Les bals clandestins de la Seconde Guerre mondiale en sont un bel exemple : si les groupes affichent volontiers un visuel – et des noms – faisant référence au jazz, l’instrument star est bien l’accordéon. A la Libération, il n’y a guère plus que dans le Poher que l’on donne des fest noz, fêtes de nuit portée par une vie collective marquée par le rythme qu’imposent les travaux des champs. C’est dans ce contexte que Loiiz Ropars, nommé professeur à Quimper en 1946, s’attèle à la sauvegarde du chant traditionnel breton et notamment dans sa version aujourd’hui considérée comme la plus pure, la plus authentique, ce kan ha diskan envoutant que magnifient les sœurs Goadec.

Né à Poullaouen en 1921 dans une famille paysanne, Louis – Loeiz – Ropars baigne dans cette culture rurale qui cède de plus en plus de terrain au fur et à mesure que le XXe siècle se conjugue avec un primat croissant de l’urbain. Très tôt, le jeune garçon est conscient de ces mutations et des risques qu’elles font planer sur le chant en langue bretonne, et notamment le kan ha diskan. Il est vrai que Loeiz Ropars lui-même est une belle illustration de ces changements qui traversent la péninsule armoricaine : élève brillant, il part à Rennes pour suivre des études supérieures à l’université. Et c’est ainsi en tant que professeur de français, mais aussi de latin, de grec, de lettres et bien entendu de breton, qu’il officie pendant toute sa carrière d’enseignant.

C’est aussi le début d’un activisme sans relâche qui, d’une certaine manière, jette les bases du renouveau culturel breton des années 1970. En 1949, il accepte de prendre la présidence de la Kevrenn C’hlazig, future bagad de Quimper. Deux ans plus tard, la formation quimpéroise triomphe au championnat national des bagadou, exploit répété l’année suivante. En 1954, quelques mois après cette Toussaint rouge qui marque le début de la guerre d’Algérie, Loeiz Ropars est à l’initiative d’un concours de kan ha diskan, épreuve devant se dérouler le 26 décembre à Poullaouen, sa commune de naissance. C’est en fait le point de départ d’un mouvement qui non seulement contribuera à ériger cette commune du centre-Bretagne en véritable capitale du fest-noz mais pose les fondations de son renouveau. En effet, profitant d’un stage d’Ar Falz – l’association fondée par Yann Sohier dans les années 1930 – Loeiz Ropars, décide de sortir du strict cadre de la langue pour aborder le chant et la danse. Bien entendu, une telle initiative ne peut se concevoir sans travaux pratiques et c’est ainsi qu’une soirée est organisée par les apprenants en septembre 1955, toujours à Poullaouen. Rencontrant un vif succès, le spectacle est aujourd’hui considéré comme le premier fest noz de l’ère moderne : il se déroule dans une salle de bourg et non plus dans une ferme, tandis que les artistes évoluent sur une estrade et derrière un micro.

Fest noz moderne, sans lieu ni date. Creative commons.

Acteur clef du renouveau culturel breton, Loeiz Ropars est d’une certaine manière à la croisée des chemins. Comme une sorte d’héritier des folkloristes du XIXe siècle, il se bat pour la sauvegarde et la conservation d’une culture rurale d’autant plus menacée qu’en ces années 1950 et 1960 la modernité triomphe. Et la culture bretonne, de ce cadre de représentations, n’est pas associée à cette idée. Au contraire, dans cette Bretagne rurale des années 1950 qui découvre le confort moderne, la langue bretonne est sans doute la plus mauvaise manière d’aborder une jeune fille et de l’inviter à danser lors d’un bal. Dans la péninsule armoricaine comme ailleurs, les goûts musicaux sont affaire de distinction et le succès – réel – du fest noz s’apparente par bien des égards à une redécouverte des bienfaits de la ruralité, en réaction à un mode de vie citadin jugé trop stressant, oppressant. Reconnu pour son œuvre pionnière, Loeiz Ropars reçoit en 1995 le Collier de l’hermine et décède en 2007.

Erwan LE GALL