Les socialistes bretons et l’Europe, 60 ans d’histoire(s) politique(s)

Les élections européennes constituent encore aujourd’hui un véritable angle-mort de l’historiographie, malgré l’engouement actuel pour les perspectives transnationales. C’est donc un terrain particulièrement neuf que défriche ici l’historien François Prigent en s’attachant tout particulièrement au cas des socialistes bretons.

Par François PRIGENT

 

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la construction européenne reconfigure les différents systèmes partisans nationaux. Si les tendances globales comme la transnationalisation du jeu  politique ou la recomposition des clivages au fil des débats européens ont pu être esquissées par ce champ historiographique en pleine expansion, les effets politiques de la construction européenne sur les territoires sont rarement mesurés. Ce travail propose un regard décentré sur l’acculturation des réseaux socialistes bretons à l’idée européenne. Par des allers-retours entre les échelles continentale, française et régionale, il s’agit d’appréhender les processus d’intégration du référentiel communautaire à la culture socialiste et d’examiner dans le même temps l’intégration européenne sur une force politique comme le socialisme, saisi ici par une analyse localisée sur la Bretagne. Région largement pensée et représentée comme une périphérie européenne par excellence, la Bretagne constitue assurément un lieu d’observation privilégié pour mesurer les conséquences de la distance politique à Bruxelles des régions en politique.

Hémycicle du Parlement européen à Bruxelles. Wikicommons.

L’idée-force de cette étude consiste à mettre en exergue, à partir de sources inédites, la refonte du socle idéologique des socialismes bretons autour de la formulation d’un nouvel idéal européen1 dans les années 1950-1970. Car les pratiques militantes comme les rôles politiques sont littéralement bouleversés par l’acculturation des socialistes, en Bretagne comme ailleurs très certainement, aux logiques qui président au projet européen.

Les ruptures politiques décisives que sont la démocratisation des institutions européennes en 1979 puis l’accélération de l’intégration régionale dans la mondialisation à partir du traité de Maastricht en 1992 produisent des mutations profondes du système partisan national comme local. La mise à jour de ces réseaux socialistes bretons à dimension européenne offre l’occasion d’interroger ce moment d’histoire européenne qui coïncide avec l’émergence des réseaux socialistes en Bretagne. Il peut être étudié en dégageant les caractéristiques singulières du personnel politique, y compris au niveau de la spécialisation du travail parlementaire, ou en isolant les décalages par rapport aux autres scrutins de ces échéances électorales.

 

Réflexions liminaires : Europe-Bretagne, jeux d’échelles au miroir des réseaux socialistes

L’échelle européenne du champ partisan s’impose incontestablement comme une thématique en vogue dans l’historiographie récente du socialisme2. S’intéresser au Parlement européen, sous l’angle des ancrages régionaux d’une organisation partisane nationale, permet d’évoquer les positions et les enjeux, la place et le rôle des socialistes face à la question européenne. C’est aussi retracer le processus de démocratisation de la construction européenne en articulant les échelles d’analyse (Europe, France, milieu socialiste, réseaux PS en Bretagne).

Les avancées de la démocratisation des institutions européennes révèlent la continuité des engagements européens de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) puis du Parti socialiste (PS), indéniablement, un des fils conducteurs de la culture politique de la famille socialiste qui ressource les origines fondatrices de l’internationalisme3. Depuis les années 1950, la promotion de l’idée européenne par les socialistes s’inscrit néanmoins dans des périodes complexes de mutations des sociétés occidentales et de crises internes propres au milieu partisan.

L’Assemblée communautaire de la communauté européenne fondée en 1952, rebaptisée Assemblée parlementaire européenne puis Parlement européen, n’est devenue un véritable parlement, issu du suffrage universel et producteur de normes législatives, qu’au terme d’un long processus4. Etablie, la périodisation de cet objet politique identifie des moments bien distincts, ces « trois âges du parlement européen », pour reprendre la formule de l’ancien ministre Jean-Pierre Cot5, qui isole deux ruptures majeures : la première élection européenne au suffrage universel en 1979 et le traité de Maastricht en 1992. Si l’intégration européenne génère tout autant de débats sur l’Europe, la mouvance du socialisme démocratique reprend à son compte les aspirations politiques du projet européen.

L’insertion dans le contexte d’un système partisan transnational

Le processus de structuration du système partisan à l’échelle européenne alterne entre politisation de l’Europe affirmant l’affrontement gauche(s)/droite(s) au niveau continental et démocratisation consensuelle des instances représentatives neutralisant la portée des clivages entre cultures politiques résolument plurielles. Cette réalité explique largement la crise du politique à l’échelle européenne depuis les années 1980. Car la démocratie sans politique(s) est aussi une « démocratie impolitique », pour reprendre un concept forgé par Pierre Rosanvallon6 pour désigner la défiance relative à l’entité européenne dotée d’un système partisan imparfait et incomplet. La crise du politique, caractérisée par un déficit démocratique des institutions, pointée du doigt de façon récurrente, s’avère défavorable aux socialistes : croissance du taux d’abstention, coupure entre les élites et les catégories populaires sur la question européenne, montée de l’euroscepticisme, désarmement politique face aux inégalités sociales nourries par la globalisation.

Pourtant, la structuration progressive de l’espace politique européen, indéniable, aboutit à la reconnaissance des partis européens et le développement de relations partisanes transnationales : constitution de groupes parlementaires dès les années 1950, naissance de fédérations européennes de partis après 1979, puis de partis transnationaux à partir de 1992. La polarisation du clivage droite/gauche accélère l’hégémonie des familles socialistes et démocrates-chrétiennes (qui rassemblent à elles deux 53.66 % des voix en 1979, 65.97 % en 1999) et l’élaboration de formations partisanes conçues - et fonctionnant - à l’échelle européenne. Un des paradoxes européens réside précisément dans ce renforcement politique d’organisations partisanes en perte de vitesse au plan électoral, militant ou idéologique. La prégnance des engagements européens dans ces cultures politiques après 1945, assure des contacts et des rapprochements entre les deux sensibilités politiques ouvertement européistes. A l’origine des dynamiques de la construction européenne, on retrouve les pratiques de cogestion et de compromis politiques émanent de ces mouvances, qui se retrouvent pour élaborer le projet européen. Néanmoins, ces pratiques politiques s’avèrent sinon étrangères du moins rares à l’échelle nationale. C’est tout particulièrement le cas dans la configuration bretonne, les convergences des pratiques ou des idées politiques du MRP et de la SFIO se heurtant à la frontière indépassable du clivage gauche/droite élaborée dans la longue durée.

Le décalage entre les systèmes partisans nationaux et européen7 prédomine en dépit de l’institutionnalisation des partis transnationaux. Les racines philosophiques des mouvements sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens, dévoilant d’incontestables traits parallèles au regard des évolutions de la configuration politique en Bretagne, du Mouvement républicain populaire (MRP) au PS8, dévoilent une histoire transnationale de ces familles politiques. Côté socialiste, l’idée européenne s’inscrit dans la continuité de l’internationalisme9, réactivant les liens militants et le travail de coopération partisane10. Si les partis démocrates-chrétiens disposent d’un patrimoine politique et idéologique partagé, les relations restent limitées en dehors des rencontres d’été de Genève entre 1947 et 1956, la transnationalisation des années 1960-1970 représentant ainsi une véritable mutation du politique. Décrits plus loin dans ce texte, les rassemblements socialistes de Coat-Ermit en Bretagne, qui reposent sur des logiques similaires, constituent un signe de l’émergence d’une « génération Europe », au sens d’appartenance et d’identification générationnelle à une culture politique favorable à l’Europe en train de s’élaborer.

Timbre commémorant le Traité de Rome. Collection particulière.

Dès le traité de Rome, la mise en place de groupes parlementaires au niveau européen témoigne d’une vision partagée de la démocratie représentative, plaçant les partis au centre du système politique. La première étape de la parlementarisation de l’Europe11, prolongée par la naissance des fédérations européennes de partis, se solde par un constat d’échec à la fin des années 1970. La plate-forme politique de l’Union des partis socialistes de la communauté européenne (UPSCE) en avril 1974, qui prône l’idée d’une démocratisation de l’Europe avec des élections directes au niveau européen, peine à dépasser la simple addition de partis dans un cadre européen. La coordination de forces nationales à l’échelle européenne peut être vue comme la transposition à une autre échelle de l’intégration des systèmes politiques locaux dans un cadre national. La dépendance du cadre national dans le système partisan européen est modifiée par la reconnaissance des partis politiques européens (article 138 A du traité de Maastricht). Le rôle charnière des formations partisanes belges est souligné dans l’autonomisation des europartis, qui se caractérisent par la transnationalité, l’action au sein du parlement européen, l’élaboration de programmes politiques européens. Relativisant la portée des projets du Parti socialiste européen (PSE), les responsables socialistes solidifient l’organisation partisane interne : conférences des leaders partisans, mise en place d’un bureau et d’une équipe de coordination, approfondissement des relations avec le groupe parlementaire. Mais la recherche du consensus a aussi vidé la ligne politique de sa substance. Après les retards initiaux, la force de l’intégration transnationale au sein du Parti populaire européen (PPE) ne s’accompagne pas après l’institutionnalisation de 1992 d’un renforcement de l’europarti, qui ne remet pas en cause la primauté du cadre national. Ces structures intègrent les formations conservatrices dans les années 1990, et si cette ouverture se traduit par une dilution de l’identité démocrate-chrétienne, le PPE rassemble les composantes plurielles de la droite européenne, élargissant son influence et contribuant à la bipolarisation des enjeux et jeux politiques à l’échelle européenne. Pourtant en phase culturellement avec les dynamiques inhérentes au projet européen des socialistes, la marginalisation des socialistes bretons dans le PS n’est pas accentuée par un éloignement des structures socialistes européennes, qui tiennent compte des logiques de territorialisation et de régionalisation.

En outre, la mise en place de ces fédérations européennes de partis s’inscrit dans une tendance de politisation du processus européen de décision politique, d’abord limité au triangle institutionnel : parlement européen, conseil européen, commission européenne. La façon dont socialistes et démocrates-chrétiens s’insèrent dans le jeu parlementaire européen, souligne le rôle de co-décision politique (conjointement avec le conseil européen) raffermi par le traité d’Amsterdam (1997). Les pratiques des groupes parlementaires sont esquissées au travers des indisciplines partisanes (les réflexes nationaux étant plus visibles au niveau des amendements que du vote des résolutions), avec une différenciation entre le PSE qui tend à l’unification de ses pratiques politiques et le PPE dont les positions politiques sont plus hétérogènes en interne. La réflexion sur la commission européenne, un organe technocratique en voie de politisation, met à jour un « moment Delors ».  Le rôle politique de la figure du président de la Commission européenne mériterait d’être creusé tant au plan européen que national et régional, ne serait-ce qu’en appréhendant la proximité générationnelle et culturelle des réseaux ayant contribué à l’aventure politique des transcourants, de Démocratie 2000 et du club Témoin, à l’instar de Jean-Yves Le Drian, dont la stature politique s’ étoffe depuis 2012 en tant que ministre de la Défense (2012-2017) puis ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (depuis 2017). La place des socialistes bretons, comme Jean-Yves Le Drian, Bernard Poignant ou Martine Buron, dans ces instances politiques transpartisanes sera mise en exergue plus tard dans la démonstration. Notons tout de suite que les orientations économiques de la CEE placent les socialistes bretons, très actifs dans ces domaines, au cœur des dispositifs relatifs à l’Europe bleue ou aux politiques communautaires en matière agricole.

La prépondérance de l’échelle nationale

Au-delà des stimulantes démarches comparatives des mouvances socialistes à l’échelle européenne, l’historiographie du socialisme français accorde une place importante aux questions européennes, des visions aux pratiques socialistes de l’Europe, via des approches biographiques des parcours de Guy Mollet, Christian Pineau, Albert Gazier ou Gérard Jaquet… La connaissance des pratiques des parlementaires européens à Strasbourg commence à s’étoffer grâce à des essais-témoignages comme les écrits récents de Bernard Poignant, député et maire de Quimper12. Député européen entre 1999 et 2009, ce proche de Michel Rocard puis de Lionel Jospin et François Hollande est en charge de la Délégation socialiste française (DSF) durant la mandature 2004-2009.

Bernard Poignant. Affiche pour les campagnes des législatives de 1988 (détail). Archives du CEVIPOF.

Réalité déjà soulignée par L. Jalabert13, le congrès de Bagnolet en décembre 1973 façonne durablement la vision de l’Europe et l’importance des engagements européens pour le nouveau PS. Ce ralliement à l’Europe conforte la volonté du PS de se singulariser par rapport aux positions du Parti communiste français (PCF) dans une période d’inversion de la gauche avec la stratégie de l’union de la gauche (le programme commun est signé en juin 1972). Les positions socialistes, qui trouvent racine dans des conceptions de l’Europe différentes de celles de la famille gaulliste, ont pour effet de renforcer l’idéologie européenne entre 1969 et 1973, années tournant du socialisme avec la profonde reconfiguration de ses bases militantes, la refonte et la réorientation de ses structures et stratégies partisanes, la rénovation de son corpus théorique124. L’après 1981 se caractérise par les inflexions en matière de politique économique lors du tournant de la rigueur en 1983, soulignant à quel point les cohabitations et le rôle joué par Jacques Delors à Bruxelles (1985-1994) renforcent les engagements européens des socialistes.

En Bretagne, la dimension européenne est renforcée par l’association de ces convictions à l’idée décentralisatrice des réseaux socialistes bretons15. Les rôles de Martine Buron au sein du PSE, de Jean-Yves Le Drian  en tant que président de la Conférence des régions périphériques maritimes (CPRM) entre 2010 et 2013, voire de Louis Le Pensec à la tête de l’Association française du Conseil des communeset régionsd'Europe (AFCCRE) entre 1999 et décembre 2012, invitent à creuser, adossé à des sources à identifier, la réalité d’un lobby socialiste breton à l’échelle européenne sur certaines thématiques politiques16. Privilégiant les mandats nationaux et très nettement façonnés par une métropolisation du socialisme, les élus bretons mobilise désormais de façon systématique et naturelle les engagements européens, un pilier de la culture socialiste.

Pour compléter cette analyse historique multiscalaire, il importe de mesurer la singularité des réseaux socialistes bretons sur ces questions européennes. Il s’agit là d’ un terrain historiographique à défricher.

 

Comment les engagements européens sont devenus un marqueur de la culture politique des socialistes : regards décentrés depuis les réseaux socialistes bretons (1957-1979) ?

Des lendemains de la Seconde Guerre mondiale à la ratification des traités de Rome, les engagements européens se sont peu à peu imposés au cœur de la culture politique des socialistes. Le concept de culture politique est entendu comme un ensemble cohérent définissant une identité politique, c’est-à-dire ce qui se noue dans le « nous » d’une sensibilité ou d’une mouvance partageant une grille de lecture du monde, de la société, de l’homme. Les cultures politiques peuvent être définies comme des systèmes de valeurs et de normes qui sont aussi des visions du monde, grilles d’interprétation du réel en même temps que des projections collectives dans l’avenir, partagées par telle ou telle fraction de la société. Ces références philosophiques et historiques, construites et idéalisées, sont mobilisatrices et mobilisées, par différentes représentations politiques (attitudes et comportements politiques) et moyens d’expression (discours, symboles, rites). Les composantes d’une culture politique, résultat d’une socialisation et d’une intériorisation à penser comme la somme d’influences plurielles, s’élaborent dans des relations qui mettent en jeu un individu et des institutions (famille, école, travail, organisations, médias…), façonnant ainsi un rapport au politique qui évolue au gré des configurations historiques17. Si le projet européen s’impose aux socialistes, qui intériorisent les valeurs consubstantielles à la construction européenne, cette acculturation génère en retour des aspérités idéologiques, sur les inégalités socio-économiques produites par l’orientation libérale de l’Europe par exemple, à l’origine des crispations qui traversent le milieu socialiste.

Une accélération de l’identité social-démocrate des milieux SFIO

Cette rencontre politique entre les contours du projet européen et les marqueurs idéologiques de la SFIO met en lumière un certain nombre de valeurs communes : croyance dans la démocratie, combats pour la paix, espoirs générés par le nouveau cadre politique de l’Etat-Providence. A l’instar des engagements en faveur de la justice sociale par la protection et la redistribution de l’Etat, le refus viscéral de la guerre après les horreurs de la période 1939-194518 apparaît comme un ressourcement de l’internationalisme et du pacifisme, de l’humanisme et de l’universalisme, autant de grilles de lecture privilégiées de longue date, dès avant 1914, par les milieux militants socialistes. En Bretagne comme ailleurs, les réseaux de la SFIO de l’ère Guy Mollet, fervent européen s’il en est19, adoptent donc aisément ces références politiques, posant les premières bases du projet européen. D’autant plus que durant cette décennie (milieu des années 1940-milieu des années 1950), la SFIO s’inscrit dans une stratégie de Troisième force, largement renforcée par les orientations européennes impliquant les choix de l’atlantisme et de l’anticommunisme, autres marqueurs militants des socialistes de la IVe République, concurrencés à gauche par la puissance du PCF20.

Guy Mollet, deuxième en partant de la gauche, lors du congrès de la SFIO en 1950. Collection particulière.

Toutefois, les conceptions européistes partagées avec les démocrates-chrétiens du MRP suscitent parallèlement des méfiances politiques contre une Europe dominée par les mondes catholiques, ce qui se répercute par une moindre adhésion aux premiers pas d’une construction européenne portée par des figures socialistes mais surtout démocrates-chrétiennes. Cette dimension vaut tout particulièrement à l’échelle de la Bretagne où la référence à la laïcité départage les frontières entre gauche et droite, ce qui rend les configurations d’alliances stratégiques entre MRP et SFIO à l’échelle locale si complexes et tendues, en dépit des convergences sur certaines thématiques politiques21. Ainsi, les socialistes bretons incorporent une vision singulière de l’Europe, résolument plus teintée de marxisme et d’humanisme démocratique, pour se démarquer du compromis historique entre chrétiens sociaux et sociaux-démocrates qui lance ce processus historique à partir du congrès de La Haye en 1948.

Ces ambiguïtés originelles se font jour plus nettement dans les années 1950-1960. En partie initiée par René Pléven, une figure régionale des centres par essence vus comme à droite22, l’idée d’une armée européenne intégrée suscite de vifs débats au sein des milieux socialistes bretons. Les archives de la section de Lorient23, par exemple, retranscrivent la vigueur des débats militants (relatés intégralement) sur une question qui divise. Tiraillé entre l’attachement nouveau à cette idée européenne et la mémoire vive d’un antifascisme résistant24, qui certes revivifie l’idéal de la démocratie mais s’apparente aussi à un engagement nationaliste contre l’Occupant nazi et allemand, la Communauté européenne de défense (CED) est finalement refusée par Jean Le Coutaller, député de Lorient entre 1945 et 1956. En effet, lors du vote du 19 février 1952 « Question de confiance sur l’Armée européenne », la question européenne recompose clairement les équilibres politiques traditionnels fondés sur le clivage gauche/droite : 22 élus votent pour, dont les 4 élus SFIO Tanguy Prigent, Jean Le Coutaller, Eugène Reeb et Alexandre Thomas, tout comme les élus MRP, UDSR et indépendants ; tandis que les élus PCF et RPF s’opposent (16) ou s’abstiennent (1). En revanche, le vote du 30 août 1954 aboutissant au rejet de la CED montre bien comment cet enjeu du fédéralisme, entre autre, divise les partis en leur sein, à l’image de la SFIO : 17 élus votent pour, dont Jean Guitton et Antoine Mazier ; 20 députés votent contre, dont Tanguy Prigent, Jean Le Coutaller et Eugène Reeb (plus 2 abstentions)25. Ce débat politique majeur pour appréhender les mutations découlant de la Guerre d’Algérie par la suite renvoie à l’impossibilité de  concilier des positions fédéralistes et unionistes, dans des espaces militants profondément attachés à la fois aux réalités locales et aux principes républicains. L’échec du processus politique européen n’oblige pas les réseaux socialistes à clarifier leurs conceptions en la matière. De même, les attitudes d’opposition de principe à partir de 1958 au pouvoir gaullien, au cœur de la construction européenne par l’édification de liens solides dans le couple franco-allemand, contribuent à fragiliser les choix européens des socialistes, du moins en termes de culture politique ouvertement affirmée.

Le camp international de Coat-Ermit (1948-1959), un exemple de la diffusion de l’idée européenne dans les réseaux socialistes bretons

La force de ce sentiment européen peut être repérée dans l’attitude face aux premières réalisations concrètes de l’Europe naissante, et ce même si ces perceptions politiques sont loin d’être dénuées d’ambiguïtés. Comment sur le terrain s’opère ce type d’acculturation à l’idée européenne ? L’institutionnalisation rapide des jumelages entre villes bretonnes et allemandes, sans être l’apanage des municipalités SFIO, fabrique des espaces de contacts politiques plus investis par les réseaux de jeunesse de la SFIO et du SPD. C’est assurément un vecteur de diffusion de l’adhésion au projet européen au sein des réseaux socialistes, d’autant que les élus, souvent issus de la catégorie des résistants socialistes, mobilisent ici les réseaux d’anciens combattants dans ce rapprochement franco-allemand. Le cas lorientais apparaît ici emblématique.

La gare de Plourivo, dans les Côtes-du-Nord, où est organisé le camp international de Coat-Ermit. Carte postale. Collection particulière.

D’autres espaces de contacts26 existent à l’instar, dès l’été 1948, des actions impulsées par la fédération SFIO des Côtes-du-Nord. Fin juillet 1948, les socialistes briochins organisent une Semaine internationale, en deux temps. Sur 3 jours, des ateliers politiques rassemblant cadres nationaux de la SFIO, du Labour Party, du Parti ouvrier belge –POB- (en présence de Louis Brouckère par exemple), du Parti socialiste italien (PSI) mais aussi des responsables politiques africains ou antillais27 traitent de thématiques politiques générales. Puis, une dizaine de conférences sur la fédération européenne telle que pensée par les socialistes se tiennent de façon quasi-simultanée dans différents espaces du département, notamment les cantons acquis à la SFIO. Outre les intervenants européens, dont le député-poète sénégalais Léopold Senghor, plusieurs ministres ou responsables majeurs de la SFIO prennent ainsi la parole pour analyser l’articulation politique entre combats socialistes et engagements européens : Guy Mollet, Marceau Pivert, Andrée Viennot, Victor-Olivier Lapie…

Dans la foulée de cette Semaine internationale, la SFIO des Côtes-du-Nord accepte d’accueillir le Camp international des jeunes socialistes à Coat-Ermit, sur la commune de Plourivo28. Les archives regorgent du travail militant, en termes de logistique et de préparation de ce moment politique festif29, qui lie engagements socialiste et européen. Si le nom de Michel Lucas, responsable des JS qui viennent tout juste de se constituer à l’échelle départementale (avec des noyaux militants à Saint-Brieuc, Lamballe, Etables et Guingamp) revient à plusieurs reprises, la cheville ouvrière de ce projet s’avère bien Jeanne Mazier, la femme du député de Saint-Brieuc. C’est elle qui fait le lien avec la direction nationale de la SFIO et les réseaux de jeunesse de l’Internationale socialiste, en amont de ce Camp international, une pratique politique régulière dénommée Républiques internationales des Faucons rouges30. Ainsi, les réseaux nationaux et locaux des ajistes (bien souvent des anciens du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) et du scoutisme laïque (Eclaireurs), structures qui se sont généralisées au temps du Front populaire dans le sillage de l’action en faveur de l’éducation populaire et des loisirs populaires de Léo Lagrange, sont mobilisés pour ces rencontres qui se déroulent du 8 au 29 août 1948. Outre la dimension de formation politique, ces rencontres des jeunes socialistes européens intègrent des temps moins politiques, à l’image des excursions prévues à Bréhat, Perros-Guirec, Ploumanac’h et Trébeurden, ou des soirées estivales certes fortes en discussions et débats politiques. Le coût individuel (3 000 francs pour deux semaines, 4 000 francs pour trois semaines) semble le plus souvent pris en charge par les structures partisanes nationales, qui soutiennent le Mouvement de l’enfance ouvrière (nom pris après 1945 par les Amis des Faucons rouges). S’il est difficile de dénombrer avec exactitude le nombre des participant-e-s (plusieurs centaines, très certainement, les membres des délégations pouvant être accueillis au domicile des militants, ce qui est avéré à plusieurs reprises d’après les témoignages de socialistes trégorrois par exemple), ce camp de Coat-Ermit est fréquenté par des socialistes venus de 15 nations différentes, dont des Américains et des Canadiens d’ailleurs. Le numéro 79 du 28 août 1948 du Combat social titre d’ailleurs « La fédération SFIO des Côtes-du-Nord reçoit la jeunesse du monde entier ».

À cette occasion, les échanges politiques entre délégations alternent avec des temps de conférences informelles de la part de responsables socialistes d’horizons divers. Si le contenu précis des échanges n’est pas connu, les thématiques générales peuvent être identifiées : engagement et cultures, pour Léopold Senghor ou l’écrivain Jean Guéhenno, qui captivent leur auditoire, situation politique nationale et internationale pour Tanguy Prigent et Jules Moch (ministre de l’Intérieur), questions d’éducation pour Pierre Favreau (Inspecteur général de l’Instruction publique), questions agricoles pour Yves Henry (Conseiller de la République des Côtes-du-Nord). D’autres se contentent d’échanges plus généraux comme François Clec’h, président SFIO du Conseil général des Côtes-du-Nord, accompagné ce soir-là du préfet. Avec Jeanne Mazier, une autre figure clé peut être identifiée, celle de Jean Nihon (POB31) détenteur d’une expérience des camps internationaux. Plusieurs parlementaires SFIO participent aussi aux travaux en qualité d’experts socialistes, à l’image de Rachel Lempereur (Nord, sur les questions d’éducation32) Pierre Doutrellot (Somme sur la Sécurité sociale) ou Maurice Poirot (Vosges, futur PSA-PSU, dont les enfants participent au Camp de Coat-Ermit). Il faut aussi relever la présence des puissants réseaux locaux communistes de l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF), très intéressés notamment par les débats initiés par la délégation tchécoslovaque, dans un temps où l’Europe est saisie par le grand rafraîchissement des relations internationales, à Prague comme dans les Côtes-du-Nord. C’est d’ailleurs la teneur d’un article retraçant le bilan du camp de Coat-Ermit, rédigé par Roger Péran secrétaire fédéral des JS (1948-1949), paru dans Le Breton socialiste, organe de la fédération socialiste du Finistère, début septembre 1948, faisant le lien entre internationalisme, pacifisme et idée européenne33. N’ayant pu consulter que des sources internes à l’histoire du socialisme breton, dont les compte-rendus publiés dans la presse militante, il manque, et c’est dommageable, bien des éléments pour analyser en détail cette expérience de Coat-Ermit. Quel était le point de vue des acteurs internationaux ? Comment cet épisode s’insère-t-il dans une histoire longue des camps internationaux de jeunes socialistes ? Concrètement, comment la barrière de la langue est-elle contournée dans les échanges politiques ?

Notre-Dame de Lancerf en Plourivo. Carte postale. Collection particulière.

L’expérience est renouvelée en 1959, toujours sous l’égide de Jeanne Mazier, laissant cette fois moins de traces dans les sources internes en raison d’une malheureuse concordance des temps entre le camp de Coat-Ermit et la douloureuse scission SFIO/PSA en pleine Guerre d’Algérie.


Le travail politique des députés européens avant 1979 (Tanguy Prigent, François Blancho, Georges Carpentier)

La conquête du suffrage universel s’échelonne du traité de Rome aux premières élections européennes (1957-1979) dans un contexte de crise puis de refonte et de relance du socialisme en France. Durant cette séquence, la représentation des socialistes bretons, loin d’être marginalisée, fait ressurgir un travail politique oublié de la mémoire collective, à l’image des trois figures majeures des socialismes bretons qui siègent dans les premières instances représentatives à l’échelle européenne. Ministre de l’agriculture puis secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, Tanguy Prigent (1909-1970) connaît une carrière politique dense à l’échelle locale, à la SFIO puis au PSU : maire de Saint-Jean-du-Doigt, conseiller général de Lanmeur et député de Morlaix. Chaudronnier, également engagé dans les filières militantes plurielles du socialisme, François Blancho connaît plusieurs expériences gouvernementales entre 1936 et 1940 et marque de son empreinte le socialisme nazairien : maire, conseiller général, député. Il en va de même pour Georges Carpentier, conseiller général et député de Saint-Nazaire, très investi dans les filières associatives, laïques et syndicales .

Leurs parcours à l’échelle européenne offrent l’occasion d’un regard décentré sur le travail politique de ces ancêtres du Parlement européen avant sa démocratisation en 1979. Par leurs actions, il y a là matière à penser les relations politiques entre la Bretagne et l’Europe au niveau industriel et agricole notamment, d’autant que la période concernée correspond aux profondes mutations des structures socio-économiques qui affectent la région. Ce chantier historiographique mériterait de plus amples investigations dans des fonds d’archives spécifiques pour mesurer la singularité de la configuration bretonne (et du socialisme breton à l’aune des autres forces politiques régionales et du socialisme français) mais aussi mettre en lumière de façon plus approfondie le travail parlementaire des eurodéputés, souvent méconnu ou caricaturé.

Ainsi, Tanguy Prigent, qui siège à Strasbourg durant 2 ans , appartient à ces ancêtres des eurodéputés de plein exercice, adoubés eux par le suffrage universel. Le procès-verbal des réunions des 8-9 octobre 1958, conservé aux archives de l’Institut européen de Florence , montre le cheminement de la réflexion politique sur les questions agricoles européennes, durant la période qui fait maturer le projet d’une Politique agricole commune (PAC), lancée en 1962 . Ce temps d’échanges et de confrontation des visions prend la forme de la présentation et du débat de 3 rapports qui alimentent la réflexion des avant-projets de la PAC. Les problèmes intérieurs de la Communauté dans le domaine agricole sont exposés par un démocrate-chrétien de la CSU, Hans-August Lücker, issu de la Chambre agricole de Bavière. Membre du Parlement européen sans discontinuer jusqu’en 1984, il influence durablement les choix effectués en matière de politique agricole . Ce contre-poids allemand et flamand face aux visées françaises montre aussi l’enchevêtrement des préoccupations nationales et partisanes. La seconde intervention est prononcée par  le numéro deux du gouvernement luxembourgeois, un juriste, démocrate (de tendance libérale) Eugène Schaus, abordant les problèmes extérieurs des échanges agricoles. Cette optique de libéralisation économique et cette logique de modernisation des espaces productifs préfigurent et anticipent les orientations de la politique agricole commune, critiquée à gauche à partir du rapport Mansholt par exemple. Dans la lignée de son action nationale sous la IVe République, rue de Varenne, Tanguy Prigent aborde quant à lui les problèmes de structures de l'agriculture dans le marché commun, sous un angle plus social, en dressant les enjeux à l’échelle de la paysannerie. Opposant au retour au pouvoir du général De Gaulle, en pleine séparation de la ligne molletiste de la SFIO en raison des désaccords politiques sur la Guerre d’Algérie , Tanguy Prigent n’en demeure pas moins un expert reconnu par ses pairs européens sur les enjeux politiques de l’agriculture. Ce travail politique n’est en revanche plus porté après 1958 par Tanguy Prigent, battu aux élections législatives de novembre 1958 puis isolé au sein du PSA dans un groupe socialiste français déjà dissonant des autres composantes démocrates-chrétiennes. Ce point de vue minoritaire se mêle à partir des années 1960-1970 aux nouvelles formes de contestations politiques au sein du syndicalisme agricole portées par la génération Lambert-Thareau. Ces nouvelles gauches paysannes, si critiques face au modèle agricole breton qui voit le jour, ressourcent les réseaux socialistes dans le monde agricole en Bretagne, en privilégiant une analyse politique partant des enjeux européens pour penser les situations locales.

François Tanguy Prigent lors du 2e congrès de la FAO en 1947. Archives INA.

Une certaine continuité dans les choix européens par rapport aux politiques menées au niveau national (et leurs difficultés), ayant ici une résonance incontournable à l’échelle régionale, peut se retrouver dans le rôle joué au plan européen par les socialistes nazairiens, implantés dans une place forte de la gauche bretonne depuis les années 1920, à savoir François Blancho entre 1962 et 1964 et surtout Georges Carpentier, entre juillet 1974 et mars 1978. Les documents relatifs à la période (août 1977-janvier 1978), exceptionnels pour appréhender la réalité de la vie interne du groupe socialiste européen, avant la transnationalisation de la vie politique, permettent de toucher du doigt la réalité de l’espace-temps du travail politique, pour un élu local enraciné dans une périphérie européenne comme Georges Carpentier . Ils mettent à jour également l’existence d’un rapport de sa part intitulé « Plan d'action pour la recherche aéronautique », là encore un chantier pionnier pour la construction européenne (Airbus) et un dossier qui impacte les activités des nouvelles industries de pointe en Bretagne . C’est là une question essentielle : quelle est fondamentalement la part des choses entre l’idéal européen et la sauvegarde d’intérêts locaux bien précis. Notons d’ailleurs que cette articulation entre crise ou redéploiement industriels à l’échelle locale et nouvelles réalités économiques européennes avait déjà été explorée, par le biais de la CECA, en son temps par François Giovannelli, maire d’Inzinzac-Lochrist, lors de la douloureuse fermeture des Forges de Hennebont dans le Morbihan. Figure expérimentée de l’Assemblée nationale, Georges Carpentier prononce le 21 juin 1977, comme Pierre Giraud au Sénat cette fois, un discours exposant la position des socialistes sur l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct. Ces 3 axes du travail parlementaire des premiers députés européens socialistes bretons (enjeux agricoles, politiques industrielles, questions institutionnelles) offrent bien un regard décentré sur l’histoire européenne vue à l’échelle régionale.

 

Des réseaux socialistes bretons à dimension européenne (1979-2017)

Le prisme européen fournit une autre histoire du socialisme face au pouvoir, depuis les années 1980. Sans aucun doute, les orientations européennes ne sont pas pour rien dans les désorientations désenchantées du PS au début du XXIe siècle.

La période la plus récente (1992-2017) est tramée par les contradictions, les limites et les impuissances d’une Europe qui peine à accentuer le(s) pouvoir(s) de ses institutions44. Un double paradoxe peut en effet s’observer. Au fur et à mesure de l’affirmation de la place des socialistes bretons dans le paysage national (et de ses caractéristiques d’une social-démocratie d’élus plutôt en phase avec les problématiques européennes telles qu’elles sont traitées par les socialistes européens), on note un affaissement voire une disparition de la représentation socialiste bretonne au Parlement européen. Mais dans le même temps, la figure de Bernard Poignant et son rôle dans les instances socialistes européennes, nuance largement ces réalités électorales.

Jalons pour une histoire politique des élections européennes : le cas du PS en Bretagne

Dans son expression politique, la Bretagne constitue a priori une région favorable à la construction européenne, en raison notamment de l'héritage MRP et de la place des chrétiens-démocrates dans l'échiquier politique, conforté par l’empreinte socialiste dominante depuis les années 1980. Signe d’une continuité transpartisane (chrétiens-sociaux et sociaux-démocrates) des engagements européens depuis la crise interne des débats sur la CED, le consensus de l’adhésion à l’idée européenne se vérifie globalement dans les résultats des différents référendums européens (1992, 2005)45.

Ces élections intermédiaires, au péril des enjeux européens effacés par la priorisation des questions de politique intérieure, font naître de nouvelles figures politiques et électives : les eurodéputés. La connaissance des relations entre Europe et socialisme pourrait s’enrichir en ouvrant la voie à des enquêtes prosopographiques sur les eurodéputés (notamment pour le corpus des socialistes français), dont les trajectoires, profils, rôles, pratiques et débats restent moins connus en dépit de l’accès possible à une masse documentaire fournie46. Les élus  socialistes bretons, à penser comme un échantillon réduit et orienté de ce corpus parlementaire, s’inscrivent dans une double temporalité. D’une part, la marginalisation reste la règle durant les élections nationales au scrutin de liste, variant peu quelles que soient les têtes de liste du PS : François Mitterrand (1979), Lionel Jospin (1984), Laurent Fabius (1989), Michel Rocard (1994), François Hollande (1999). Le temps de la régionalisation du scrutin sans découpage régional à proprement parler des circonscriptions ne modifie pas cet état de fait, en 2004 comme en 2009 ou en 2014, avec une influence minime sur les évolutions internes des réseaux militants. D’autre part, ces scrutins, à contre-courant des dynamiques électorales nationales (comme en témoignent les percées surprises de listes à chaque scrutin quasiment), laissent entrevoir la consolidation de l’implantation du PS en Bretagne, devenant des années 1980 aux années 2000 à la fois la force politique dominante du système partisan régional et l’un des principaux voire le premier bastion électoral du PS à l’échelle nationale.

François Mitterrand. Carte postale. Collection particulière.

L’objet n’est pas ici de décrypter en détail ces élections européennes vues de Bretagne (campagnes, résultats, portées)47, mais plutôt de s’attacher à observer les figures socialistes bretonnes sélectionnées par ce nouveau type d’élections. En 1979, six socialistes bretons sont présents sur la liste de 81 candidats (soit 7.4 %). Issu de la CIR, le président du seul conseil général socialiste de Bretagne, depuis 1976, Charles Josselin, élu en 14e position, avait perdu son siège de député en mars 1978. Conforté par cette élection, il rompt avec les réseaux mitterrandiens lors du congrès de Metz, pour finalement se positionner sur le courant Rocard, à l’instar de Louis Le Pensec, autre figure de la rénovation idéologique socialiste, identifiée aux idées décentralisatrices. Dans un moment qui suit la forte croissance électorale du nouveau PS (1973-1977)48, le vote socialiste en Bretagne se situe déjà au-dessus de la moyenne nationale (23.53 %) : très nettement pour la Loire-Atlantique (26.6 %) et les Côtes-du-Nord (27.86 %), sensiblement pour le Finistère (24.47 %) et le Morbihan (23.83 %), à égalité pour l’Ille-et-Vilaine (23.51 %). Les victoires du PS en 1981 permettent cependant à trois nouveaux socialistes bretons de faire leur entrée à Strasbourg : Bernard Thareau (26e), Marie-Jacqueline Desouches (34e) et Pierre Bernard (39e). Deux autres femmes figurent sur cette liste sont Geneviève Roulier (64e) et Martine Buron (66e).

En 1984, la liste nationale comporte à nouveau 6 responsables socialistes bretons : Bernard Thareau (en 7e position), Louis Chopier, Martine Buron, Marie-Jacqueline Desouches ainsi que Gilbert Le Bris (alors suppléant de Louis Le Pensec) et Charles Josselin, qui a retrouvé son siège de député au Palais-Bourbon en 1981. En 1989, la liste PS intègre 5 socialistes bretons, parmi lesquels Martine Buron (12e position), Bernard Thareau (14e position), mais aussi Jean-Claude Duchalard (62e position), Marylise Lebranchu (56e) et Pierre Maille (81e) en dernière position sur la liste conduite par Laurent Fabius.

Lors du revers de 1994, les candidats bretons se raréfient, en dépit du poids de la Rocardie bretonne à l’échelle nationale, du fait des logiques de courants et d’équilibres territoriaux : seuls Bernard Poignant (24e position) et Isabelle Thomas (36e position) figurent sur cette liste de 87 candidats. En 1999, Bernard Poignant, seul candidat breton, est élu en 17e position. Mais en 7e position, une figure des réseaux socialistes paysans de l’Ouest entame une seconde expérience à Strabourg, prenant le relais de l’action de Bernard Thareau et Louis Chopier. Cousin de Pierre Méhaignerie, Georges Garot (né en 1936), député européen (1997-2004), est secrétaire national PS de l’agriculture et du monde rural. Son fils Guillaume Garot, issu des réseaux de collaborateurs ministériels, est conseiller général (2004), député (2007), maire (2008) de Laval et secrétaire d’Etat aux IAA (2012).

Le changement de mode de scrutin depuis 2004, établissant des circonscriptions régionales très larges, dilue la force des réseaux socialistes bretons qui connaissent deux cuisantes déroutes électorales en 2009 (devancés par la sensibilité écologiste) et en 2014 (sans représentant de la ligne majoritaire du PS dans la région parmi les premiers noms de la liste, même si Isabelle Thomas, positionnée sur l’aile gauche du parti, était déjà devenue eurodéputée à la faveur de l’entrée au gouvernement de Stéphane Le Foll en 2012).

En excluant du corpus les socialistes, d’origine bretonne mais sans implantation locale, notamment Benoît Hamon49 et Stéphane Le Foll, les neuf eurodéputés en Bretagne forment un sous-ensemble réduit50.

Le poids des enseignants, surdimensionné (trois universitaires, deux professeurs), tout comme celui des cadres supérieurs (deux élus), révèle une déformation de cette représentation élective, à la fois par rapport à la base militante et au socle des autres élus. La réduction du territoire breton à un quota paysan du socialisme français (deux figures incontournables du syndicalisme agricole, Bernard Thareau et Louis Chopier) renforce cette idée. Dans la même optique, la surreprésentation des femmes (trois sur neuf élus) met en lumière des trajectoires militantes différentes, avec en commun la dimension d’expertise technique (Marie-Jacqueline Desouches, Martine Buron, Roselyne Lefrançois).

Sans oublier que l’on raisonne sur de petits effectifs, les données sur l’âge confortent l’idée d’une émergence entre 1979 et 1984 des figures typiques du nouveau PS, avant un vieillissement prononcé de ce groupe d’élus. Les moyennes d’âge restent un indice fort pour percevoir cette fixation de réseaux socialistes établis, y compris à l’échelle européenne : 47.4 ans en 1981 (quatre élus), 50.5 ans en 1988 (trois élus), 54 ans en 1999 (deux élus), 55.7 ans en 2004 (trois élus). En contrepoint, ces données consacrent, au moins depuis les années 2000, l’usure de ces figures qui émergent lors du cycle initial du nouveau PS dans les années 1970. L’absence de renouvellement générationnel, avec une amplitude limitée à seulement deux décennies dans les années de naissance (1929-1938 pour la période 1979-1994 et 1945-1950 pour la période 1999-2009), se fait d’autant plus ressentir que le groupe subit une diminution numérique.

L'hémicycle du Parlement européen à Strasbourg. Carte postame. Collection particulière.

Les caractéristiques des trajectoires de ces députés européens reposent sur un profil convergent très prononcé : empreinte du christianisme social dans les réseaux de formation ou d’engagement militant lors des passages à gauche51, faible connexion avec les fonctions politiques premières reflétant la moindre valorisation/attractivité de ce mandat parlementaire52, ancrage territorial de ces élus secondaires même si le poids des zones urbaines traduit une déformation des zones d’influence du PS53, prépondérance des engagements dans les filières syndicales issues du christianisme social (Centre départemental des jeunes agriculteurs-CDJA, CFDT). Pour autant, ce petit groupe est composé de leaders partisans54, ce qui s’explique aussi par le mode de scrutin et les enjeux de constitution des listes, avec une part minime de refuges stratégiques ou de replis politiques55. Le manque de continuité est flagrant dans les parcours parlementaires : 4 des 9 élus siègent seulement durant une partie de mandat, 2terminent le mandat en 1988-1989 avant d’être renouvelés. Enfin, on soulignera l’absence en 2009 des élus sortants en position éligible (surtout Yannick Vaugrenard). Seuls Bernard Thareau et Bernard Poignant effectuent deux mandats complets, permettant un réel travail parlementaire d’ampleur à Strasbourg. La spécialisation du travail parlementaire56 s’avère une dimension flagrante de la lecture par entité régionale des enjeux politiques européens : questions paysannes (Bernard Thareau, Louis Chopier), identités régionales (Pierre Bernard), pouvoir local et décentralisation (Charles Josselin), l’univers du droit (Roselyne Lefrançois57).

Figure centrale des questions européennes au PS, Bernard Poignant, dont la trajectoire est désormais bien connue, synthétise cette vision des questions européennes au sein de la délégation socialiste française, en phase avec l’identité politique des socialistes bretons. Egalement au cœur des réseaux socialistes européens, la trajectoire de Martine Buron est intéressante à plus d’un titre. Son père, Robert Buron, ancien ministre MRP de la IVe République puis de De Gaulle, incarne le glissement décisif au début des années 1970 des réseaux chrétiens sociaux vers la gauche socialiste. Fondateur du courant Objectif 72, mouvement qui intègre le PS lors du congrès d’Epinay, Robert Buron est député de Mayenne (1945-1958), conseiller général (1953-1970) et maire PS de Laval (1971-1973). A son décès, sa femme reprend un certain nombre de ses mandats. Née en 1944, Martine Buron, architecte-urbaniste, occupe rapidement des fonctions de premier plan au sein du PS58 : membre du comité directeur puis du bureau exécutif du PS à partir de 1981 ; secrétaire nationale aux droits des femmes (1985). Conseillère municipale (1983-1989 et 2001-2008) puis maire de Châteaubriant (1989-2001), conseillère régionale de Loire-Atlantique (1986-1992), elle émerge réellement au plan local en 1988, après une décennie de militantisme actif dans la région de Châteaubriant, devenant députée européenne (1988-1994) après la démission de plusieurs élus entrés dans le gouvernement Rocard. Conseillère générale de Châteaubriant (1988-1994), elle se révèle très active au sein du PSE, en tant que secrétaire générale du Comité des régions de l’Union européenne (2002-2004), présidente de l’Union des élus locaux et régionaux socialistes européens (UELRSE), des fonctions également occupés par Claudy Lebreton et Bernard Poignant ou encore, présidente de la Fédération française des Maisons de l’Europe depuis 2017 après Catherine Lalumière. En 2011, elle est présidente de la Maison de l’Europe à Nantes (une des 33 existants en France) succédant à l’historien Michel Catala, dont la femme, Danièle Catala est la principale figure du PS à Châteaubriant depuis le retrait politique de Martine Buron.

Des eurodéputés socialistes bretons réduits à leur singularité agricole ?

Défait lors des législatives de 1978, Charles Josselin retrouve une assise parlementaire en 1979, sans véritablement relayer son identité politique, laboratoire des politiques locales, à Strasbourg59. Mais l’arrivée au pouvoir des élites roses en France en 1981 ouvre des perspectives à d’autres eurodéputés bretons, plus actifs, comme Bernard Thareau60, Marie-Jacqueline Desouches ou Pierre Bernard. Ces profils significatifs d’une spécialisation du travail politique, à l’image des parcours en 1984 de Bernard Thareau. Louis Chopier et Martine Buron ; ou en 1988, de Martine Buron et Bernard Thareau.

La révolution démocratique inachevée des premières élections européennes au suffrage universel en 1979 marque une inflexion majeure du rapport des socialistes au projet européen. Avant le bouleversement inhérent à l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, il est ainsi possible de porter un regard au prisme des élections européennes en Bretagne (1979, 1984, 1989). L’analyse des scores lors de ces scrutins secondaires laisse poindre de nouvelles formes d’action politique pour ces eurodéputés méconnus, au profil militant décalé par rapport aux autres figures électives (parlementaires, conseillers généraux, maires). Il est intéressant d’observer les convergences existant avec une autre fonction née au milieu des années 1980 cette fois, celle de conseiller régional61.

De surcroît, la construction du rôle d’expert en politique(s)62 s’opère en mettant en exergue une forme de spécialisation politique sur certaines thématiques (agriculture notamment), qui paradoxalement enferme et cantonne les socialistes bretons dans un rôle moins central que leur poids politique nouveau au sein des équilibres du PS à l’échelle nationale ne pourrait le laisser croire. Si contestée par les réseaux militants des années 1960-1970 qui ont contribué au grand basculement politique de

la région à gauche, la politique européenne de modernisation de l’agriculture, accélérant l’irruption du capitalisme dans le secteur primaire et consolidant un modèle agricole breton soutenu par les milieux conservateurs, constitue un dossier pris en charge par des figures de la gauche socialiste paysanne, comme Bernard Thareau et Louis Chopier. De façon significative, la spécialisation des réseaux PS réduit la région à sa singularité agricole, ce qui révèle bien des choses quant aux représentations politiques de la Bretagne, au double sens du terme.

 
 

Si le parcours de Bernard Thareau est désormais bien connu, celui de Louis Chopier mérite qu’on s’y attarde un peu. Louis Chopier (1931-2000)63 fut militant JAC, conseiller municipal MRP de Paramé (1959-1965)64, président du CDJA (1960-1961), de la FDSEA (1961-1967) et de la Chambre d’agriculture (1964-1967). Engagé à la JAC en compagnie de Pierre Restif (1929-1981)65, Paul Méhaignerie66 et Jean Kernaleguen, Louis Chopier entre au CDJA en 1955, réseau de jeunes syndicalistes qui prend de l’ampleur à la fin de l’année 1957. Propriétaire d’une ferme de 9 hectares, conseiller municipal de Paramé en 1959, affilié au MRP, dans l’équipe du député Georges Coudray, il se porte candidat de la tendance minoritaire pour devenir président de la FDSEA, sans succès. Figurant parmi les fondateurs d’un Centre d’études techniques agricoles (CETA), il est président départemental du CDJA en février 1960. Délégué cantonal de la FDSEA, il bat Francis Chouan à la présidence de la FDSEA en 1961. Il s’appuie sur Francis Louapre (secrétaire général des cercles des jeunes agriculteurs en 1962), Pierre Restif (secrétaire général adjoint de la FDSEA dès 1961), Marie Hervé (future militante PSU). Cette génération de jeunes syndicalistes, issus de la JAC, est à la pointe des révoltes sociales du monde agricole à la fin des années 1950 et au début des années 1960. En 1962, il est pressenti pour être candidat MRP à Fougères, tout en entretenant des contacts étroits avec les réseaux PSU, via Maurice Jannin. En mai 1964, le basculement des équilibres syndicaux se confirme quand Louis Chopier prend le dessus sur Francis Chouan, à la présidence de la Chambre d’agriculture.

Les limites des réseaux Chopier en Ille-et-Vilaine relèvent de la réaction des milieux conservateurs pour contrôler à nouveau les réseaux syndicaux agricoles. Louis Chopier se désinvestit d’un espace syndical dont il est dessaisi, pour passer sur le terrain politique : maire (1977-1983), conseiller général (1982-1994) de Saint-Malo, secrétaire fédéral du PS (1977-1981), député européen (1989-1994). Adhérent du PS dès 1972, il se présente régulièrement aux élections locales dans le secteur de Saint-Malo67 : la coupure dans l’attraction des espaces syndicaux par le milieu partisan est peu remise en cause, en dehors de quelques trajectoires isolées.

Génération Mitterrand, génération Delors : le « socialisme du grand large  »68

Les mutations du projet européen laissent entrevoir un « moment Delors », qui a des résonances locales et nationales, par la mobilisation politique de réseaux du PS caractérisés par une culture politique identifiée à la figure du président de la Commission européenne. Des « transcourants » au club Témoin, en passant par Démocratie 2000, l’histoire de ses réseaux entre le milieu des années 1980 et des années 1990 reste encore à écrire, en s’appuyant sur un dépouillement rigoureux des archives. Attachons nous ici à retracer cette aventure politique aux couleurs européennes et socialistes qui prend sa source à Lorient en 1985. Dans une période marquée par la désorientation politique des milieux socialistes face au tournant de la rigueur en 1983 inscrit dans le choix pro-européen de François Mitterrand, une partie de l’aile réformiste du PS, déjà rassemblée dans l’expérience des transcourants69, se structure en club en juillet 1985 : c’est la naissance de Démocratie 2000, dont le premier président n’est autre que Jean-Pierre Jouyet. La réunion inaugurale semble s’être tenue dans l’actuel centre régional de culture bretonne et celtique culturel Amzer Nevez de Ploemeur, une association de promotion de la culture bretonne, notamment par la musique, la danse et la langue. Dès les origines du projet, Jean-Yves Le Drian, surnommé dans les années 1980-1990 par ses adversaires en interne le « saumon » pour sa capacité à remonter les courants du parti, propose de profiter de la venue de Jacques Delors à Lorient dans le cadre du départ en août 1985 d’une étape  de la régate de voile La course de l’Europe pour visibiliser le nouveau club. Notons qu’en France, au même moment les tensions sociales se multiplient dans le secteur primaire (fruits, légumes, pêches) autour de l’entrée à venir de l’Espagne dans le marché commun. Loin de se limiter à un coup de communication politique, l’expérience de ce laboratoire d’idées social-démocrate, réformiste, européen et décentralisateur70  se poursuit par la tenue fin août, chaque année jusqu’en 1996 des rencontres de Lorient de Démocratie 200071, structure refondue en octobre 1992 en club Témoin agrégeant plus largement les filières militantes rocardiennes et catalysant une frange de la deuxième gauche, si prégnante en Bretagne72. Il existe une forme de continuité et d’héritages politiques, des contestations anticolonialistes aux sources des engagements du PSU à l’affirmation d’une identité pro-européenne, articulant les échelles continentales et régionales ou locales. Quelque part, il s’agit d’une substitution de l’idéal européen au projet politique du socialisme démocratique, un horizon d’attente aussi pour les défenseurs de la République des territoires, pour reprendre une formule à laquelle adhèrent les réseaux de la social-démocratie des élus locaux qui achèvent de se tisser en Bretagne à partir de 1981.

Lors du départ de la Course de l'Europe à Lorient, 1985. Carte postale. Collection particulière.

En guise de conclusion : l’intégration européenne et la conversion au social-libéralisme, des identités politiques assumées ?

Le tournant européen de la Présidence de François Mitterrand, choix irréversible qui influence de façon durable et profonde le socialisme français, s’opère aussi dans un moment de redéfinition des politiques économiques à mener pour la gauche de gouvernement qui entame sa mue réformiste. De l’Acte unique à Maastricht (1986-1992), les tensions entre approfondissement et élargissement affectent peu un PS ouvertement pro-européen depuis les choix de Mitterrand en 1983. Car la logique économique suscite des désorientations politiques tant le chemin européen s’apparente à celui d’une intégration régionale à la mondialisation, loin du logiciel économique marxiste-keynésien mobilisé par le PS depuis 1945 notamment. La rupture politique que représente la scission du courant CERES et la naissance d’un Mouvement des citoyens (MDC) rétif à l’Europe supranationale, témoigne de ce double sentiment de trahison de l’identité socialiste définie par l’intervention de l’Etat dans l’économie pour lutter contre les inégalités socio-économiques et l’affirmation d’un républicanisme jacobin et laïque garant des principes d’égalité politique et sociale. Le référendum de Maastricht constitue le point de départ d’un brouillage de la culture politique des socialistes, à lire plus largement comme une profonde recomposition du clivage gauche(s)/droite(s) face aux enjeux nouveaux de la mondialisation. Paradoxalement, on observe un temps politique à fronts renversés, avec l’affaissement de la gauche socialiste dans un moment de rencontre entre les options politiques mitterrandiennes et l’affirmation de la social-démocratie d’élus en Bretagne. Dans l’imaginaire collectif de l’électorat de gauche, les conséquences de ce virage européen ouvrent une période de dissonances idéologiques. D’une part, la phraséologie révolutionnaire du discours et des représentations politiques imprègne durablement l’univers mental du peuple de gauche. D’autre part, une pratique réformiste d’accompagnement aux marges du capitalisme s’impose comme la norme du rapport au pouvoir des socialistes. Les effets de ce hiatus se font sentir encore au début du XXIe siècle, posant la question de la définition même de l’identité socialiste.

La conversion européenne accentue le virage social-libéral de plus en plus affirmé des socialistes, quoique souvent impensé. Le remplacement du totem de la lutte des classes par des mesures progressistes à destination des minorités sociales témoigne de cette transformation politique d’une ligne socialiste qui se cantonne à limiter l’impact du capitalisme financier sur les catégories populaires tout en assumant une vision ouverte sur le monde incarnée par des mesures sociétales. Dans cette perspective, l’Europe constitue à la fois un levier et une nouvelle frontière politique des gauches. Une sensibilité en miettes, en crises au fur et à mesure que le renforcement de l’intégration européenne a vidé de sa substance l’idéal socialiste de la construction européenne et a démantelé les instruments politiques d’une social-démocratie qui se délite électoralement et qui s’éloigne des sources de ses réseaux militants originels.

François PRIGENT
Agrégé et docteur en histoire contemporaine
Université Rennes 2, chercheur associé EA Tempora, 7468

 

 

1 Selon une acception différente des républicains briandistes des années 1920 et a fortiori des régionalismes bretons d’extrême-droite des années 1930-1940.

2 BOSSUAT, Gérard et alii (dir.), « Les socialistes et les élections européennes (1979-2004) », Notes de la FJJ, n°39, juin 2004 p. 43-70 ; BENHAMOU, Salomé, Un parlement sans légitimité ? Visions et pratiques du Parlement européen par les socialistes français de 1957 à 2008, Paris, L’Harmattan, 2010 ; MONOT, Mathieu, Socialistes et démocrates-chrétiens et la politisation de l’Europe, Paris, L’Harmattan/Fondation Jean Jaurès, 2010, ; LAURENT, Olivier, « Le parti socialiste et l'européanisation de l'espace de confrontation politique : le clivage national à l'épreuve du clivage sur l'intégration européenne », Politique européenne, vol. 16, no. 2, 2005, p. 155-182. La revue de l’OURS, Recherche socialiste a consacré ces dernières années 4 volumes à ces questions (n°28, n°38, n°45 et n°52-53).

3 CONORD, Fabien, Les gauches européennes au 20e siècle, Paris, Armand Colin coll. U, 2012, p. 169-171.

4 MANIGAND, Christine, « La longue marche vers les élections directes du Parlement européen », in LACHAISE, Bernard, RICHARD, Gilles et GARRIGUES, Jean (dir.), Les territoires du politique. Hommages à Sylvie Guillaume, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2012, p. 201-210.

5 COT, Jean-Pierre, « Les socialistes au Parlement européen », in Bossuat, Gérard et alii (dir.), op. cit., p. 25-42. Jean-Pierre Cot est le fil de l’ancien ministre de l’Air en 1939. Sur le parcours de l’ancien « patron » de Jean Moulin, JANSEN, Sabine, Pierre Cot, un antifasciste radical, Paris, Fayard, 2002.

6 ROSANVALLON, Pierre, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2006.

7 Par exemple, du traité de Maastricht au référendum sur le Traité constitutionnel européen (1992-2005), moment clé de l’irruption des questions européennes dans le débat politique français, l’arc politique gauche/droite se voit largement inopérant pour analyser les clivages partisans. Une autre typologie politique peut être établie, dégageant les eurosceptiques (souverainistes républicains de gauche, souverainistes nationaux de droite, extrême-droite), les europhiles (fédéralistes écologistes et centristes, partis de gouvernement pro-européen socialiste et conservateur) et les alter-européens (communistes, extrêmes-gauches)…

8 BENSOUSSAN,David (dir.), « Bretagne en politique », Parlement[s], revue d’histoire politique, hors-série n° 10, 2015 ; RICHARD , Gilles, « Le transfert des voix centristes vers le PS », BOUGEARD, Christian, PORHEL, Vincent, RICHARD, Gilles, SAINCLIVIER, Jacqueline (dir.), Les années 1968 dans l’Ouest, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 131-144 ; PRIGENT, François, « D’Emile Goude à Jean-Yves Le Drian : les réseaux des parlementaires socialistes bretons au XXe siècle », Cahiers du CEVIPOF, n° 58, 2014, p. 34-55.

9 Des pistes de comparaison pourraient être creusées avec l’évolution de l’idéologie et du champ partisan communiste, du Kominform à l’eurocommunisme en vogue dans les pays de l’Europe méditerranéenne dans les années1970-1980.

10 BOUNEAU, Christine. « Youth and Socialism in Europe during the first half of the 20th century : the Myth of Europe through peace and pacifism », communication au colloque « What European-ness means today? », tenu à Florence (Polo delle Scienze Sociali et Fondazione Spadolini), les 27 et 28 mars 2009. BOUNEAU, Christine, « Être jeune, socialiste et européen durant les années 1950 : formes et dynamiques de l’engagement », in BOUNEAU,Christine, CALLEDE, Jean-Paul (dir.), Figures de l’engagement des jeunes : continuités et ruptures dans les constructions générationnelles, Pessac, Editions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2015 (actes du colloque Generatio, MSHA, Bordeaux, 4-5 avril 2013).

11 A une autre échelle, sur ce que le parlementarisme fait au socialisme (et réciproquement), cf. Castagnez, Noëlline (dir.), « Socialistes au Parlement », Parlement[s], n° 6, 2006, p. 1-156.

12 POIGNANT, Bernard, Europinions (2003-2009). L’esprit de l’Europe au fil des mois, Rennes, Editions Apogée, 2009.

13 JALABERT, Laurent, Les socialistes et l’Europe (1958-2008), Paris, Bruno Leprince, 2008.

14 La place essentielle des courants face aux questions européennes pourrait être rénovée en disséquant notamment l’évolution des positions du Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES) puis de ses avatars chevènementistes et souverainistes de gauche dans les années 1970-2000. Laboratoire d’idées et lieu de formation politique de nombreux cadres du PS, le CERES se fracture puis se délite du fait des débats sur l’Europe, portant sur les questions économiques et sur les formes de la démocratie.

15 Laboratoire d’idées et réceptacles de réseaux multiples, le nouvel Institut François Chappé, fondé en novembre-décembre 2010 à l’initiative de Gwendal Rouillard, alors secrétaire fédéral du Morbihan, vise précisément à concilier et articuler ces échelles socialistes (Lorient-Rennes-Bruxelles). Ces réseaux se sont structurés en association en février 2012, symboliquement dénommée Vers la République des territoires.

16 Comme à l’échelle nationale pour ce qui relève de la politique de la mer (de Louis Le Pensec à Ambroise Guellec par exemple), cette influence politique est partagée avec des élus du centre-droit, comme en témoigne la récente élection d’Alain Le Cadec (UMP) à la tête de la commission Pêche, au sein de laquelle Isabelle Thomas (PS) est particulièrement active. Toutefois, cette part du travail politique est-il plus breton ou socialiste ? Répondre à cette question, recouvrant en partie une part de dépolitisation du politique, n’a de sens qu’en gardant à l’esprit la force des pratiques de compromis qui orientent le travail politique à l’échelle communautaire.

17 BERNSTEIN, Serge, Les cultures politiques en France, Le Seuil, Paris, 1999 ; RICHARD, Gilles, « Réflexions sur le clivage droite(s)-gauche(s) à l’aube du XXIe siècle », Vingtième Siècle, n° 90, 2006, p. 155-167.

18 Cette articulation entre pacifisme et européisme imprègne déjà les milieux SFIO en Bretagne à la sortie de la Première Guerre Mondiale. KERMOAL, Benoît, « Bretons, internationalistes et européens ? Les socialistes bretons et l’idée européenne aux lendemains de la Grande Guerre  », Siècles n°41, 2015. De façon plus ambiguë, cette idée refait surface après la défaite militaire et la disparition de la IIIe République chez certains paul-fauristes. Par pacifisme viscéral, le député de Lorient Louis L’Hévéder voit par exemple dans le nouvel ordre européen une chance politique.

19 Son parcours vu de l’échelle européenne. LEFEBVRE, Denis, Guy Mollet, le mal aimé, Paris, Plon. LAFON, François, Guy Mollet, secrétaire général du PS-SFIO (1946-1969). Recherches sur les principes du molletisme, thèse, EHESS, 1993.

20 Les relations entre socialistes et communistes en Bretagne, au prisme notamment des cultures politiques différenciées, ont fait l’objet d’une étude de notre part. PRIGENT, François, « Socialist and communist networks and representatives in Brittany : a comparison on the Twentieth Century (1920-1989) », Twentieth Century Communism, a Journal of International History, issue 8, 2015, p. 41-61 (actes du colloque Local communism (1917-1989), University of Glamorgan, Cardiff, 30 juin-1er juillet 2011).

21 CLAVEL, Isabelle, La SFIO et le MRP, partis réformistes de la IVe République (1944-1958) : acculturations républicaines, thèse, Université Bordeaux 3, 2015.

22 BOUGEARD, Christian, René Pléven : un Français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994.

23 Arch. privées Jean Le Coutaller, cahier de la section SFIO de Lorient. La période 1951-1954 trahit bien le glissement socialiste face à ces enjeux européens, de l’adhésion au refus, du fait d’une multiplicité de facteurs : poids des mémoires résistantes, culture républicaine rétive au fédéralisme, pacifisme…

24 Surtout dans un parti marqué par une épuration politique érigée en principe. BERNSTEIN, Serge. (dir.), Le parti socialiste, entre Résistance et République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000 ; MORIN, Gilles et CASTAGNEZ, Noëlline, « Résistance et socialisme : brève rencontre », in LACHAISE, Bernard (dir.), Résistance et politique sous la IVe République, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2004, p. 111-146 ; PRIGENT, François, « Socialistes résistants, résistants socialistes : formes, engagements, trajectoires », in CAPDEVILA, Luc, HARISMENDY, Patrick (dir.), L’engagement et l’émancipation, études offertes à Jacqueline Sainclivier, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 187-198.

25 MORIN, Gilles, « Les oppositions socialistes à la CED : les acteurs du débat », in GUIEU, Jean-Michel et LE DREAU, Christophe, « Anti-européens, eurosceptiques et souverainistes, une histoire des résistances à l’Europe (1919-1992) », Les Cahiers Irice, n° 4, 2009, p. 83-100.

26 Sur une autre période, PRIGENT, François, « Les mondes d’Augustin Hamon, itinéraire d’un intellectuel socialiste oublié : engagements, trajectoire, identités », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n° 2, tome 113, 2006, p. 117-134.

27 En pleine crise titiste, des socialistes et communistes yougoslaves semblent aussi participer à ces travaux d’après le compte-rendu de l’organe de la fédération SFIO des Côtes-du-Nord, rédigé par Yves Le Foll, secrétaire fédéral de la SFIO et futur maire, député de Saint-Brieuc. Le Combat social, n° 75, 31 juillet 1948.

28 Actuelle Maison de l’estuaire.

29 Deux réunions ont par exemple lieu sur le site de Coat-Ermit au mois de juin pour finaliser les derniers détails de l’organisation de l’évènement.

30 Pour en savoir plus sur ces réseaux socialistes de jeunesse, https://www.fauconsrouges.org.

31 Un récit du départ des jeunes belges (la délégation la plus nombreuse), par Emilie Le Bail de l’Ile Grande, est publié dans Le Combat social, mettant l’accent sur la dimension humaine des liens d’amitiés politiques tissés durant ce camp de Coat-Ermit. S’agit-il de la militante communiste et catholique, dont la vie a fait l’objet d’un livre de Edouard Quemper ?

32 Député du Nord (1945-1958), Rachel Lempereur (1896-1980), directrice d’école dans un quartier ouvrier de Lille, est vice-présidente (1946-1955) puis présidente (1956-1958) de la commission de l’Éducation nationale. Avec Maurice Deixonne, elle détient quasiment le monopole du travail parlementaire sur les questions de l’enseignement. Anticommuniste et laïque intransigeante (fervente opposante à la loi Barangé en 1951, elle accepte les apparentements avec le MRP pour être réélue), elle est exclue du PS en 1973 pour avoir maintenu sa candidature aux cantonales contre le candidat désigné par la section. PRIGENT, François, « Les gauches communiste et socialiste face à l’identité culturelle. Retour sur la loi Deixonne sur les langues régionales (1951) », Bulletin de la Société historique et archéologique de Bretagne (SHAB), tome XCII, 2014, p. 283-299.

33 « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! », Le Breton socialiste, septembre 1948.

34 Sur cette notion, PRIGENT, François, « Le travail parlementaire des élus bretons en 1958. Regards sur une année de travail politique au prisme des archives de l’Assemblée nationale », in LE GALL, Erwan, PRIGENT, François (dir.), Contribution à l’histoire locale de la France. Le moment 1958 en Bretagne, Rennes, éditions Goater, (à paraître).

BOUGEARD, Christian (dir.), Un siècle de socialismes en Bretagne. De la SFIO au PS (1905-2005), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.

36 Cf. infra la biographie de Georges Carpentier rédigée conjointement avec Gilles Morin.

37 BOUGEARD, Christian, Tanguy-Prigent, paysan-ministre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 321, évoque le paradoxe de son opposition systématique à la politique du général De Gaulle, y compris sur ces enjeux européens (partisan de la construction européenne). Dès les années 1930, il inscrit sa réflexion sur les questions agricoles dans un cadre international, participant par exemple aux conférences agricoles de Genève (1937), Prague (1938) et Dresde (1939) dans un contexte particulier lié aux menaces que représente le nazisme pour l’Europe.

38 Arch. de l’European University Institute (Historical archives of the European Union), Florence, PE-O3212, réunions des 8-9 octobre 1958.

39 PRIGENT, François, « Les paysans socialistes bretons au XXe siècle », Parlement[s], revue d’histoire politique, hors-série n° 10, p. 135-149 (dossier coordonné par Bensoussan David, Bretagne en politique).

40 Sur son parcours, cf. https://www.cvce.eu/histoire-orale/unit-content/-/unit/4a56d28e-cc85-465f-91d6-d4621cc35575.

41 La biographie de Christian Bougeard, traquant l’agenda politique de Tanguy Prigent, dévoile d’ailleurs un certain nombre de trous dans les archives, très certainement liés à ses déplacements à Paris ou à l’étranger du fait de ses engagements au plan européen. Ce serait une clé de lecture nouvelle pour appréhender les incompréhensions stratégiques des réseaux militants du Finistère déroutés par les choix et les absences de Tanguy Prigent, affaibli physiquement, sur la séquence 1958-1960, avec notamment une scission SFIO-PSA impréparée localement. BOUGEARD, Christian, « Origines et implantation du PSU en Bretagne : les fédérations des Côtes-du Nord et du Finistère », in KERNALEGENN, Tudi, PRIGENT, François, RICHARD, Gilles, SAINCLIVIER, Jacqueline (dir.), Le PSU vu d’en bas : réseaux sociaux, mouvement politique, laboratoire d’idées (années 1950-années 1980), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 45-57.

42 Arch. de l’European University Institute (Historical archives of the European Union), Florence, PE0-2522.

43 Sur cette profonde transformation de la Bretagne, entre désindustrialisation européenne et industrialisation régionale JALABERT, Laurent, PATILLON, Christophe (dir.), Mouvements ouvriers et crise industrielle dans les régions de l'Ouest Atlantique des années 1960 à nos  jours, Rennes, Presses universitaires, 2010.

44 Comme l’ont montré, en France, les tensions autour du Traité constitutionnel européen (TCE) et les fractures inhérentes au referendum interne au PS en 2005.

45 Lors des deux référendums, l’engagement massif des cadres du PS en Bretagne en faveur du « oui » témoignent de l’intégration achevée de la référence pro-européenne à la culture socialiste dominante (ce qui est moins net à l’échelle de la base militante, voire de l’électorat socialiste). L’Europe agit ici comme un révélateur des distorsions politiques.

46 BEAUVALET, Willy, Profession : eurodéputé. Les élus français au Parlement européen et l’institutionnalisation d’une nouvelle figure politique et élective (1979-2004), thèse de science politique, Université de Strasbourg, 2007 ; BEAUVALET, Willy et MICHON, Sébastien, « The changing paths of access to the European Parliament for French MEPs (1979–2014) », French Politics, vol. 14, nᵒ 3, 2016, p. 329-362 ; BEAUVALET, Willy et MICHON, Sébastien « L’institutionnalisation inachevée du Parlement européen. Hétérogénéité nationale, spécialisation et autonomisation », Politix, n°89, 2010, p. 147-172.

47 Pour une analyse de ces scrutins à travers la presse régionale PENHOAT, Basile (dir. RICHARD, Gilles), Les élections européennes de 1979 à 1989 vues de Bretagne, fait régional ou européen ?, Master 2 recherche HRI, Université Rennes 2, 2017. Pour une réflexion articulant les échelles nationale et européenne MANIGAND, Christine, « Les Français face aux trois premières élections européennes », Parlement(s), hors-série n°3, Penser et construire l’Europe, 2008, p. 103-113.

48 PRIGENT, François, « Le cycle d’Epinay en Bretagne (1971-1981) », Castagnez, Noëlline, Morin, Gilles (dir.) Les socialistes d’Épinay à l’Elysée : 1971-1981, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 105-117.

49 Leader du MJS dans le Finistère puis au plan national, Benoît Hamon se présente en 1997 aux législatives à Auray.

50 Il n’a pas été possible de repérer les interactions à Strasbourg entre les élus (croisement, échanges). Pour une comparaison des profils d’élus (parlementaires, conseillers généraux), Prigent, François, « Jalons pour une sociobiographie des parlementaires socialistes en Bretagne (1908-2008) », in BOUGEARD, Christian, PRIGENT, François (dir.), La Bretagne en portrait(s) de groupe. Les enjeux de la méthode prosopographique (Bretagne, XVIIIe-XXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 117-134 et Prigent, François, « Les réseaux seconds en politique. Prosopographie des conseillers généraux socialistes du Morbihan au XXe siècle (1898-2004) », Recherche Socialiste, n° 42, 2008, p. 38-54.

51 Charles Josselin et Bernard Poignant dans la formation politique des élus, Louis Chopier et Bernard Thareau par le syndicalisme agricole, Marie-Jacqueline Desouches par la CFTC, Martine Buron et Yannick Vaugrenard par les engagements familiaux.

52 Deux députés, six conseillers généraux, quatre maires et quatre adjoints.

53 Nantes, Brest, Lorient, Saint-Nazaire.

54 A l’échelle départementale (Charles Josselin, Bernard Poignant, Louis Chopier, Yannick Vaugrenard sont secrétaires fédéraux) comme à l’échelle nationale (Charles Josselin, Bernard Poignant, Bernard Thareau, Martine Buron sont des dirigeants nationaux du PS).

55 C’est le cas pour Charles Josselin, Bernard Poignant, Yannick Vaugrenard. Fils du leader MRP à Trignac, Yannick Vaugrenard, cadre bancaire né en 1950, est secrétaire fédéral du PS (1990-2001), conseiller général de Montoir-de-Bretagne (1982-1988), conseiller régional (1986-2015), député européen (2004-2009) et sénateur (depuis 2011).

56 BENDJABALLAH, Selma, La notion de spécialisation parlementaire : le cas des députés français du PSE (1999-2004), M2, IEP de Paris, 2005.

57 Après une maîtrise de sciences économiques et une licence de sociologie (1976-1977), Roselyne Lefrançois, née en 1950, devient professeur en commerce international. Intégrée à la liste socialiste de Edmond Hervé, elle est propulsée adjointe de Rennes en 1995, déléguée aux relations internationales et aux affaires européennes à la suite de Jean Raux (ex UNEF-SGEN-PSU, qui occupait ces fonctions depuis 1983). Adhérente du PS depuis 1996, elle s’investit dans les différents réseaux d’élus à l’échelle européenne. Réélue en 2001, elle figure en sixième position sur la liste PS menée par Bernard Poignant lors des élections européennes de juin 2004. Profitant de l’élection comme parlementaire de Marie-Line Reynaud en Charente en juin 2007, c’est la 3e femme socialiste bretonne à être eurodéputé. Ne se représentant pas aux municipales en 2008, elle est rétrogradée en 6e position seulement en juin 2009 sur la liste socialiste aux élections européennes, en raison du jeu des courants internes au PS. Depuis 2013, elle préside le Mouvement européen en Ille-et-Vilaine.

58 Mariée à un diplomate iranien, elle voit un de ses fils, Martin Adjari, énarque, débuter sa carrière dans les cabinets de Laurent Fabius puis Florence Parly, avant d’embrasser une carrière de premier plan comme directeur général de Radio-France et secrétaire général de France-Télévision, avant d’être directeur de cabinet du Ministère de la Culture (2012-2017).

59 PRIGENT, François, « La fabrication des carrières politiques (années 1950-années 2000) : Louis Le Pensec et Charles Josselin, des Bonnets rouges aux ministères », in JARNOUX, Philippe, et LE GALL, Laurent (dir.), Investir la cité au XXe siècle. Etudes offertes en l’honneur de Christian Bougeard, PUR, Rennes (à paraître).

60 BRETONNIERE, Bernard, COLSON, François, LEBOSSE, Jean-Claude (dir.), Bernard Thareau, militant paysan, Paris, Editions de l’Atelier, 1997 ; PRIGENT, François, « Bernard Lambert, Bernard Thareau : portrait(s) croisé(s) », Recherche Socialiste, n° 58-59, 2012, p. 131-142 (dossier coordonné par CONORD, Fabien, Les socialistes et les paysans au XXe siècle).

61 PRIGENT, François, « Les conseillers régionaux, nouveaux centres du pouvoir local. L’exemple des conseillers régionaux PS en Bretagne (1986-2010) », in PASQUIER, Romain et KERNALEGENN, Tudi (dir.), 1986-2016, trente ans de démocratie régionale. Des régions pour quoi faire ?, (colloque IEP de Rennes/Champs libres, 17-18 novembre 2016).

62 BEAUVALLET, Willy et MICHON, Sébastien, « Des eurodéputés « experts » ? Sociologie d’une illusion bien fondée », in Cultures & Conflits, n°85-86, 2012.

63 Arch. dép. Ille-et-Vilaine : 518 W 36, enquête des RG. Chopier, Louïse, Chopier, Louïse et Louis, Saint-Suliac,  Ed. Yellow, 2008 (biographie rédigée par sa femme à partir de ses manuscrits et documents personnels).

64 Ses parents font partie d’une famille étendue et ancienne produisant des primeurs sur la côte Nord. Conseiller municipal en 1941 à Saint-Méloir-des-Ondes, son père est adjoint MRP. Passé par les écoles publiques, Louis Chopier fréquente le collège Saint-Magloire de Dol-de-Bretagne, où enseigne le frère du jociste Marcel Callo, mort en déportation. Sans le brevet, il commence à travailler dès 1954 dans la ferme de son oncle, Ernest Chopier, leader FDSEA à l’échelle cantonale et conseiller municipal MRP de Paramé. En octobre 1954, il épouse Louïse Lhuissière, dont la mère est élue MRP de Paramé en 1945.

65 Scolarisé jusqu’à 13 ans, responsable local en 1945 il intègre l’équipe fédérale de la JAC en 1949. En lien avec René Colson et Francis Louapre (permanents nationaux), il milite au CDJA en 1956, président en 1961 après Jean Kernalegenn et Louis Chopier. En 1961, secrétaire adjoint de la FDSEA, il épaule le nouveau président de la Chambre d’agriculture. Il est investi dans plusieurs réseaux professionnels : CUMA (La Cordiale), GAEC, CETA, SAFGER (vice-président). Jan Pierre-Yves, « Pierre Restif : un combat pour une coopération paysanne », in Mémoires d’Ille-et-Vilaine, n°2, 1986, pp. 24-29.

66 Paul Méhaignerie est maire de Balazé entre 1974 et 2008. Militant JAC, Alexis Méhaignerie (1899-1976), JAC, vice-président de la CGA-FDSEA est député centriste (1945-1968), maire de Balazé (1945-1974) et conseiller général de Vitré Est (1945-1976).

67 Secrétaire fédéral (1977-1981), Louis Chopier est maire de Saint-Malo à la tête d’une liste d’union de la gauche en 1977. En 1978, il remporte l’élection partielle, suite à l’invalidation, écartant les communistes de la majorité. En 1982, il est conseiller général de Saint-Malo Nord. En 1983, sa liste est sèchement battue aux municipales. En 1986, exclu du PS en compagnie de Michel Phlipponneau, il monte une liste dissidente aux régionales. Se rapprochant du parti radical, il est réélu conseiller général en 1988, appuyé par les réseaux socialistes locaux, extrêmement divisés. En 1989, il est député européen après avoir réintégré le PS. En 1989 et 1995, il conduit sans succès la liste de gauche face à René Couanau, puis battu aux cantonales en 1994.

68 Nous reprenons ici une expression forgée par BOUDIC, Goulven, « La gauche dans l’Ouest, modèle ou réduit ? », Place publique, Nantes, n°4, 2007, p. 146.

69 Les transcourants apparaissent véritablement après une tribune signée par François Hollande, Jean-Yves Le Drian, Jean-Pierre Mignard et Jean-Michel Gaillard, intitulée « Pour être modernes, soyons démocrates », in Le Monde, 16 décembre 1984. Les mêmes ont rédigé, sous un pseudonyme, un ouvrage marquant : Trans Jean-François, La gauche bouge, éditions Lattès, Paris, 1985.

70 Sur la logique programmatique de Démocratie 2000, cf. le reportage de FR3 sur le colloque de Lorient le 29 août 1986.

71 A partir de 1993, le PS reprend ce modèle pour organiser ses universités d’été à La Rochelle.

72 Au sein des réseaux deloristes du PS, dès le milieu des années 1980, on retrouve notamment des figures comme Ségolène Royal, François Hollande, Julien Dray, Elisabeth Guigou, Louis Mermaz, Pierre Joxe, Pascal Lamy, Philippe Lagayette, Jean-Pierre Jouyet, Jean-Baptiste de Foucault ou José Bidegain, mais aussi des personnalités comme les journalistes Alexandre Adler, Laurent Joffrin, ou l’ancien leader étudiant ESU de Mai 68 Jacques Sauvageot. Sur les rencontres à Lorient du club Témoin (29 août 1993). https://www.youtube.com/watch?v=kwCy8HwANDg et http://m.ina.fr/video/RNC9709070146/le-club-temoin-reuni-a-lorient-video.html (août 1997).