Le pays de Quimperlé en Grande Guerre

Fondée en 1981 et aujourd’hui présidée par Alain Pennec, la Société d’histoire du pays de Quimperlé a publié il y a peu une intéressante monographie sur la Grande Guerre, volume paru à l’occasion du centenaire de l’Armistice du 11 novembre 19181. Erudit, ce livre plaira à celles et ceux qui travaillent sur le sud-Finistère et, de manière plus générale, quiconque s’intéresse à l’impact de ce conflit sur les sociétés en guerre. Le panorama proposé est en effet complet, abordant tant l’arrière que les mobilisés, tant les tranchées que la guerre sous-marine, sans oublier bien entendu la présence américaine (p. 162-167).

Carte postale. Collection particulière.

L’exemple de Quimperlé ne paraît néanmoins pas devoir dévier de ce que l’on sait de la Bretagne en Grande Guerre en général. Comme ailleurs dans la péninsule armoricaine, le tocsin surprend, même si l’idée de conflit fait depuis longtemps partie de l’horizon d’attente des contemporains, et bouleverse profondément les habitudes. En témoignent notamment la mobilisation du maire Arthur Courtier (p. 9) et les réquisitions de chevaux (p. 76-77), mais aussi de nouveaux venus dans la commune : des blessés à partir de septembre 1914 (p. 21 et suivantes) mais également des réfugiés provenant notamment de Belgique et arrivés dès le mois d’août 1914 dans le sud-Finistère (p. 29 et suivantes). Les prisonniers, eux, ne tardent pas à être employés par une économie locale avide d’une main d’œuvre aussi peu chère que captive (p. 138-139). Comme partout, de nombreux problèmes logistiques découlent de ces afflux inattendus de population et il en résulte un paradoxe étonnant : produisant des archives en masse, qui de surcroît ont été relativement bien conservées, cette question est relativement bien connue même si elle demeure très statistique. Faute de carnets, de correspondances ou de mémoires, le vécu de ces réfugiés, mais aussi des Bretons qui les accueillent, reste pour une immense partie dans un angle-mort qui semble pour l’heure impossible de combler. Tout juste Alain Pennec peut-il avancer que l’essentiel de ces Belges venus se réfugier à Quimperlé sont flamands (p. 34-35).

Le recrutement s’opérant en 1914 sur  des bases largement régionales, c’est au 118e de Quimper que les habitants de la région sont principalement mobilisés (p. 16) et, comme partout ou presque, c’est dans les premiers mois du conflit que le bilan humain est le plus terrible : une soixantaine de morts en 1914, 107 en 1915 (p. 13-15). Surtout, l’hécatombe n’épargne personne, même les milieux sociaux les plus privilégiés. C’est ainsi que la famille de Beaumont, propriétaire du domaine de Plaçamen, déplore la mort d’un fils, tué au combat qui rappelle les conséquences funestes de l’éthos aristocratique lors de ce conflit. On comprend dès lors toute la force de la morale patriotique du moment qui, comme ailleurs, s’affiche via de nombreuses manifestations publiques d’hommage et autres journées de solidarité (p. 65-67). C’est aussi ainsi, au titre de la culture de guerre, qu’il faut comprendre la venue de Charles Goffic à Quimperlé le 4 février 1917 pour y évoquer Dixmude et « l’épopée des fusiliers marins » nécessairement compris comme bretons (p. 113), nous y reviendrons.

Pourtant, il convient également de se demander dans quelle mesure le patriotisme dont il est question ici ne relève pas, pour une certaine part au moins, d’une certaine forme de posture. L’Union sacrée est en effet une façade et les propos de Léon Leberre, propriétaire et directeur du journal local, L’Union agricole et maritime, disent bien cette fierté bretonne qui ne s’en laisse pas compter lorsqu’il convient de défendre l’honneur de la petite patrie en guerre (p. 67-71)2. Certes, à Quimperlé comme ailleurs, on en a marre de la guerre (p. 119). Pour autant, demeure la question de la représentativité de cette plume engagée au sein des mouvements bretons et druidiques : si son discours participe à l’évidence d’une défense de l’identité régionale en Grande Guerre, quel écho rencontre-t-il dans la population de la région de Quimperlé ? C’est là un des manques de cette étude de qualité qui, à certains moments, laisse il est vrai le lecteur un peu sur sa faim tant il paraît évident que l’analyse n’a pas toujours été poussée à son maximum.

Carte postale. Collection particulière.

Un tel volume dit toutefois bien la diversité des sources qui, aujourd’hui, s’offrent à quiconque souhaite entreprendre la monographie d’une commune : archives municipales et départementales mais également fonds privés (on pense notamment à la collection de photographies de Jean Tréguier qui illustre avantageusement le propos) et archives en ligne. C’est d’ailleurs bien là une des grandes leçons qu’il convient de tirer du centenaire de la Première Guerre mondiale : l’impact sur la bibliographie de ces archives aujourd’hui disponibles en quelques clics, qu’il s’agisse des fiches de morts pour la France, des journaux des marches et opérations, des fiches matriculaires du recrutement ou même de la presse américaine. C’est en effet à la « une » du New-York Tribune que s’affiche le 11 mai 1919 Quimperlé à l’occasion d’un portrait donnant une image pour le moins folklorisée de la Bretagne (p. 167). L’histoire locale n’a jamais été aussi connectée…

Erwan LE GALL

 

1 PENNEC, Alain, 14-18. Quimperlé et les Quimperlois pendant la Première Guerre mondiale, Quimperlé, Société d’histoire du pays de Quimperlé, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Sur la question on se permettra de renvoyer à BOURLET, Michaël, LAGADEC, Yann et LE GALL, Erwan (dir.), Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.