Des Bonnets rouges en Grande Guerre ?

Le centenaire de la Première Guerre mondiale a constitué, à l’évidence, un véritable effet d’aubaine pour bon nombre d’éditeurs qui, sentant le bon filon, se sont empressés de sortir de nombreuses études locales. Comme souvent en pareilles circonstances, la qualité est aléatoire et si Sarzeau, Ergué-Gabéric ou encore les départements du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine, ont tous fait l’objet de remarquables travaux, tel n’est malheureusement pas le cas de Carhaix, localité abordée dans un volume joliment illustré que publie aux Editions Ouest-France Guy Malbosc1.

Carte postale. Collection particulière.

Classiquement, l’ouvrage débute par un portrait des communes de Carhaix et Plouguer, puisqu’elles fusionnent en 1957, en 1911. Louable intention mais qui ne parvient pas réellement à convaincre tant les raccourcis sont nombreux. Les professions consignées sur les listes de recensement sont ainsi admises sans la moindre mise en perspective (p. 15 et suivantes), ce qui conduit l’auteur à éluder la poly-activité des acteurs, régime qui constitue pourtant la norme dans ces espaces ruraux du tout début du XXe siècle. De graves failles de méthode plombent donc ce livre. Autre exemple particulièrement éloquent, des statistiques concernant le ravitaillement alimentaire à Berlin sont publiées sans aucune précaution alors qu’il s’agit de chiffres publiés par L’Ouest-Eclair le 29 septembre 1917 (p. 155) et que l’on sait que la bibliographie sur ces questions alimentaires s’enrichit régulièrement de nouvelles et stimulantes études.

Dénué de tout appareil critique, ce volume témoigne de lacunes historiographiques criantes (comment s’en étonner du reste quand on sait que le livre ne comporte aucune bibliographie ?) et nombreuses sont les invraisemblances qui s’offrent au lecteur. Dès l’introduction, l’auteur érige ainsi les monuments aux morts en « particularité française » (p. 8). La 20e division d’infanterie est qualifiée de normande (p. 21) alors qu’elle englobe le 47e RI de Saint-Malo et qu’on sait qu’elle recrute aussi largement au sein des départements d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord. On nous ressert le mythe du pantalon garance qui « facilite la visée de l’ennemi » alors qu’on sait bien que ces vêtements, dès même le baptême du feu, n’ont aucune incidence sur le déroulement des combats (p. 201)2. On retrouve enfin la même imprécision lorsque vient le moment de s’intéresser à l’arrière. L’auteur évoque ainsi « les hôpitaux de campagne de Carhaix », comme si l’articulation entre établissements mixtes, complémentaires, auxiliaires ou encore temporaires n’avait aucune importance (p. 78).

Mais le plus savoureux reste certainement cette allusion au « bonnet rouge qui […] tient lieu d’étendard de la révolte depuis 1675 ». Faut-il y voir un clin d’œil appuyé à Christian Troadec, préfacier du livre ? Toujours est-il que non seulement l’anachronisme laisse songeur mais que toute la suite du volume montre que cette assertion est parfaitement fausse. A Carhaix comme ailleurs on accepte le conflit dès la mobilisation générale (p. 46) puis, à l’instar des autres Français, la population fait le dos rond et endure la situation3. De même, si la présence américaine est évidemment une dimension à prendre en compte, l’impact des Doughboys sur l’inflation ne saurait être considéré de la même manière qu’il s’agisse de Carhaix, Brest ou Saint-Nazaire (p. 165 notamment). Déjà bien balisée par les travaux pionniers d’Y.-H. Nouailhat, une question telle que celle-ci ne peut plus aujourd’hui faire l’économie d’une approche culturelle interrogeant les discours4.

Carte postale. Collection particulière.

Riche de nombreuses données statistiques, notamment en ce qui concerne les prix et le rationnement, le volume que publie Guy Malbosc pourra toutefois constituer un utile instrument de travail, sorte de répertoire de données brutes pour qui traverserait ces parages. Ainsi, l’auteur rapporte qu’à la lumière des chiffres du recensement de 1911, une habitante de Carhaix sur deux travaille (p. 15), ce qui dit bien combien l’idée d’une guerre émancipatrice doit être nuancée. De même, on apprend qu’une centaine de cheminots vit à Carhaix (p. 30), dimension qui  à n’en pas douter interroge le caractère rural d’une telle commune. Il y aurait d’ailleurs  un intérêt certain à comparer les données exposées dans ce volume aux différents travaux ayant pris récemment comme objet des communes proches, à savoir Guipavas, Pont-de-Buis, Ergué-Gabéric et Quéméneven. Sans doute que la question des réfugiés, si sensible lors de cette Grande Guerre, pourra bénéficier d’un semblable traitement (p. 91-92). Enfin, mentionnons l’utilisation d’un certain nombre d’archives privées réunies par la dynamique éuipe du cercle généalogique du Poher et confiées à l’auteur (p. 53-63). Mais tout cela n’offre toutefois qu’une bien maigre compensation…

Erwan LE GALL

MALBOSC, Guy, La Bretagne dans la Grande Guerre. Carhaix et ses poilus, Rennes, Ouest-France, 2018.

 

 

 

 

 

1 MALBOSC, Guy, La Bretagne dans la Grande Guerre. Carhaix et ses poilus, Rennes, Ouest-France, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses et avec mention du tome en chiffres romains.

2 Sur la question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.

3 Nous faisons référence ici au triptyque proposé par BEAUPRE, Nicolas, JONES, Heather et RASMUSSEN, Anne, Dans la guerre 1914-1918. Accepter, endurer, refuser, Paris, Les Belles lettres, 2015.

4 NOUAILHAT, Yves-Henri, Les Américains à Nantes et à Saint-Nazaire, 1917-1919, Paris, Les Belles Lettres, 1972. On se permettra de renvoyer également, pour une approche culturelle de cette question, à LE GALL, Erwan, Saint-Nazaire, les Américains et la guerre totale (1917-1919), Bruz, Editions CODEX, 2018.